Résultat des innovations

Un croisement des filières “nature” et “production” pour ancrer la transition agroécologique au lycée Nature de la Roche-sur-Yon

Lycée Nature, Pays de la Loire

Allée des Druires

 85000 La Roche Sur Yon

Tél : 0251098282
Site web : https://www.lyceenature.com/
Responsable : Armelle Tournaire , armelle.tournaire@educagri.fr
Rédacteur de la fiche : Armelle Tournaire

DESCRIPTION SYNTHETIQUE DE L’ACTION

Contexte

L’expérience se déroule au lycée Nature de la Roche-sur-Yon qui comprend une partie lycée, un CFA, un CFPPA et une exploitation agricole certifiée en agriculture biologique en production ovine, porcine, avicole, grandes cultures et maraîchage.

Dans le cadre de l’animation du plan Enseigner à Produire Autrement, Philippe Nauleau, enseignant et inspecteur pédagogique en sciences économiques sociales et de gestion à 50%, a souhaité organiser des ateliers collectifs entre filières de production et filière nature.

Ces ateliers ont concerné :

  • la réalisation d’un diagnostic IDEA 4 * sur la ferme du lycée entre étudiant.s.es en BTS GPN et alternant.e.s  en BPREA (IDEA4 est une méthode d’évaluation globale de la durabilité des exploitations agricoles mobilisant 53 indicateurs au sein de deux grilles de lectures (par les 3 dimensions du développement durable et par les 5 propriétés de l’exploitation agricole durable)).
  • la contribution des étudiants.es en BTS GPN à l’élaboration des fiches ressources de l’épreuve E5 des élèves en terminale CGEA sur une ferme proche du lycée (GAEC l’Ecrin)

C’est ce second atelier qui est analysé ici.

Motivation

L’hypothèse de travail est basée sur le constat que les formations du secteur de la production et du secteur de l’aménagement ont des regards, des logiques et des expertises différentes, parfois totalement disjointes et qu’un travail en commun pourrait être bénéfique pour permettre aux jeunes de mieux mieux appréhender la complexité des interactions entre agriculture et environnement.

Le projet pédagogique invite donc à engager les apprenants dans la transition agroécologique par l’échange de points de vue, d’expertise entre filières nature et de production, autour d’un sujet lié à la production agricole. L’enjeu est l’évolution du système de valeurs, du paradigme des apprenants et la prise de conscience de la richesse de la pluralité de point de vue.

Capacités d’apprentissage attendues 

  • Etre capable d’appréhender une exploitation agricole sous forme d’agroécosystème :
  • comprendre les interactions entre les activités de production agricole et l’environnement, la biodiversité.
  • Etre capable de dialoguer sur des questions socialement vives dans le respect de l’autre. Prendre conscience des limites de son champ d’expertise et de l’importance de l’échange pour co-construire un diagnostic.
  • Savoir adopter une vision systémique en s’appuyant notamment sur des personnes ressources.

Critères de réussite 

  • Des échanges entre apprenants dans le respect et l’écoute mutuels
  • Une compréhension plus fine de l’agroécosystème par des échanges d’expertise croisée
  • Une plus grande ouverture d’esprit envers l’environnement pour la filière production et envers l’agriculture pour la filière nature.

Déroulement du projet

Projet concernant l’élaboration des fiches Ressources par les bac pro CGEA avec l’appui des BTS GPN en 1ère année :

Classes concernées :

  • 27 étudiant.e.s du lycée en 1ère année de BTSA GPN
  • 20 apprenti.e.s du CFA en terminales de bac pro CGEA

Janvier / février 2023 –  prise de connaissance de la ferme “support” et rencontre avec l’éleveur

  • Les BTSA GPN 1 ont rencontré l’éleveur et réalisé un diagnostic sur les haies.
  • Les bac pro CGEA ont rencontré l’éleveur et mené une approche globale de l’exploitation (AGEA).

Février 2023 – atelier de 4 h – réalisation d’un diagnostic sur les ressources naturelles de la ferme et rencontre des jeunes issus des 2 filières

Les élèves/étudiant.e.s des 2 classes sont rassemblé.e.s pour la première fois sur une matinée.

En préambule, les enjeux du territoire sont présentés autour :

  • De la ressource en eau : raréfaction, état de la qualité de l’eau superficielle,
  • De la biodiversité : surface d’espaces protégés à l’échelle du département, surface occupée par l’agriculture 75 % sur le département en comparaison de la moyenne française 50%,
  • Du sol : importance de la matière organique et de la biodiversité des sols, avec l’exemple des lombrics (cette partie est moins étayée).

L’objectif est de partager ces enjeux en s’appuyant sur des données factuelles (en citant notamment comme source le site de la chambre d’agriculture).

Ensuite, ils sont répartis en 6 groupes devant traiter des thématiques suivantes :

  • Eau, ressource et qualité (2 groupes)
  • Biodiversité sauvage et domestique (2 groupes)
  • Sol (2 groupes)

Chaque groupe est constitué d’environ 6 élèves/étudiant.e.s, chaque thématique est traitée par 2 groupes.

Les consignes de l’atelier sont détaillées et la durée de 50 minutes précisée. L’enseignant insiste sur la posture d’échange, d’écoute, et la complémentarité des expertises entre filières. La vigilance sur le fait de ne pas stigmatiser (agribashing et écolobashing) est soulignée.

La répartition dans les groupes et l’affectation des sujets à traiter sont faites par les enseignants. Chaque groupe doit répondre aux questions suivantes :

  1. Quel est l’état de la ressource et quels critères utilisez-vous pour définir son état ?
  2. Comment expliquer la situation de cette ressource, quelles informations manquent ?
  3. Quelles pratiques ou non pratiques de l’agriculteur expliquent cette situation ?
  4. Quelles ébauches de préconisations proposer à l’exploitant pour améliorer l’état de la ressource.

Chacun des groupes reçoit une page de couleur différente selon la question à traiter pour y répondre + 1 page blanche pour y noter leurs questions. Les élèves sont invités à se répartir le rôle de rapporteur pour chacune des questions.

Mise en commun :

Elle a lieu en plénière pendant une heure, animée par 1 enseignant avec un groupe de 47 élèves/étudiant.e.s.. Chaque groupe restitue son travail (rapporteur avec compléments du groupe) et des compléments sont apportés par l’enseignant.

Avril 2023 – atelier de 4 h –  réflexion et rédaction de préconisations visant à améliorer l’état des ressources naturelles de la ferme et présentation à l’éleveur

Les élèves/étudiant.e.s. se retrouvent à nouveau ensemble et reprennent le travail de la séance du mois de février. Ils n’ont pas retravaillé le sujet et ne sont pas retournés sur l’exploitation pour approfondir le diagnostic.

L’enseignant remet en contexte l’atelier et rappelle les éléments de diagnostic auxquels chaque groupe a abouti.

Les six groupes Eau, Biodiversité et Sol sont reconstitués et répartis en salle pour une séquence de 50 minutes de travail autour de la consigne suivante :

Comment l’exploitation étudiée pourrait mieux préserver les ressources naturelles Eau, Sol et Biodiversité ? Formuler deux préconisations argumentées à l’éleveur.

Chaque groupe doit désigner des rapporteurs et préparer des diapositives sur un document de présentation partagé. Les enseignants accompagnent alternativement les groupes pour aider à ce que les élèves.étudiante.s parviennent à des préconisations précises.

Ensuite, élèves.étudiante.s  se retrouvent en plénière, devant l’éleveur. Chaque rapporteur (2 à 3 par groupe) présente ses préconisations. Une discussion est engagée avec l’éleveur.

Analyse de la séquence

Séquence réalisation d’un diagnostic sur les ressources naturelles de la ferme et rencontre des jeunes issus des 2 filières :

La première plénière

L’enseignant considère que les consignes de départ relatives à la demande d’écoute et de respect mutuels sont très importantes pour permettre un travail en commun entre les deux filières. L’objectivation des enjeux environnementaux étayés par des données scientifiques y contribue également.

Premier atelier de réalisation d’un diagnostic croisé

Les élèves et les étudiant.e.s ne se connaissent pas, ils démarrent les échanges sans s’être présentés.  Dans certains groupes, ils commencent par là.

Dans le suivi du travail de groupe des apprenant, la posture de l’enseignant peut s’avérer délicate : est-il présent simplement en observateur, en facilitateur, en appui, en personne ressource ? Il paraît opportun de laisser les jeunes interagir en autonomie sans trop intervenir, tout en relançant les échanges à certains moments ou en apportant des informations ou réflexions complémentaires. Il s’agit d’une posture d’accompagnement en retrait qui peut être moins familière pour certains enseignants que les postures d’apport ou d’accompagnement plus directives. Le degré d’intervention varie selon les enseignants, ainsi que l’acceptation des temps de silence réflexifs dans le groupe.

Nous avons perçu quelques difficultés dans certains groupes, notamment celui traitant du sol, pour échanger. Il semble que cette thématique soit moins évidente.

Dans la plupart des groupes, les jeunes semblaient manquer de données suffisamment précises pour présenter un état de la ressource sur l’EA. Les étudiant.e.s de BTS GPN se sont concentrés sur les haies et les élèves de CGEA pouvaient avoir oublié de poser certaines questions à l’agriculteur… Ces manques présentent l’inconvénient de limiter les réponses mais présentent en revanche l’avantage de multiplier les questions à poser et de prendre conscience des éléments à observer ou interroger pour pouvoir établir un diagnostic.

La question peut donc se poser en ces termes : faut-il mieux armer les apprenant.e.s avant d’aller sur l’exploitation pour qu’ils récoltent davantage de matière et approfondissent davantage leurs diagnostics ? ou bien faut-il au contraire les laisser partir plus spontanément comme c’était le cas ici, et exploiter le travail des ateliers en soulignant le foisonnement de questions à se poser ? Dans la seconde hypothèse il serait pertinent de pouvoir revenir ensuite sur l’exploitation pour collecter les données manquantes. Dans les deux cas, il paraît délicat de demander aux apprenant.e.s des préconisations si tôt. Intégrer que la compréhension d’un système complexe est un préalable avant toute proposition d’intervention peut être pertinent en termes de progression pédagogique. Les élèves pourraient être incités à identifier des leviers d’action en vue d’un échange avec l’agriculteur, qui aura lieu lors d’un prochain atelier ?

La restitution

Lors de la restitution, les élèves démarrent spontanément en évoquant les pratiques agricoles pour évaluer leur impact sur la biodiversité. Cette démarche est souvent utilisée pour les diagnostics agro-environnementaux : IBEA (outil de diagnostic de l’impact des pratiques agricoles sur la biodiversité) par exemple. Cela pourrait faciliter les échanges d’initier les échanges en abordant en premier les pratiques pour évaluer ensuite leurs impacts sur la biodiversité.

La restitution en grand groupe n’est pas évidente. La posture de l’enseignant alterne entre “évaluateur” et “animateur”. Les élèves partagent peu la richesse de leurs échanges.

Quelle réponse aux attentes et aux objectifs ?

Lors du déroulement des ateliers nous avons noté une qualité d’écoute mutuelle entre étudiant.e.s et élèves. En particulier, la valorisation de l’expertise des élèves en CGEA auprès des étudiants en BTS GPN est à souligner. Les jeunes intègrent des connaissances sur la production et sur les fonctionnements écologiques. Leur vision systémique de l’exploitation s’en trouve enrichie. Sur ce plan les ateliers ont donc répondu aux attentes.

On peut supposer que le regard des élèves comme des étudiant.e.s évolue suite à une telle séquence. Mais comment mesurer si leurs représentations et leurs systèmes de valeur ont évolué ? Voilà une difficulté rencontrée très souvent en sciences de l’éducation.

On peut relever certains verbatim d’apprenants du 1er atelier commun :

“ Il n’est pas possible de produire du lait en faisant pâturer des prairies permanentes. Les prairies temporaires sont nécessaires”. “En agriculture biologique, le sol est moins abîmé”.

On peut suggérer d’animer en fin d’atelier, en sous-groupe un blob tree pour favoriser l’expression de positionnement personnels. Bien sûr ça ne mesurera pas l’évolution mais ça peut permettre de repérer des choses intéressantes.

Analyse de la séquence : réflexion et rédaction de préconisations visant à améliorer l’état des ressources naturelles de la ferme et présentation à l’éleveur

Pour formuler des préconisations, les élèves/étudiante.s se réfèrent à la réglementation (Directive Nitrates notamment) et aux enjeux écologiques du territoire (mauvaise qualité de l’eau superficielle, trame verte, fertilité et érosion du  sol, … tout en gardant en tête l’objectif et les contraintes de la production agricole.

La perspective de présenter les préconisations à l’éleveur, en direct, en fin d’atelier contribue à la mobilisation des apprenants. Ils sont curieux de comprendre les enjeux écologiques et agricoles et se questionnent mutuellement.

Ce format d’atelier donne de la réalité aux notions abordées en cours. Beaucoup de concepts clé sont mobilisés de façon réaliste sur un cas concret : les savoirs deviennent des savoirs-outils, qui prennent du sens. Formuler des préconisations concrètes et réalistes, permet aux apprenants d’entrer dans une réalité opérationnelle.

Les préconisations étaient pertinentes, quoique manquant parfois de densité et d’applicabilité. Cela s’explique notamment par le fait que la réalisation du diagnostic et le travail sur les enjeux sur les ressources du territoire a été très rapide.

Bilan

Un exercice motivant pour les apprenants – transformer des savoirs scolaires en un outil professionnel opérationnel :

La situation pédagogique proposée met les jeunes en activité, dans une situation professionnelle réelle. Présenter des préconisations d’évolution de pratiques agricoles visant à améliorer l’état d’une ressource naturelle, en direct devant l’éleveur, constitue un enjeu qui a stimulé les jeunes et les a incités à coopérer.

Ils ont mobilisé des concepts et des savoirs étudiés en cours, pour répondre à la demande : ce sont devenus des savoirs-outils opérationnels, ayant du sens.

Poser un diagnostic sur une situation complexe nécessite de la collaboration aboutissant à une co-formation entre apprenants :

Pour poser le diagnostic de la ressource naturelle sur la ferme, “chaque filière” a besoin de connaître ce qu’a vu l’autre sur le terrain. Grâce au cadre de bienveillance et de respect mutuel posé par l’équipe enseignante, le dialogue a pu s’engager entre les apprenants. Les bacs pro CGEA, avec leurs connaissances agricoles, se sont sentis valorisés et écoutés par les BTS GPN qui ne connaissaient pour beaucoup pas le fonctionnement d’une ferme. Les BTS GPN ont pu partager leurs connaissances des fonctionnements écologiques.

Le raisonnement permettant de comprendre les liens entre:

  • La ressource commune et l’enjeu de préservation qui avait été présenté en intro par l’enseignant,
  • Le processus écologique,
  • Les pratiques de l’agriculteur,

s’est fait à l’occasion de ces échanges pour la réalisation du diagnostic. Il a souvent nécessité l’accompagnement d’un enseignant qui a relancé les échanges et a fait référence à des notions apprises en cours ou des apports théoriques.

Finalement, les jeunes sont en processus de co-formation et appréhendent la complexité de la transition agroécologique. Ils peuvent également se rendre compte de l’importance de collaborer et de faire appel à des personnes ressources pour poser un diagnostic. Ils ont également abordé l’incertitude car ils se sont rendus compte que le diagnostic était incomplet et qu’il aurait fallu retourner sur le terrain.

Formuler des préconisations permet la recherche de synergie entre production/préservation des ressources et le raisonnement à plusieurs échelles spatiales :

Le point de départ des préconisations repose souvent sur l’enjeu territorial pour aboutir à des actions à l’échelle de l’exploitation ou de la parcelle. Ce raisonnement entre différentes échelles est un des principes fondamentaux de la transition agrocéologie.

Pour justifier leurs préconisations, les jeunes montraient leur intérêt pour la production et pour la protection de la ressource. Par exemple, restaurer les mares permet d’accueillir davantage de biodiversité, et avoir de l’eau propre pour les troupeaux qui pourraient y avoir accès grâce à une pompe à museaux. C’est tout le concept de durabilité de l’exploitation et des services écosystémiques qui sont ainsi appréhendés.

Sortir de son rôle assigné : “Je produis”, ou “Je protège la nature” :

Bien que les représentations des jeunes n’aient pas été recueillies en amont et en aval, les enseignants les perçoivent comme moins “brutaux”, ancrés dans leur conviction qu’avant.

“Les CGEA deviennent curieux dans le cadre de cette action : ils posent des questions sur ce qu’est un corridor, un chiroptère, … Les BTS GPN demandent “pourquoi on ne va pas s’occuper des vaches” et des CGEA ont envie d’aller voir des sites naturels et compter de grenouilles.”

Pour l’enseignant, cette curiosité vers l’autre, a été possible car les contraintes de chacun ont été entendues et respectées : “ je peux prendre en compte la contrainte écologique si on respecte mes contraintes de production”.

L’objectif de déstigmatiser les publics et de créer du vivre ensemble a été atteint.

Conditions de réussite 

  • Eleveur déjà engagé dans la TAE et ouvert à la discussion
  • Poser un cadre et veiller à son respect pour éviter la stigmatisation “Ecolo, agriculteur-pollueur”.

Dimension interdisciplinaire à plusieurs niveaux

Cette expérience a mis en oeuvre une démarche interdisciplinaire à plusieurs niveaux :

  • Filières production et aménagement
  • Apprentissage / formation continue
  • Niveaux d’étude avec des terminales bac pro / des 1ère année de BTS

Le potentiel de co-formation des enseignants dans cette expérience n’a pas été évalué.

 

VIDEOS

 
Date :20 mars 2024
Mots-clés : Agroécologie, Analyse de pratiques pédagogiques, Conduite de projet, Exploitation agricole, halle, atelier, Motivation, engagement, Pédagogie de projet, Pluridisciplinarité (multi)

Voie de formation : Formation initiale
Niveau de formation : III (BTS)
Initiative du dispositif : Locale
Structure d’appui : Etablissement National d’Appui

Etat de l’action : Terminée
Nature de l’action : Innovation

 

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