Résultat de la recherche avancée
Déconstruire des représentations-obstacles et construire un dispositif expérimental aux alternatives aux NNI en culture de betterave sucrière en BTSA APV
EPL de l’Oise, Hauts-de-France
6 rue du dessus de l’étang
60600 AIRION
Tél : 0344508440
Site web : https://www.lyceeagricoledeloise.fr/
Responsable : Samuel QUINTON , samuel.quinton@educagri.fr
Rédacteur de la fiche : Samuel QUINTON, Enseignant
, samuel.quinton@educagri.fr
DESCRIPTION SYNTHETIQUE DE L’ACTION
Contexte
Une filière betterave en difficulté depuis l’interdiction des néonicotinoïdes (NNI)
L’EPL de l’Oise se situe dans un secteur de grandes cultures associant des céréales, des oléo-protéagineux et des betteraves sucrières.
Cette dernière culture rencontre des difficultés dans la gestion de la jaunisse de la betterave sucrière depuis que les NNI ont été interdits sur cette culture en 2019.
En effet, cette famille de produits était utilisée jusqu’en 2018 en traitement de semences et servait à empêcher le développement des pucerons verts (Myzus percisae), insecte vecteur des virus responsables de cette maladie. Lors de la campagne 2019, le développement très important de cet insecte a conduit à des pertes de rendement très importantes. Au niveau national, les pertes ont été en moyenne de 30% avec des pertes montant jusqu’à 50% dans l’Oise.
Une recherche de solutions agronomiques dans laquelle s’insère l’EPL de l’Oise
Pour limiter ces pertes de rendement, le Ministère de l’Agriculture a mis en œuvre en partenariat avec des instituts de recherche (INRAE, ITB) le Plan National de Recherche et d’Innovation (PNRI) « Vers des solutions opérationnelles contre la jaunisse de la betterave sucrière » à partir de la campagne 2020.
Dans le cadre de ce PNRI, l’exploitation de l’EPL de l’Oise, qui cultive chaque année environ 5,5 ha de betterave sucrière, a été sollicitée pour conduire un essai visant à tester une/des solution(s) agronomique(s) permettant de limiter le développement des pucerons en l’absence de traitements de semences avec NNI.
Une ambition sur l’EPL de l’Oise : impliquer les apprenants et l’équipe pédagogique
Le directeur d’exploitation agricole (DEA), Jean-Luc COPPENOLLE, a interpellé l’équipe enseignante pour valoriser pédagogiquement cet essai et pour en assurer le suivi lors du mois de février 2021. La présentation de ce projet s’est faite dans le cadre de la réunion hebdomadaire organisée sur l’EPL le mercredi midi qui réunit les enseignants et formateurs de l’EPL.
Lors de cette réunion, Jean-Luc a présenté le cadre du projet ainsi que ses attentes. Il souhaitait que les apprenants proposent un dispositif expérimental et réalisent le suivi des mesures pour la campagne.
Une filière BTS APV naturellement concernée mais difficile à impliquer !
L’équipe enseignante a assez naturellement décidé de cibler la formation de BTSA Agronomie et Productions Végétales, car la mise en œuvre et la conduite d’une expérimentation sont des objectifs de la formation (M57 : Statistiques et démarches expérimentales – Mettre en place et suivre une expérimentation ou une enquête ; en exploiter les résultats).
Cependant, les enseignants de cette filière ont fait plusieurs remarques limitant les possibilités d’implication des étudiants :
- La période de suivi des mesures sur l’essai a lieu pendant les périodes de stage des premières années et pendant les périodes de révisions des étudiants de secondes années ;
- Il y avait un risque d’avoir des résultats de mesure erronés si on impliquait l’ensemble des étudiants ;
- La culture concernée n’était pas traitée dans le cadre du BTSA actuel qui comporte une option de semence et s’intéresse surtout au blé tendre, à la luzerne, au maïs grain et à la pomme de terre.
Un Module d’Initiative Locale (MIL) bien utile…
Afin de tenir compte de ces contraintes, il a alors été décidé :
- D’impliquer les étudiants de BTS APV 2 dans le cadre du MIL sur la conception du dispositif expérimental, l’enseignant assurant ce module étant référent agroécologie et très intéressé par la démarche ;
- D’assurer le suivi des mesures par une personne extérieure rémunérée par l’exploitation agricole.
Des étudiants de BTS moteurs
Les étudiants de BTSA APV proviennent le plus souvent de bac pro CGEA Option Grandes Cultures et de bac STAV option Agroéquipement. Très en lien avec le milieu agricole, ils sont motivés par les innovations technologiques et très contrariés par les problématiques environnementales liées à l’agriculture qu’ils assimilent à de l’agribashing. Les promotions comportent environ une dizaine d’étudiants. Ils souhaitent être le plus possible acteur de leur formation.
Conception pédagogique
Une dynamique de projet bien installée dans le MIL
Le MIL porte sur la notion d’agro-ressource. D’un volume horaire réduit (1,5h/semaine), il intègre des savoirs informatifs sur la notion d’agro-ressource (Biocarburants, méthanisation, CIVE, changement climatique, miscanthus…), des savoir-faire méthodologiques (Méthode MERCI, réalisation de pesées de biomasse, production et interprétation de données agronomiques, restitution devant des professionnels, organisation du travail…) et des savoir-être divers (travail d’équipe, implication dans une dynamique de projets, contact avec des agriculteurs et des professionnels…).
Intégrer les demandes du PNRI permet donc de valoriser un ensemble de savoir-faire méthodologiques et de savoir-être déjà bien acquis par les étudiants. En termes de progression, il se place dans une troisième séquence qui suit une présentation générale de la notion d’agro-ressource et un projet autour des cultures intermédiaires proposé par une entreprise partenaire, Péri-G.
Un début de séquence tonique qui me pousse à m’interroger sur mes pratiques
J’ai démarré le travail avec les étudiants de BTSA APV2 par une réunion de cadrage animé par Yoann DEBEAUVAIS, responsable régional de la délégation de l’Oise et de la Somme pour l’ITB. Cette réunion devait permettre aux étudiants de comprendre le dispositif dans lequel s’insère notre essai ainsi que leur apporter des connaissances autour de la jaunisse de la betterave. Elle s’est déroulée en distanciel suite aux contraintes liées au Covid-19.
A la suite de cette réunion, j’ai commencé à travailler avec les étudiants sur la conception du dispositif expérimental. La séance s’est très mal passée, car les étudiants ont exprimé des réserves très fortes sur la nécessité de tester des alternatives aux NNI, cette solution étant pour eux indépassable…
Une réflexion commune avec Christian PELTIER de la Bergerie nationale
Suite à cette première séquence, j’ai contacté Christian PELTIER pour réfléchir à un dispositif pédagogique qui me permette d’atteindre l’objectif d’apprentissage que je m’étais fixé au départ : mettre en place/construire un dispositif expérimental.
Cet entretien m’a permis de comprendre qu’avant de pouvoir attaquer le cœur du sujet, il était indispensable de lever les représentations-obstacles des étudiants sur les alternatives aux NNI et donc de retravailler avec eux la pertinence d’évaluer ces alternatives.
Nous avons donc construit une progression pédagogique sur quatre séances de deux heures, les deux premières permettant de travailler les représentations obstacles et les deux suivantes de construire un dispositif expérimental.
- Travailler les représentations-obstacles
-
- La première séance est un débat mouvant au cours de laquelle les étudiants doivent prendre sur des affirmations volontairement provoquantes. L’objectif est de permettre aux étudiants de s’exprimer qu’ils soient d’accord ou pas avec l’objectif du dispositif.
- La seconde séance est un travail de synthèse de documents qui doit permettre aux étudiants d’avoir des éléments pour discuter objectivement des affirmations présentées lors du débat mouvant. Une confrontation est réalisée entre les représentations initiales et celles produites par le travail d’analyse des documents.
- Construire un dispositif expérimental
- Lors de la troisième séance, nous commençons la construction du dispositif expérimental. Les étudiants apportent leurs idées à partir des informations fournies sur les contraintes de cet essai (souhait de l’exploitation, possibilités techniques fournies par le PNRI, protocole expérimentale de l’ITB). Ils rédigent une partie de la synthèse écrite.
- Dans cette dernière séance, le travail de co-construction se termine en comparant la lecture de la synthèse écrite finale et de celle qu’ils ont rédigée. Les idées oubliées sont ajoutées pour finaliser le document.
Mise en œuvre
Actions des jeunes | Actions de l’enseignant | Les objectifs | |
Séance n°1 | – Réalisation d’un débat mouvant autour de 4 affirmations volontairement provoquantes (Cf. pièce jointe n°1)
– Argumentation orale sur les positions prises – Prise de notes autour des positions prises et des arguments échangés (Cf pièce jointe n°2). |
– Présentation du dispositif « débat mouvant »
– Régulation de la parole des étudiants (surtout en cas de désaccords) |
– Débattre en respectant les autres
– Défendre son point de vue en argumentant – Exposer des connaissances / « croyances » relativement aux 4 affirmations |
Séance n°2 | – Lecture de documents fournis par l’enseignant
– Réalisation d’une carte mentale synthétisant le contenu du document (Cf. pièce jointe n°3) – Réalisation d’un oral présentant le contenu du document |
– Sélection de documents en amont permettant de comprendre la problématique des NNI (Cf. pièce jointe n°4)
– Évaluation de l’oral réalisé par les étudiants – Réalisation d’une synthèse |
– Connaître les impacts des NNI sur les pollinisateurs
– Identifier les méthodes de lutte contre les pucerons vecteurs de la jaunisse – Analyser les 4 affirmations sous un nouvel angle – Réaliser une carte mentale présentant les principales informations d’un texte – Réaliser un oral présentant les informations présentes dans le document |
Séance n°3 / Séance n°4 | – Participation orale sur la construction du dispositif
– Rédaction d’un document de synthèse présentant le dispositif expérimental |
– Animation de la participation orale à partir des contraintes posées par l’exploitation agricole et celles posées par le dispositif PNRI (Cf. pièce jointe n°5)
– Aide à la rédaction du document support (Cf. pièce jointe n°6) |
– Faire des propositions pour construire le dispositif
– Rédiger une partie du document de synthèse |
Regard réflexif sur l’action menée
La séquence pédagogique a été réalisée deux années consécutives.
Une séquence qui permet de travailler les représentations obstacles et d’engager les étudiants
La première année, il y a blocage : les étudiants n’entrent pas dans l’activité proposée ; ils sont hermétiques à l’idée d’envisager des alternatives aux NNI. Pour eux, dans le mode de pensée qui est le leur, ce n’est pas possible. La seconde année, le débat mouvant a permis à chaque étudiant de donner son point de vue et de le confronter à celui de ses camarades. Il a aidé les étudiants à comprendre la problématique liée aux NNI. Il a surtout donné la parole aux étudiants. Leur enseignant les a écouté et a ainsi donné de la valeur à leur parole, à ce qu’ils savent ou tiennent pour vrai. Cette étape a permis de construire – implicitement – un contrat de confiance, un contrat didactique : elle a ouvert à la possibilité d’étude de documents scientifiques.
Le travail à partir de documents valides d’un point de vue scientifique leur a permis de confronter leur représentation qui se base souvent sur ce qui se dit dans le milieu professionnel qu’ils côtoient à ce que disent des spécialistes du sujet. Sans les faire radicalement changer d’avis, ce travail les a engagés dans la recherche de solutions alternatives aux NNI qui les satisferaient. La possibilité de plusieurs solutions, de combinaisons différentes est également une condition d’engagement des étudiants dans l’activité : elle ne stigmatise pas, elle dépasse la binarité de « la bonne pratique contre la mauvaise pratique » ; elle laisse ouverte un espace de créativité, d’ajustement aux situations ; elle laisse un espace d’engagement possible, d’expression de la diversité.
Un travail qui relève du co-apprentissage
Cet engagement s’est ressenti dans la suite des activités pédagogiques. Les étudiants ont été force de proposition et leur engagement a permis d’aller plus loin que la commande faite par le DEA. En effet, ils ont ainsi souhaité tester des produits permettant de remplacer les NNI.
Cette insistance a abouti à tester au cours de la deuxième campagne un Composé Organique Volatil (COV) : l’huile de paraffine. Leur expertise a ainsi permis de faire évoluer le dispositif expérimental. Celui-ci est donc bien le fruit d’un travail de co-apprentissage entre les étudiants, les techniciens de l’ITB, le personnel de l’exploitation agricole et l’enseignant. Ils ont valorisé un savoir-faire acquis lors de leur période de stage en milieu professionnel. Et dans ce processus, l’estime de soi des apprenants est renforcée : l’activité proposée n’est pas cantonnée aux exigences d’un exercice scolaire, mais leurs propositions ont de la valeur en dehors de la classe et sont reconnues socialement… ce qui est extrêmement valorisant pour eux. Ils participent à la construction de références professionnelles pour un métier dans lequel ils risquent d’agir demain.
Un dispositif à évaluer … par le travail en milieu professionnel
Le travail réalisé a permis d’identifier deux principaux points de blocage pour les étudiants (Cf. pièce jointe n°2).
Il s’agit tout d’abord du mécanisme biologique lié aux NNI entraînant une surmortalité des abeilles. En effet, les étudiants savent que la betterave est une plante bisannuelle qui ne fleurit pas lors de sa culture et qui n’est donc pas butinée par les abeilles. Ils estiment donc que l’utilisation de NNI en betterave sucrière ne présente aucun risque pour ces pollinisateurs.
Ce point de blocage a pu être levé grâce aux informations scientifiques issues de l’ANSES (Cf. pièce jointe n°4) qui détaillent des voies d’exposition auxquelles les étudiants n’avaient pas pensé (poussières provenant du traitement de semences lors du semis, gouttelettes de guttation issues de la transpiration de la plante) et qui démontrent la persistance très importante de ces molécules dans l’environnement. Une fois ces informations assimilées, les étudiants comprennent pourquoi les traitements de semence en NNI ont été interdits et acceptent de réfléchir aux alternatives à envisager.
Le deuxième point de blocage porte sur les alternatives possibles aux NNI. En effet, les étudiants ne les connaissent pas du tout ce qui entraîne un raisonnement défensif du type « S’il n’y a pas de solutions, c’est qu’il n’y a pas de problèmes ! ». Là encore, les informations issues de l’ANSES (Cf. pièce jointe n°4) donnent à voir les alternatives et montrent également que les NNI ne sont pas reconnues comme la meilleure solution de lutte contre la jaunisse mais comme une solution parmi d’autres. Les étudiants découvrent ainsi qu’il y a des possibilités à tester et commencent à chercher celles qui les intéressent le plus.
Une fois ces deux points de blocage levés, le travail de conception du dispositif expérimental s’est déroulé de manière très constructive, les étudiants adhérant totalement au travail réalisé.
Mon principal regret porte sur l’évaluation du travail réalisé. Il manque à mon sens une séance permettant de faire la synthèse de ce qui est nécessaire pour mettre en place un dispositif expérimental. Celle-ci aurait permis de créer un savoir-outil transférable à la construction ou la critique d’un dispositif expérimental. Ainsi, le schéma ci-dessous aurait pu être utilisé pour montrer que le dispositif étudié s’inscrit dans de la substitution.
Il serait également souhaitable que ce travail s’inscrive davantage dans le module M57 et puisse servir aux étudiants dans le cadre de leur période de stage en milieu professionnel, notamment pour la rédaction des fiches SPV et du rapport de stage. En effet, la construction d’un dispositif expérimental fait partie des SPS visées par le diplôme (SPS 1 : Mise en place, suivi d’une expérimentation et exploitation des résultats).
FICHIERS A TELECHARGER
Descriptif : MIL – 01/02/2023 – BTS APV 2
Piece_jointe_1.pdf
Descriptif : Notes du débat
Piece_jointe_2.pdf
Descriptif : Notes du débat
Piece_jointe_3.pdf
Descriptif : Usage NNI Abeilles
Piece_jointe_4.pdf
Descriptif : Co-construction du dispositif expérimental
Piece_jointe_5.pdf
Descriptif : Mise en place des essais sur betteraves sucrières dans le cadre du PNRI – 2023
Piece_jointe_6.pdf
VIDEOS
Mots-clés : Agroécologie, Exploitation agricole, halle, atelier, Partenariats, Pédagogie de projet, Professionnalisation, dynamique d’équipe
Voie de formation : Formation initiale
Niveau de formation : III (BTS)
Initiative du dispositif : Nationale
Structure d’appui : Etablissement National d’Appui
Etablissement National d’Appui : Bergerie Nationale
Référent : Christophe DEMPIERRE ,christophe.dempierre@educagri.fr
Etat de l’action : Terminée
Nature de l’action : Innovation
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