M. Hervé Savy, doyen de l’inspection de l’enseignement agricole, a prononcé ce texte lors d’une table ronde, dans le cadre du séminaire régional Auvergne – Rhône – Alpes « Oser, partager, construire l’innovation pédagogique » qui se tenait dans les locaux de l’Institut français de l’Education, à Lyon, le 28 septembre 2016.
Vive la créativité pédagogique !
La conviction profonde que reflète ce titre est étayée par : une alerte inquiétante, la liberté comme principe organisateur, le rappel de « fondamentaux ».
Une alerte inquiétante
La récente publication du CNESCO relative aux inégalités sociales dans les systèmes éducatifs, qui rassemble les résultats d’une vingtaine d’études, laisse pantois : le système français serait un des plus inégalitaires au monde, selon l’échantillon des pays étudiés (OCDE ; PISA). De plus, la situation continuerait à se dégrader. Les raisons principales seraient de deux ordres, d’une part l’échec des ZEP, d’autre part le fait que tous les dispositifs d’aide personnalisée, d’individualisation, etc. mis en place depuis trente ans auraient été conçus comme marginaux dans le système. Ils ne seraient pas « entrés dans la classe ».
Du côté de l’enseignement agricole, on peut penser – probablement à raison – que ce système particulier est moins concerné ; encore qu’aucune étude spécifique ne permette de le dire. Oui, les questions de zonage ne concernent pas l’enseignement agricole dans les mêmes termes que le système éducatif dans son ensemble. Oui, les pratiques pédagogiques diversifiées sont (sans doute ?) assez présentes au quotidien dans les établissements. « Sans doute » signifie aucunement que l’on en est sûr !
En tous cas, on peut affirmer que ces pratiques ne sont pas aujourd’hui, de manière généralisée, au cœur de l’organisation pédagogique dans les établissements. C’est d’ailleurs une des conclusions récurrentes des études de l’Inspection de l’enseignement agricole ces dernières années, notamment celles qui concernent le rénovation de la voie professionnelle, autrement dénommée « bac pro en trois ans ».
Prenant sa part dans le paysage de ce constat inquiétant, l’enseignement agricole doit accélérer : il est nécessaire que les transformations de pratiques pédagogiques connaissent un essor significatif. L’heure est à « l’industrialisation » (la massification ?) de l’innovation pédagogique.
Pour les jeunes et pour le pays, l’évolution tendancielle décrite par les études du CNESCO est insupportable.
La liberté comme principe organisateur
Diversifier les situations et méthodes d’apprentissage, afin de proposer à chaque apprenant celles qui correspondent d’une part aux capacités qu’il doit atteindre, et d’autre part à ses acquis et ses caractéristiques sociocognitives, tout en tenant compte – bien entendu – des conditions matérielles concrètes de ces apprentissages, n’est-ce pas ce qui devrait guider l’action de tout enseignant, de tout formateur, de toute équipe pédagogique ?
Mettre cette diversité potentielle au centre de l’organisation signifie un changement radical de conception : que l’on arrête de parler des « marges » de liberté ou d’autonomie ! Il s’agit « d’espaces », qui doivent être centraux et non pas marginaux. C’est avec cette possibilité d’initiative, ouverte et variée, que doit s’exprimer le plus largement possible le créativité pédagogique, au coeur du système.
Ceci a une conséquence : que l’on arrête également de réclamer encore et toujours plus de « cadrage », avec des textes réglementaires de plus en plus longs et coercitifs. Historiquement, les premières notes de service relatives au contrôle en cours de formation tenaient sur deux ou trois pages. Aujourd’hui, elles dépassent largement le nombre de vingt. Inverser ce processus relève d’une nécessaire prise de conscience et d’une démarche collective impliquant tous les acteurs : administration, organisations d’enseignants, organisations de professionnels, parents, inspecteurs.
Il est incontournable que l’on assume dorénavant, en France, et particulièrement dans l’enseignement et la formation professionnelle agricoles, une grande liberté de création pédagogique. Si le but visé est prescrit (les capacités à finalités professionnelle et scolaire, ainsi que les intentions éducatives), la palette des méthodes et de leur conception doit être la plus large, dans le champ des possibles.
Le rappel de « fondamentaux »
Ce terme à consonance sportive est dorénavant entré dans le vocabulaire courant. Il ne s’agit pas ici de contenu, mais de méthode.
Repartons du prescrit, évoqué plus haut : ce qu’il définit, ce sont les résultats de l’apprentissage, et non ses modalités. C’est ainsi que sont conçus les référentiels de l’enseignement agricole. L’important réside dans le référentiel professionnel (qui décrit le métier visé, de manière prospective) pour les diplômes de cette nature, et le référentiel de certification (les capacités à atteindre), dans tous les cas. Le référentiel de formation (les prescriptions de formation) est accessoire. Il n’existe pas dans les diplômes préparés exclusivement par la formation professionnelle continue et l’apprentissage. Il pourrait fort bien être supprimé de manière générale.
En revanche, que l’on développe des documents suggestifs et non prescriptifs, conçus selon des principes curriculaires, qui indiquent des pistes, est une voie à promouvoir. Au delà du contenu proprement dit, ce changement serait significatif d’une évolution des postures. Celle de l’accompagnement, qui n’exclut en rien l’apport magistral (répondons préventivement à cette critique !) mais symbolise la diversité des modes d’intervention possibles, avec un objectif simple, la réussite de l’apprenant, et non prioritairement le respect d’une norme externe. Innover dans cette perspective de réussite signifie parfois que l’on s’affranchisse de la norme, si celle-ci est prescriptive en « bien » ou « mal ». Si les règles du jeu sont définies différemment, cela ouvre d’autres champs du possible.
L’innovation pédagogique n’est plus une option. Elle est dorénavant constitutive des métiers d’enseignants et de formateurs. Il s’agit d’inventer au quotidien des solutions originales et diversifiées adaptées à la variété des apprenants.
Il y a urgence à faire en sorte que la créativité pédagogique soit aujourd’hui la norme.
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