L’approche par les capabilités, la construction identitaire au prisme de l’engagement… Deux thèses qui explorent les relations aux changements

Le site Pollen propose au menu Recherche et pédagogie quelques travaux de recherche en lien avec l’enseignement agricole et une sélection de thèses en sciences de l’éducation.

Considérant l’innovation pédagogique comme un processus de changement, changement qui se construit et s’installe dans la durée, deux thèses récentes ont retenu notre attention : La thèse de Dorothée Cavignaux-Bros intitulée « L’ingénierie pédagogique et le numérique : l’introduction du numérique dans l’ingénierie pédagogique selon l’approche par les capabilités » et la thèse d’Angéline Plénard, « Moi, enseignant. Comprendre la construction identitaire au prisme de l’engagement ».

Nous ne tenterons pas ici de « résumer » des travaux de recherche aussi complets et conséquents mais nous proposons de mettre en avant quelques éléments qui nous semblent pertinents lors d’un processus de changement et qui parfois se répondent d’une thèse à l’autre.

Dorothé Cavignaux-Bros s’intéresse à la digitalisation de l’ingénierie pédagogique en formation professionnelle des adultes, c’est-à-dire la place que prend le numérique dans la fonction d’ingénierie pédagogique. Mais elle tente également de regarder comment les chargé-e-s d’ingénierie pédagogique sont en capacité de mettre en œuvre ces compétences numériques.

Nous ne présenterons pas ici le lien entre le numérique et la fonction ingénierie pédagogique, qui est très bien développé en première partie de la thèse. Ce qui nous semble original est le fait de chercher à comprendre comment les chargés d’ingénierie sont capables d’utiliser le numérique dans leurs accomplissements professionnels. Trop souvent, sur le sujet du numérique, on se satisfait de regards de surface en considérant que les personnes aiment ou pas le numérique, sont bien équipées, ou pas, ont des prédispositions personnelles… Pour aller plus loin il faut de la méthode. C’est justement ce propose l’approche par les capabilités.

Economiste et philisophe, théoricien du développement humain et prix Nobel de l’Economie en 1998, Amartya Sen a développé le concept de capabilité, avec l’idée que la liberté d’action et la capacité à agir sont les éléments clés du développement humain. Transposée dans le domaine professionnel, cette approche par les capabilités consiste à regarder comment les personnes peuvent agir et choisissent d’agir dans un environnement donné. Si les personnes peuvent agir au mieux, on parle d’environnement capacitant.

Le processus est décrit dans ce schéma. Au départ l’individu a l’opportunité de se saisir de ressources, qui peuvent être personnelles, matérielles, sociales, organisationnelles… Si ces ressources sont effectives, accessibles, disponibles… l’individu peut les convertir en possibilité d’action. On parle de facteurs de conversion. L’examen de ces facteurs de conversion nous semblent intéressants lors de la conduite d’un projet innovant car il n’interroge pas seulement sur la nature des ressources, souvent nombreuses, mais sur la capacité de chacun à s’en saisir, ce qui peut être un facteur explicatif de certains comportements.
Ainsi l’individu qui dispose de toutes les ressources pour agir va ensuite effectuer des choix. En fonction des moyens, des conditions, des contraintes, de son libre arbitre, l’individu va vouloir agir, effectuer une réalisation, un accomplissement. C’est le processus liberté qui active des facteurs de choix. Là encore c’est un point souvent peu exploré : Quand une personne dispose apparemment de toutes les ressources pour agir mais ne s’engage pas… Pourquoi ? Que se passe-t-il vraiment ? Que faire ?

Les concepts de l’approche par les capabilités sont résumés dans ce tableau (cliquer dessus pour agrandir)Dorothé Cavignaux-Bros développe son travail de recherche à partir d’un corpus de 246 annonces de stages à destination de futurs chargé-e-ès d’ingénierie pédagogique et d’un corpus d’entretiens auprès de 21 chargé-e-s d’ingénierie pédagogique en activité. Elle repère des facteurs de choix qui, hormis les contraintes externes à la personne, se rapportent à un sentiment d’appartenance, à des convictions, à des motivations et à des logiques d’action. Il est intéressant dans la thèse de voir comment chaque personne se positionne sur ce schéma, et pour quelles raisons.

Ce travail sur l’analyse des capabilités, c’est-à-dire le pouvoir d’être en capacité d’agir dans une situation donnée interroge la liberté et les choix de l’individu dans l’action.

C’est ce que regarde, sous un autre angle, Angéline Plénard avec sa thèse « Moi, enseignant. Comprendre la construction identitaire au prisme de l’engagement ».

Les enseignants évoluent dans leurs façons de faire au cours de leur carrière et dans un environnement professionnel, lui aussi changeant. Pour rester dans le métier d’enseignant, l’individu va se construite une identité professionnelle qui articule des transitions identitaires. Ainsi l’individu, en fonction de son vécu, de ses représentations, de ses valeurs, etc. saisit, ou non, des opportunités qui se présentent à lui dans son environnement de travail. Le concept d’engagement permet ainsi d’explorer la construction et les transitions identitaires des enseignants qui entrent et qui restent dans le métier.

Nous n’aborderons pas ici la notion d’identité professionnelle, traitée dans la première partie. Pour ce qui est des transitions identitaires, l’étude se penche sur les évènements, les situations qui font que les individus changent de façons imperceptibles. Les transitions sont vues comme des moments chargés d’émotions et de questionnements existentiels, qui touchent une ou plusieurs dimensions de l’identité (professionnelle, familiale, personnelle, sociale…), mais elles sont aussi un moment fort de réflexivité et de confrontation directe avec autrui, avec soi-même et avec le réel de la vie.

Ce qui amène l’auteure à interroger les dynamiques de l’identité et des formes de motivation dans l’exercice du métier d’enseignant avec une enquête quantitative auprès d’enseignants du primaire, avec 3 grandes catégories d’items : Moi, en tant qu’enseignant(e), Moi et mes collègues, Moi et la société.

Cela pour répondre à trois hypothèses.

  • La première, que la reconnaissance de soi par soi de ses compétences est tout aussi importante que la reconnaissance par autrui.
  • La deuxième qui suppose que la compétence pour l’individu de mettre en place une collaboration avec ses collègues est essentielle pour développer un sentiment de reconnaissance de ses gestes
  • La troisième, le besoin de reconnaissance sociétale est nécessaire pour le développement de l’identité sociale.

Angéline Plénard questionne ensuite le concept d’engagement professionnel, définit par De Ketele comme « l’ensemble dynamique des comportements qui, dans un contexte donné, manifeste l’attachement à la profession, les efforts consentis pour elle ainsi que le sentiment du devoir vis-à-vis d’elle et donne sens à la vie professionnelle au point de marquer l’identité professionnelle et personnelle. » et tente de comprendre les processus de construction identitaire des enseignants en s’interrogeant sur leurs engagements professionnels.

La première hypothèse interroge l’importance de la reconnaissance chez l’individu qui, pour trouver un équilibre, a généralement besoin de trois types de reconnaissance : personnelle, sociale et institutionnelle. La deuxième hypothèse est que l’individu au travail est dans une dynamique d’engagement au quotidien qui le pousse à refaçonner son identité.

Nous mettons en exergue ici quelques résultats de cette analyse. Tout d’abord, le travail régulier et collaboratif avec des pairs fait partie de la composante appartenance sociale et relationnelle du schéma de l’identité. Ces moments collaboratifs sont d’autant plus importants que les enseignants n’ont pas le sentiment que leur travail soit reconnu par la société (socialement ou économiquement). Ensuite une quête de sens expliquerait la composante personnelle et biographique. Cette quête passe par une reconnaissance de ses compétences de soi par soi et intègre « la reconnaissance professionnelle en lien avec les évolutions des élèves », c’est-à-dire la valorisation de soi par la réussite des élèves. Cette analyse met en évidence un phénomène commun entre le concept d’identité et celui d’engagement professionnel qui est celui de la reconnaissance.

La suite de la thèse va tenter d’ étudier en quoi l’analyse des transitions identitaires permet d’éclairer les engagements professionnels des enseignants en écoles primaires, et de transformer l’identité globale des individus/enseignants, avec l’idée que le sentiment de reconnaissance de soi par soi et de soi par autrui favorise des processus qui permettent à un enseignant de se reconnaître de façon inconditionnelle comme une personne authentique agissant dans son monde partagé avec Autrui, mais dans lequel il peut s’exprimer à la première personne du singulier. Ce sentiment de reconnaissance active alors les processus de construction identitaire et d’engagement professionnel.

Angéline Plénard mobilise alors la théorisation ancrée, une méthode d’analyse qualitative qui « vise à générer inductivement une théorisation (au sens de comprendre le sens d’un phénomène) au sujet d’un phénomène culturel social ou psychologique, en procédant à la conceptualisation et la mise en relation progressive et valide de données empiriques qualitatives », (Paillé, 1996). avec un aller-retour permanent entre les données recueillies et le processus de théorisation.

L’analyse permet de constater que le processus de l’engagement professionnel des enseignants s’effectue grâce à trois facteurs activant la reconnaissance par Soi et par Autrui : le rapport aux collègues (collaboratif, entraide et projet, amical ou social), la dimension affective (sentiment d’utilité, satisfaction au travail) et la recherche de nouvelles compétences.

La notion de reconnaissance professionnelle va de pair avec la considération et l’estime, que la personne a d’elle-même, qui lui permet de justifier sa place. La reconnaissance professionnelle est « un processus global qui intègre une dimension évaluative de l’activité effectivement mise en œuvre, une dimension de valorisation et de légitimation du positionnement de l’acteur au travail » (Jorro, 2007).

Les représentations du métier, qui mettent en tension une représentation de soi, une représentation du métier, une représentation de soi dans ce métier, tout cela en interaction avec autrui interviennent à la fois dans le processus de construction identitaire et dans celui d’engagement professionnel.

Le travail de recherche continue par l’environnement de travail et les opportunités. Percevoir une opportunité c’est percevoir qu’une action est possible, attribuer une valeur à une opportunité et s’en saisir, c’est s’engager dans l’action. L’action s’inscrit dans un contexte motivé avec un besoin de reconnaissance important permettant à l’enseignant de sélectionner des opportunités particulières parmi un ensemble qui se peut très grand. Pour cela il faut que les opportunités soient présentes, visibles, accessibles et pour lesquelles l’individu attribue une valeur forte.

La conclusion générale de ce travail de thèse peut être formulée de la manière suivante : l’engagement professionnel des professeurs des écoles est un processus activé par la reconnaissance de Soi par Soi et de Soi par Autrui ainsi que par les représentations professionnelles de l’individu. Ce processus se constitue par la recherche d’un soi actuel et futur entraînant une actualisation et une réactualisation de son soi qui passe par ce que l’on nomme des transitions identitaires.

Ainsi ces deux thèses s’intéressent au pouvoir d’agir, dans un environnement, avec des opportunités et un libre engagement dans la nouveauté et le changement. Les facteurs que sont la reconnaissance de Soi par Soi et de Soi par Autrui et les représentations professionnelles peuvent aider à comprendre l’engagement ou non d’un acteur dans la tâche, l’accomplissement.

 

Évidemment nous vous invitons à consulter ces travaux dans leur intégralité :

Lien direct vers la thèse de Dorothée Cavignaux-Bros

Lien direct vers la thèse d’Angéline Plénard

Lien vers la page Thèses de Pollen

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 




L’intelligence collective, au service de l’éducation, de l’innovation et de la classe.

François Taddei propose un nouvel ouvrage : Apprendre au XXIe siècle, chez Calmann Levy hachette.fr

François Taddei plaide pour une (r)évolution de  nos savoirs. Il nous entraîne dans les méandres du  cerveau, meilleur ami et parfois pire ennemi des  apprentissages. Il se penche également sur comment  apprendre avec les autres, en coopération,  à l’image de ce que font tous les organismes vivants  depuis les origines de la vie, et explore les meilleures  manières de commencer à se poser de bonnes questions.

Il présente son livre dans cette vidéo.


 

 

Cela nous amène à la notion d’intelligence collective, portée au devant de l’actualité par l’ouvrage d’Émile Servan-Schreiber : Supercollectif. La nouvelle puissance de nos intelligences, fayard.fr

Docteur en psychologie cognitive, Émile Servan-Schreiber a été journaliste et ingénieur en intelligence artificielle. Depuis vingt ans, à la tête de Lumenogic et d’Hypermind, il partage son temps entre la recherche sur l’intelligence collective et ses applications pratiques au service d’entreprises et de gouvernements. Cette vidéo montre la puissance d’une intelligence collective « organisée ».

 

Un podcast de France Culture
Brice Couturier, Les foules sont-elles irrationnelles et stupides ? A contrario, existe-t-il une intelligence collective capable de résoudre des problèmes trop compliqués pour les experts eux-mêmes ? Intéressant pour repérer les conditions à remplir pour déboucher sur des actions concrètes.


 

En complément, cet article de owni.fr montre plusieurs exemples de la petite révolution de l’intelligence collective. 

 

 
Appliquée au niveau local,
l’intelligence collective se traduit en méthodes d’animation des collectifs locaux, au service des bonnes idées et de l’innovation.

 

Pour voir ce que cela peut donner concrètement dans un établissement, découvrez l’article de Monique Royer dans « Les portraits du jeudi » : Éloge de l’intelligence collective, sur cahiers-pedagogiques.com

 

  

Et l’intelligence collective peut être mobilisée en classe, la preuve avec cette exemple : La classe mutuelle, l’intelligence collective à l’œuvre ! présenté sur lewebpedagogique.com

Avec cette vidéo qui présente bien le fonctionnement de cette classe « mutuelle » qui stimule de façon collective toutes les intelligences.

 

 

 

 

 

 

 

 




Initier une innovation pédagogique, au lycée de Tours – Fondettes

Frédéric Lalanne est proviseur adjoint du lycée de Tours Fondettes agrocampus.

Associé au dispositif RESAPE, le réseau de directeurs-adjoints en charge de la formation initiale scolaire de l’enseignement public agricole français, il présente comment il aborde le changement en établissement, avec des stratégies de « ballon d’essai » et de « boule de neige ».

Découvrez la description complète de cette approche.

Cette action sera présentée lors d’un atelier des deuxièmes rencontres nationales de l’innovation pédagogique de l’enseignement agricole.

 

 

 

 

 

 

 




Innovation et management pédagogique, un article et un ouvrage pour faire « du bon boulot ».

Deux nouveautés ont retenu notre attention : un article de l’IFé – centre Alain Savary et un ouvrage d’Alain Bouvier.

Le centre Alain Savary publie un article intitulé : « Innover, oui, mais pour arriver ensemble à faire ce qu’on ne sait pas encore faire… «  qui aborde le changement en établissement, le rôle des managers et qui reprends la thèse défendue par Yves Clot, comme quoi « le bon travail », discuté dans un vrai collectif, est au service de la qualité du travail et, au delà,  de la santé au travail. (Vous trouverz ci dessous une courte vidéo d’Yves Clot).

Pour lire l’article complet…

 

En complément paraît l’ouvrage d’Alain Bouvier : « Pour le management pédagogique : un socle indispensable. Connaître – Éclairer – Évaluer – Agir »

Ce livre présente le système éducatif français dans son organisation, comme élément particulier et constitutif de l’État, apporte un éclairage sur la théorie des organisations, notamment dans ses formes les plus récentes (réseaux, e-organisations, systèmes apprenants…), aborde la question des résultats en termes d’évaluation des politiques publiques d’éducation propose des scénarios pour le futur et des pistes pour une évolution réfléchie du système éducatif français.

M. Alain Bouvier,ancien recteur et en charge de nombreuses publications, était intervenu en 2015 lors des premières rencontres nationales de l’innovation pédagogique de l’enseignement agricole.

 

 

 

Intervention Alain BOUVIER – ENFA avril 2015 par ENFA_Toulouse