Comme d’autres collègues de l’enseignement agricole, nous faisons le constat que nos élèves ne posent et ne se posent pas beaucoup de questions, et ils sont rapidement en difficulté à l’école dès qu’il s’agit de proposer une analyse ou une réflexion sur une situation professionnelle ou sociale. Là, quand nous les sollicitons, Ils alternent entre des comportements « scolaires » essayant de deviner ce que leur enseignant attend, sans vraiment réfléchir à la question posée, avec des comportements de fuite ou de désengagement qu’ils justifient d’un : « de toute façon j’aurais mon bac pro ! ».
Dans l’épreuve de rapport de stage, ce constat est plus problématique. Les élèves étant dans la description, quand le jury attend l’analyse d’une décision stratégique. Ceci car nos élèves ne donnent pas à voir leurs raisonnements. Or, nous observons qu’ils en développent, mais en dehors de la classe et des évaluations, par exemple lorsqu’ils discutent entre eux à la pause.
Le second constat que nous faisons concerne les difficultés à instaurer un climat de travail performant et constructif pour tous. Moqueries, piques, provocations, bavardages sans lien avec le cours, mise au travail compliquée, etc… Ces attitudes mettent en jeu les capacités psychosociales des élèves, que l’on nomme souvent sous le « vivre ensemble », et concerne de fait la dimension de la citoyenneté qui est en construction pour ces presque jeunes adultes. Ce climat de travail parfois tendu influence bien sur la possibilité de se concentrer sur les apprentissages.
Aussi, les questions qui nous animent ne sont pas très originales. Il s’agit pour nous de réfléchir à comment pourrait-on travailler un peu la porosité entre ce qui se passe dans et en dehors de la classe ? Comment réintégrer leurs discutions et en faire des échanges utiles pour toutes et tous ? Comment expérimenter d’autres modalités pédagogiques pour les pousser à se mettre en situation de s’engager, de s’intéresser aux préoccupations professionnelles des agriculteurs du territoire tout en développement leurs capacités et connaissances ? Mais c’est aussi de réfléchir à des mises en situation qui permettent de travailler leur capacités à s’écouter, à respecter les points de vue différents, à ne pas juger a priori, à prendre son tour de parole, argumenter et défendre son point de vue dans un cadre qui l’autorise, etc… Comment se mettre en condition de questionner, de chercher à comprendre avant de rejeter toute nouvelle idée au prétexte qu’elle est marquée pour eux idéologiquement, où portée par une enseignant de telle ou telle discipline ?
Ces quelques constats, nous les avons partagés avec les équipes de la mission d’appui pédagogique d’Agrocampus-ouest mais aussi avec des sociologues qui sont engagés dans une recherche-action pour mieux comprendre l’évolution des pratiques agricoles sur notre bassin versant. Ils nous ont proposé une l’idée qui peut paraître étrange : « faire faire de la recherche prospective en sociologie du travail aux élèves ». C’est-à-dire mobiliser la démarche de recherche-action comme une situation pédagogique pour développer à la fois des connaissances techniques, scientifiques, mais également des capacités à agir, à interagir, à analyser, à coopérer, etc…. Et bien sûr, de profiter des controverses sociotechniques que ne manqueraient pas de porter les élèves pour engager du débat et apporter des connaissances.
Nous nous sommes donc appuyé sur la situation qu’ils apportaient pour proposer aux élèves de participer à un projet utile pour le territoire, et d’être en mesure d’apporter des compléments d’informations aux équipes de recherches via le questionnement des pratiques de leurs maîtres de stage.
Rapidement, nous avons perçu les nombreuses connexions possibles entre le projet tiers temps concernant l’animation et le développement du territoire, les dynamiques « enseigner à produire autrement », la rénovation du Bac Pro qui insiste sur la diversité des exploitations et des situations professionnelles à étudier, et la volonté de conjuguer l’enseignement de la transition agroécologique avec une transition pédagogique que nous pensons nécessaire.
Les principes de coopération posés, restait encore à opérationnaliser cette initiative : intéresser les élèves, les collègues, évaluer les résultats –donc se fixer des objectifs -. Alors comment fait-on cela ? Quels résultats cela a-t-il produit ? C’est le témoignage que nous vous proposons de découvrir en détail agrémenté d’une vidéo présentant un retour des élèves de notre classe de 1ère CGEA.
Erwan Bariou, Sandrine Poulet, Benoit Jamet
EPLEPFPA de Caulnes