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Quand des étudiants revisitent le rapport aux savoirs à l’Institut des Régions Chaudes de Montpellier

Institut des Régions Chaudes de Montpellier, Occitanie

1101 Avenue Agropolis

34090 Montpellier

Tél :
Site web : http://www.supagro.fr/web/irc/
Responsable : Khalid Belarbi, directeur de l’IRC. ,
Rédacteur de la fiche : Nathalie Bletterie, Montpelliers SupAgro Florac
, nathalie.bletterie@educagri.fr

DESCRIPTION SYNTHETIQUE DE L’ACTION

Depuis 2013, les étudiants de l’Institut des Régions Chaudes de Montpellier prennent intégralement en charge un jardin en agroécologie. Espace d’investigation pratique, d’initiative, d’apprentissage, de lien social entre eux et avec l’extérieur, ce jardin ne manque pas d’étonner. Géré et animé par les étudiants eux même il n’en constitue pas moins un véritable creuset de réflexion concrète pour tout le monde, et interagit très positivement avec les personnels et les projets de l’institut.

 Ce matin de fin octobre 2017 le soleil brille lorsque j’arrive au jardin des « Ignames de la Révolution Communautaire » des étudiants de l’IRC (institut des régions chaudes, composante de Montpellier SupAgro).

Sur 800 m² toute une population de légumes, plantes aromatiques et arbres prend ses aises, joliment agencée en buttes, carrés, ronds, ou encore mandalas. Il y a une serre, une cabane, un espace de compostage, des ruches, un poulailler, mais aussi des toilettes sèches et des tables de pique nique pour accueillir ceux qui souhaitent manger ici. Nous sommes en fin d’automne pourtant pas de friches, tout est en production, et au printemps ce sera encore plus foisonnant ! Difficile d’imaginer qu’il y a 5 ans il n’y avait ici qu’un parking bétonné : genèse d’une aventure dans laquelle les étudiants ont pris les choses en main pour revisiter le rapport au savoir.

Je suis accueillie par Antoine et Alexandre, qui sont en formation d’ingénieurs agronomes pour le développement agricole aux Suds, Alex est spécialisé sur les questions des marchés agricoles et des formes d’organisations collectives, et Antoine est actuellement en année de césure, et se spécialisera l’année prochaine sur les interactions entre les systèmes de production agricole et leur environnement écologique, technique, économique et social.

Depuis plusieurs années ils sont membres actifs dans le fonctionnement et la communication des activités du jardin, en parallèle de leurs études. Antoine fait un service civique au Réseau des Semeurs de Jardins, une association qui met en lien les différents jardins partagés de la ville : il peut donc passer plus de temps au jardin.

Ils m’expliquent la genèse du jardin, et son fonctionnement :
« Ce jardin a vu le jour en 2013 sur une petite zone, qui s’est agrandie peu à peu, pour occuper actuellement un espace de 800M2. Il a été créé à la suite d’une visite par des étudiants de l’IRC d’un jardin urbain barcelonais revendiqué comme espace de résistance. Au retour ils ont discuté, et ils ont trouvé ça tellement génial que ça leur a donné envie de faire la même chose ici.

Au début il n’y avait que du bitume, recouvert de terre de remblais, et pour transformer un lieu mort en un lieu de vie où les insectes et les vers de terre reviennent, il a fallu beaucoup d’apport de compost et de déchets de cantine provenant de différentes sources à proximité, notamment de l’INRA.

Ce jardin a un statut associatif, c’est un club qui fait partie d’une association qui gère tous les clubs de SupAgro (le bureau des étudiants) et reçoit les subventions qui sont ensuite ventilées dans les clubs. Nous recevons donc 300 euros de subvention par an. Une grande part d’autofinancement provient des repas partagés (trois repas à prix libre par an avec tout le personnel de l’IRC et les étudiants, durant lesquels la production du jardin est cuisinée et consommée) ou des ventes de plants (deux ventes de plants en mai et en juin). Enfin les adhésions au club, 5 euros par personne et par an. Tout ceci nous donne un fond de roulement de 1000 euros par an qui sert à l’achat de matériel d’irrigation et d’outils, de semences, de grillage poules, de poules… Mais cet argent n’est dépensé que si des personnes sont investies derrière et s’approprient les choses : par exemple, les poules ont été mangées par une fouine, et pour l’instant on n’en a pas racheté car on attend que quelqu’un ait envie de remonter le poulailler et de s’en occuper, sinon cela n’a pas de sens.

Ce budget est suffisant pour les petites dépenses, sachant que le matériel plus conséquent tel que le broyeur, est mis à disposition par l’IRC.

Au niveau de l’organisation technique, il y a des référents pour les différents pôles ; culture, communication, repas partagés avec les productions du potager, poules, ruches. »

Ce n’est pas un jardin en permaculture, vous n’aimez pas trop qu’on emploie ce terme ?
Antoine : « c’est un raccourci trop rapide, la permaculture suppose de réfléchir à l’ensemble d’un système, en prenant en compte l’aménagement de l’espace, les considérations énergétiques, le social, le lien à l’animal, voire l’organisation de la société… C’est tellement général que ça ne caractérise pas si bien le potager, où la réflexion sur l’espace et le reste n’a pas vraiment été la priorité. On y fait des buttes, mais c’est très français de mélanger “cultures sur butte” et “permaculture”. Ici les buttes ont été nécessaires pour commencer à cultiver rapidement sur un sol très mauvais. Cependant elles sont très drainantes, ce qui est peu adapté dans le Sud, où tout sèche déjà trop vite. Il faudrait plutôt cultiver en cuvette, comme au Maghreb, pour retenir l’eau! »

Alex aussi est frileux sur ce terme qu’il trouve galvaudé.


Qu’est-ce qui vous motive à vous investir dans le fonctionnement du jardin?

« – En école d’ingénieurs il y a très peu d’enseignement agronomique pratique, et peu d’agronomie en fait, on apprend à composer avec plein d’aspects différents d’un problème mais la pratique qui relie à la terre on ne la voit pas dans les cours. On a eu envie de remettre les mains dans la terre, en prise avec le réel. Ça permet aussi de se vider la tête après les cours !

Ensuite ce jardin est un espace de rencontre, d’expérimentation, et de partage de savoirs autour des thématiques de la production agricole et de l’action collective. C’est un terrain de jeu, et d’essai-erreur, un espace à nous avec un lâcher prise des enseignants et de la structure sur le résultat ; et un espace de co-construction de connaissances avec un fort aspect expérimental (on y va et on voit). C’est très intéressant pour nous étudiants de pouvoir nous emparer de cet espace, d’en faire notre « chose », car nous estimons que le savoir n’appartient pas qu’aux profs, il peut circuler dans tous les sens pour fabriquer de l’agroécologie. On s’aperçoit lorsqu’on jardine ensemble qu’il y a pleins de choses à se dire au-delà du potager, comme notre expérience professionnelle, parler de nos profs, des cours, des stages, c’est un lieu d’échange privilégié.

Nous sommes engagés dans une démarche qui produit un esprit de groupe, un sentiment d’appartenance indispensable à l’action collective. C’est aussi un espace pour se spécialiser sur des questions agricoles précises, ce qui peut orienter les parcours professionnels des gens qui passent, comme Antoine qui a engagé un service civique autour des jardins partagés au Réseau des Semeurs de Jardins, ou Alex qui envisage un stage de césure avec le réseau semences paysannes, qui pourra déboucher sur une thèse. »

 

Quels sont les leviers qui facilitent le fonctionnement du jardin ?

– La structure : l’approche sociale de l’Institut des Régions Chaudes détermine beaucoup l’émergence et l’esprit de ce potager. Les promotions sont petites (pas plus de 50), il n’y a pas d’amphi, et les enseignants sont proches des étudiants. Les gens qui arrivent ici en formation sont recrutés de manière différente, ils ne sortent pas forcément de prépa, peuvent être plus âgés, viennent de partout, avec notamment des Africains ou des Américains du sud où la culture du jardin est avancée, il y a donc beaucoup d’ouverture d’esprit. D’ailleurs il y a régulièrement des soirées repas et culturelles à thème (Inde… sans alcool…) dans lesquelles le potager peut jouer un rôle central.

– L’appui institutionnel : Le directeur, Khalid Belarbi, ingénieur dédié aux problématiques de développement pour les pays du sud, est arrivé en 2015, deux ans après la création du jardin. Pour lui, ce jardin a un rôle extrêmement important pour l’institut, il permet une autre interaction école-étudiants, est facilitateur, contribue au vivre ensemble et au rayonnement de l’institut, et permet des connexions avec des structures travaillant sur les mêmes problématiques. « L’idée n’est pas d’avoir une vitrine, nous confie-t-il, mais d’avoir un lieu d’expérimentations et d’échanges. Pour autant le beau doit faire partie d’un projet comme ça, puisque depuis 3 ans le potager est perçu comme une initiative intéressante et de plus en plus de monde vient le visiter. »

Son positionnement dans la gestion du jardin est assez délicat, il faut maintenir le curseur entre un potager qui vit en laissant les étudiants gérer leur affaire, sinon les jeunes ne se saisiront pas entièrement du jardin, et une posture institutionnelle de directeur pas trop interventionniste et facilitatrice, que ce soit au niveau technique comme par exemple la mise à disposition du broyeur, la location d’un tracteur pour creuser des trous, ou au niveau de la communication avec l’accueil des nouvelles promos pour susciter l’envie. Il faut de plus être attentif à la sécurité, comme lors de la visite de la crèche qui est prévue en hiver 2017. Donc lâcher prise en veillant au grain, c’est subtil… » Cette posture est facilitée par un jeu d’émulation entre le jardin de l’IRC, et le potager du directeur à proximité, créant une complicité entre Khalid et les étudiants.

– Une personne ressource, le concierge tuteur : Les enseignants et le personnel de l’IRC voient le potager d’un très bon œil. François, le concierge, qui a une très bonne connaissance du lieu et des relations entre les gens de l’administration, d’abord un peu méfiant, a vu plusieurs promotions d’étudiants s’investir dans le projet, qui est devenu important pour lui, maintenant il forme ceux qui font l’effort de venir le consulter, car il est très disponible et notamment les week-end où il est référent, et donne un coup de main en arrosant en été quand les étudiants ne sont pas là.


Quels sont les freins auxquels vous êtes confrontés ?

« – Une de nos grandes difficultés est de maintenir la motivation d’une promotion à l’autre, le leadership est délicat car il s’agit de fédérer, agréger et créer de l’émulation mais sans prendre trop de place car ce rôle doit tourner.

Le fonctionnement du jardin est basé sur l’inter promotion, la difficulté principale est de recruter des première année motivés, qui ne connaissent pas le lieu. En général ils ont tendance à ne pas prendre d’initiatives tous seuls sans être encadrés, ils attendent l’aide des troisième ou quatrième année qui ont de l’expérience, mais qui vont bientôt partir.

Antoine, reconnu comme leader technique aimerait que ça soit encore plus horizontal, plus qu’une personne qui tire le groupe, il y a des outils d’organisation à trouver selon lui… Renouveler les personnes impliquées, impliquer tout le monde au même niveau, trouver l’équilibre entre les initiatives de quelques-uns et les calendriers culturaux, laisser de l’espace pour l’appropriation, si les leaders sont trop dominants, c’est intéressant sur le moment, mais sur la durée c’est contre productif.

– l’accès à l’eau : c’est un point sensible avec la direction, car il n’y a pas de compteur d’eau dédié au jardin, seulement un compteur général pour l’école, à un moment les relevés ont grimpé en flèche, ce qui a causé des tensions car le jardin a été accusé et les étudiants ont été réunis par le directeur, avant qu’on ne s’aperçoive en enquêtant plus avant qu’il y avait d’autres fuites…

Les étudiants ont décidé depuis de moins cultiver en été, en mettant en place des jachères vertes pour économiser l’eau, cela permet aussi d’alléger la corvée d’eau quand tout le monde est en vacances.

– la circulation de l’information : ce n’est pas facile, il y a beaucoup d’informel. Avant l’information circulait uniquement par l’oral mais quand le référent cultures n’était pas là on ne savait pas, les gens désherbaient 5 mn, s’asseyaient et repartaient… Depuis il y a en plus des petits papiers collés sur un tableau dans la cabane du jardin avec les choses « à faire » ou « à ne pas faire ». Il y a un groupe facebook (les ignames de la révolution communautaire) avec 180 abonnés mais souvent la sauce a du mal à prendre, tout le monde ne se sent pas légitime pour lancer une action, ou dire « moi j’y vais ». Les choses ne sont pas cadrées et organisées comme le ferait par exemple l’équipe enseignante, et pourtant ça fonctionne ! Justement le cadre se veut libre et pas trop strict pour favoriser les initiatives, quitte à apprendre des erreurs commises.

 

Au bout de 4 ans le jardin commence à être connu ?

« Oui, nous avons de plus en plus de visites, avec des élèves de maternelles, des réfugiés, des visites diverses, il y a une bonne ouverture pédagogique à l’extérieur. En plus nous vendons des plants, et il y a les repas partagés avec les produits du jardin.

Nous avons développé des partenariats, comme l’accueil d’étudiants montpelliérains pour les 48h de l’agriculture urbaine lancées par une association parisienne et qui essaime dans le pays, la semaine de l’environnement, ou comme le secours catholique qui a fait venir des réfugiés qui se sont retrouvés au jardin autour d’un radis noir objet transitionnel, qui a permis aux syriens présents de sortir d’un statut de victimes de la guerre pour celui d’experts de cette culture, c’était un moment chargé d’émotion.

Nous sommes aussi sollicités par l’unité psychiatrique du CHU de Montpellier pour accueillir des malades, et par la crèche d’Agropolis, les petits doivent venir cet hiver par groupes de 8 avec des parents encadrants.

Du coup c’est un lieu de médiation où les adultes et les enfants se retrouvent autour du végétal, on se ressource, il se passe plein de choses, c’est du lâcher prise, on retravaille son rapport à la terre, c’est du soin. »


Comment gérez-vous le côté technique ? Y a-t-il des calendriers, des cahiers de suivi, de pesées, d’enregistrements ? Comment faites-vous circuler tout le savoir empirique accumulé ?

« De notre point de vue, formaliser les connaissances arrive en opposition avec le besoin de laisser tout le monde expérimenter, par exemple les rotations sur plusieurs années sont enfermantes car les étudiants changent, ou arrivent de stage avec d’autres semences qu’ils ont envie d’essayer, il ne faut pas donc pas s’emprisonner. Car chaque étudiant qui arrive reprend ce qui existe et le remet à sa sauce, ça tâtonne et ça évolue. Et on n’arrive pas forcément à faire de la même façon tous les ans… Tout ceci n’est pas grave au final puisqu’il n’y a pas d’impératifs économiques.

D’un autre côté il y a besoin de dire un minimum de choses pour que les gens s’impliquent, sinon c’est déresponsabilisant… Certains ont juste envie d’aider, d’autres souhaitent plus s’investir. Des outils existent (rotation de 5 ans, familles de légumes, engrais verts…) Il faut donc jongler, c’est le travail du référent technique, actuellement c’est Antoine mais il n’a pas encore trouvé de successeur pour l’année prochaine.

Alex nous relate avec amusement son échec riche d’enseignement pour tenter de capitaliser son savoir sur les semences : « Nous avons beaucoup de semences, 450 variétés différentes qui sont gardées dans un vieux frigo de la cabane (elles viennent du monde entier, certaines sont d’ailleurs à identifier). J’ai trouvé que c’était une bonne idée de faire un listing de tout cela, et j’ai passé plusieurs mois à élaborer un tableur monstrueux, répertoriant toutes les caractéristiques des différentes semences pour savoir quand il faut semer, etc. Résultat il était si dense que j’étais le seul à être capable de l’utiliser ! De plus j’ai réalisé que cet outil n’était pas pertinent dans ce cadre, après 7 heures de cours par jour très sollicité par les écrans, quand on arrive au jardin dans un lieu de liberté on n’a pas envie de se recoltiner un tableur, en fait ça marche beaucoup mieux si les gens savent juste comment les semences sont classées dans le frigo ! »

Donc un peu compliquée la capitalisation technique… mais est-ce bien le but ? La démarche d’essai erreur est très importante car il n’y a pas beaucoup d’occasion de la vivre en cours, nous avons finalement peu de temps sur la formation par rapport à tout ce que les profs doivent transmettre.


Un produit dérivé : le projet de ferme pédagogique de la Valette

L’expérience du jardin a donné au directeur de l’IRC l’idée de la création d’une véritable exploitation agroécologique pilote sur 2,7 ha juste à côté de l’IRC, qui verra le jour en 2018. Elle permettra l’embauche d’un salarié-maraîcher. Elle sera dédiée à l’enseignement, et permettra d’impliquer des étudiants du potager dans la transmission sur la ferme pédagogique qui sera un vrai lieu productif. Les enseignants de l’IRC y trouveront plus leur place que dans le jardin des étudiants, et pourront l’utiliser comme support de cours, et la capitalisation sera un de ses buts. Ce sera de plus un espace intéressant pour faire des événements (semences paysannes, agroécologies en débat, etc.)

En conclusion, l’agroécologie nécessite de sortir des modèles et des recettes, et de réinventer les choses. Elle questionne donc nécessairement la façon d’enseigner, nécessitant pour les enseignants d’être capables de changer de posture, d’apprendre aux jeunes à apprendre, expérimenter et chercher par eux-mêmes, dans un esprit d’essai-erreur, à manier des outils de débat, à entrer sereinement dans la controverse, tout ceci dans un climat d’échange et de co-construction.

Et si finalement cette idée de jardin expérimental, géré par les étudiants, ouvrait la porte à tout cela, comme nous l’expliquent Antoine et Alexandre ?

La première difficulté de l’affaire serait alors pour les enseignants, les DEA et la direction de savoir lâcher prise… en abandonnant un morceau de terre de l’exploitation aux élèves !

 

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Mots-clés : Agroécologie, Conduite de projet, Exploitation agricole, halle, atelier

Voie de formation : Formation initiale
Niveau de formation : I (Master, ingénieur)
Initiative du dispositif : Locale
Structure d’appui : Etablissement National d’Appui
Etablissement National d’Appui : MontpellierSup Agro

Etat de l’action : Terminée
Nature de l’action : Innovation

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