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Apprendre à questionner et à analyser le travail pour expliciter sa « SPV » au Lycée de Sées (61)

EPL ALENCON-SEES, Normandie

9, rue du 11 novembre 1918

 61500 Sees

Tél : 0233817400
Site web : http://www.alencon-sees.educagri.fr/
Responsable : Guy FOUCHER , guy.foucher@educagri.fr
Rédacteur de la fiche : Renaud Jegat et François Guerrier, Responsabe du projet d’expérimentation
, renaud.jegat@educagri.fr

DESCRIPTION SYNTHETIQUE DE L’ACTION

Apprendre à questionner et à analyser des situations professionnelles vécues à Sées (61)

Propos introductifs

L’établissement de Sées est engagé dans une expérimentation pédagogique, contractualisée auprès de le DRAAF de Normandie, dont l’objet est de travailler à l’évaluation sans note.

En relation directe à cette expérimentation, l’équipe pédagogique du BTSA GPN s’interroge de savoir comment préparer les élèves à l’épreuve E7. Il s’agit d’une épreuve relativement nouvelle, qui vise à rompre avec une logique de contrôle de connaissance, pour s’intéresser à apprécier les capacités (entendues comme un potentiel d’agir en situation) des étudiants dans une situation professionnelle vécue. Cette épreuve repose sur l’explicitation d’une Situation Professionnelle Vécue (SPV, dite « ma espévée » par les étudiants). Pour réussir leur épreuve, les étudiants s’inquiètent de savoir ce que le jury attend d’eux lors de cette épreuve, de savoir si leur « espévée » en est bien une, ce qu’il faut pouvoir en dire, etc…

L’équipe pédagogique se trouve dans une situation complexe. Elle doit expliquer à des élèves qui n’ont pas d’expérience professionnelle, qu’ils doivent se préparer à expliciter à un jury une SPV en s’appuyant sur une expérience qu’ils et elles n’ont pas encore.

Alors, comment amener les étudiant-es à s’approprier cette épreuve et à se faire une bonne idée de ce qui est attendu à l’examen ? Comment leur permettre d’être plus à l’aise avec cette épreuve et limiter les phénomènes de stress ?

La suite du témoignage illustre plus en détail les contours de l’expérimentation, dans ce que nous voulions faire, et dans ce que nous avons réussi à tenir, en tout ou partie.

Il est complété par des réalisations vidéo impliquant les étudiants.

A l’origine de l’action…

L’idée première -issue d’un échange lors d’un séminaire national en 2015[1]– a été de réfléchir à donner à voir et à analyser aux étudiant-es des expériences professionnelles. Pour cela nous pensions utiliser des supports vidéo pour documenter des situations professionnelles, un peu comme si l’on faisait passer l’E7 à des professionnels sur leur lieu de travail. Puis nous aurions visionné ces vidéos en classe.

Après un premier contact, AGROCAMPUS-OUEST n’a pas répondu directement à la demande de documenter des situations professionnelles. Mais, suite à un temps d’analyse de la demande, a proposé de construire un dispositif qui puisse contribuer au développement cognitif des étudiants en les engageant un peu plus. En effet, le problème général -qui s’est construit au fil du temps- était que les étudiants ne disposaient pas d’outillage méthodologique et conceptuel pour analyser une situation professionnelle (ou sociale), ce qui est le fondement de cette épreuve. Or, si, pour produire des vidéos à étudier en classe, le professionnel est questionné par les enseignants, ce seront ces derniers qui travailleront et apprendront le plus ! Et il n’est pas évident qu’à partir du visionnage d’une interview de professionnel les étudiants soient en capacité de s’approprier la démarche. Nous avons donc convenu de ne pas nous limiter à visionner une interview, mais de tester l’idée de faire construire ce « documentaire » par les étudiants. La séquence a ensuite été coconstruite en s’appuyant sur des moments clés de la formation : le départ et le retour de stage pour utiliser au mieux cette situation d’apprentissage.

Éléments de diagnostic et de contexte.

Les enseignants constatent que les étudiant-es ne s’approprient pas les attendus de la professionnalisation. Ils éprouvent donc des difficultés pour préparer efficacement leurs situations d’évaluation, et les explications apportées sur ce qui est attendu lors de l’E7 apparaissent théoriques et abstraites pour la grande majorité. Pour eux, l’important des situations professionnelles semble résider dans le visible de l’activité (ce qui est transformé), dans la performance observable. Et leurs récits manquent cruellement d’épaisseur quant aux processus mis en œuvre pour maîtriser la situation professionnelle.

Hypothèses sur ce qui pose problème

Notons que les points de vue exprimés ci-dessous ne sont ni exhaustifs ni hiérarchisés, bien que parfois certains puissent s’enchaîner.

C’est normal que les attendus de l’épreuve soient difficilement accessibles aux étudiants

Il est difficile de se remettre dans la position de l’étudiant puisque nous avons changé au travers de nos expériences. Nous ne voyons plus les choses « comme avant », et ce qui peut nous paraître comme évident avec de l’expérience professionnelle ne l’est évidemment pas sans. Aussi, il faut considérer l’absence d’expérience professionnelle comme un élément qui est source d’incompréhension entre enseignants et élèves.

Ce qui vaut -a de la valeur- pour les uns n’est pas ce qui vaut pour les autres

C’est un autre biais lié à l’expérience professionnelle. Il y a un écart entre ce qui a de la valeur pour les enseignants et les professionnels, et ce qui a de la valeur pour leurs étudiants. Cet écart est pour partie le produit de l’expérience professionnelle. Pour les adultes, on ne peut reproduire une performance que si l’on a compris ce qui conduit à la performance dans une situation donnée. Et s’intéresser uniquement à la performance, au visible, ne dit presque rien quant à la possibilité de la renouveler. Or, au travers de l’E7, il est question d’estimer la capacité d’une personne à renouveler une performance, et non de l’atteindre une fois. Le jury (l’enseignant) cherche donc à évaluer la capacité à raisonner la situation comme son activité propre dans la situation. Or, l’objectif d’un étudiant est premièrement de faire, et de réussir à faire. Ce qui vaut pour lui, c’est la réalisation de l’action, pas le raisonnement de et sur l’action. Pour eux, expliciter reviendrait à une forme d’intellectualisation de l’action, à un discours inutile et sans intérêt.

Les étudiants se considèrent en formation scolaire et non en formation professionnelle

Les étudiants ont tendance à négliger ce qui fonde la prise de décision et l’autonomie en situation, et survalorisent les attitudes de répétition et d’imitation. Ils confondent le « je suis en situation professionnelle vs je suis en TP dans un cadre scolaire ». Là encore, cela joue sur la valeur qu’ils accordent aux situations d’apprentissages vécues comme des figures imposées d’un programme scolaire et non comme une mise en situation pour s’entrainer à agir en professionnel qui évalue et tire des enseignements de sa pratique.

Sans l’expérience d’une analyse de la pratique professionnelle, il est très difficile de percevoir l’intérêt et les attendus de l’E7

Si certains professionnels s’intéressent à la façon dont ils travaillent, c’est qu’ils ont appris tout l’intérêt de comparer, ajuster, adapter son action dans de nombreuses situations pour améliorer leur pratique, gagner en confort au travail, etc… Réfléchir et raisonner sa pratique prend donc (plus) facilement sens quand on fait l’expérience concrète qu’évaluer son activité permet de se développer et de gagner en « pouvoir d’agir ».

Exposer une « SPV » nécessite de développer des capacités « méta » qui ne font pas explicitement l’objet d’un enseignement.

L’explicitation d’une situation de travail est en soi une activité complexe pour les professionnels lorsqu’ils sont confrontés à un interlocuteur maîtrisant les techniques d’interviews et le cadre d’analyse d’une SP. Alors pour des étudiants ayant peu d’expérience professionnelle, pas de méthodes ni de techniques d’analyse des situations de travail, peu d’entrainement à l’évaluation de leurs actions…

Or, réussir l’E7 nécessite la capacité à réaliser la situation évaluée, mais également la capacité à évaluer son activité en vue de maîtriser cette situation. Autrement dit, d’avoir une conceptualisation de l’action pour « tenir » la situation, afin de pouvoir discuter des écarts entre le prescrit pour une SP et l’activité déployée dans « sa SPV ». Et pour cela, il faut donc convoquer une capacité à donner à voir, à évaluer ses capacités en action. Ce qui ne fait pas explicitement l’objet d’un enseignement.

D’ailleurs, ces capacités font-elles l’objet d’une formation professionnelle pour les enseignants et membres de jurys ?

Pour donner de l’intérêt à la démarche, il faut sortir d’un cadre purement scolaire

Pour conférer à l’E7 une valeur autre que scolaire, et donc pour intéresser et créer les conditions de l’engagement des élèves, nous devons amener les élèves à y percevoir un intérêt et une valeur professionnelle. Les amener à saisir l’intérêt de se doter de capacités à apprendre à apprendre tout au long de la vie à partir de son expérience professionnelle. A voir la réussite de l’E7 comme la possibilité d’apprendre à se développer et non de simplement de savoir réciter sa « espévée » en échange d’une note correcte.

Les étudiants profitent assez peu du potentiel d’apprentissage de leur stage en milieu professionnel par manque d’outillage méthodologique et conceptuel

Ils se trouvent en effet face à de nombreuses situations professionnelles… qu’ils ne savent pas débusquer. Face à des prescriptions, des enjeux, des réalisations, des tensions et des arbitrages, etc… qu’ils ne savent pas enquêter. Certain-nes peuvent avoir peur de poser des questions (risque de montrer son incompétence, de déranger, etc…). Comment peuvent-ils alors se préparer à présenter et à expliciter une « SPV » ?

Évaluer l’activité au travail contribue à la socialisation, à l’autonomisation et améliore l’efficacité dans les apprentissages formels et informels.

Évaluer son travail, revient à prendre conscience que l’on sait que l’on sait faire. C’est de gagner en maîtrise et de nourrir son sentiment d’efficacité personnelle. Et donc nourrir sa confiance en soi et gagner en autonomie.

Mais disposer de capacités pour enquêter le travail, c’est également l’occasion d’apprendre à partir de l’expérience professionnelle des autres. Et, en questionnant pour chercher à comprendre comment l’autre fait, sur quoi il s’appuie, à quoi il prête attention, etc… on s’intéresse à l’autre. On va reconnaître et considérer son interlocuteur parce que plutôt que de juger a priori, on cherche à mieux comprendre la façon dont il ou elle agit. Plutôt que de chercher à montrer ce en quoi on a raison, on va chercher à comprendre ce qui amène l’autre à agir de telle ou telle façon. Cette posture amène de fait la possibilité d’un échange et d’une rencontre professionnelle dans laquelle les protagonistes vont communément s’enrichir.

Les intentions pédagogiques : Comment faire pour que les étudiants sans expérience professionnelle accèdent aux attendus du jury pour l’E7 ?

A partir de nos hypothèses, nous (l’équipe du BTSA GPN de Sées impliquée et AGROCAMPUS-OUEST) nous sommes orientés vers l’idée d’amener les élèves à s’approprier le cadre d’analyse d’une situation professionnelle par la production d’une vidéo/documentaire qui amènerait à enquêter, à questionner des professionnels « à la façon » dont un jury pourrait les questionner pour percevoir leur capacité à maîtriser la SPV qu’ils présentent. Et, ce faisant, nous y gagnerions une vidéo pour illustrer certains cours.

Principaux principes d’actions

  • Puisque les étudiants n’ont pas d’expérience, nous allons les mettre en situation de s’en construire une ! Nous allons se mettre en situation de questionner une SPV, et donc un professionnel qui doit expliciter une SPV de son choix,
    1. Une mise en situation professionnelle dans le cadre du projet ,
    2. qui repose sur le principe d’une pédagogie de l’expérience analysée collectivement : en mobilisant des exemples dans le groupe, en s’appuyant sur leur vécu, en évaluant collectivement, en s’appuyant sur des expériences via des vidéos, etc….
  • Pour qu’ils puissent réussir l’activité, mais aussi pour se rassurer et limiter le stress, nous allons nous outiller pour savoir quoi chercher et comment chercher:
    1. Avec des techniques de conduite d’entretien inspirées de sociologie compréhensive et des travaux du GERDAL et de DIALOGUE (voir le dispositif TDTI pour exemple),
    2. Avec un cadre théorique inspiré des travaux du champ de la didactique professionnelle,
    3. Avec des exemples de représentations schématiques pour aider à se faire une conceptualisation de l’action,
  • Pour qu’ils se confrontent à l’exercice qu’ils auront à faire, nous allons faire en sorte qu’ils produisent une représentation de la « SPV », dont l’objet sera de donner à voir la complexité de la situation et l’activité du professionnel dans la situation en vue de la maitriser, et pour cela :
    1. Décrire la situation dans le métier de la personne, la situation et ses caractéristiques, l’activité du professionnel dans la situation,
    2. Conceptualiser et schématiser,
  • Pour donner de la valeur à leur travail, nous allons travailler deux dimensions :
    1. Se placer au plus près du travail, et donc aller enquêter les professionnels dans leurs conditions de travail et non dans la classe,
    2. Organiser une restitution auprès des professionnels enquêtés, ce qui renvoi à l’idée de don et contre-don : « vous m’avez accordé de votre temps et de votre savoir, je vous restitue une interprétation de ce que j’ai compris de votre activité qui peut aider à éclairer votre activité au travail »,
    3. Conduire une évaluation sur le travail réalisé et ce qu’il apporte à chacun, afin de mettre en mot : le sens, l’utilité, les difficultés rencontrées, etc, etc…
      1. D’un point de vue personnel,
      2. Dans le cadre d’une mise en commun collective,
  • Enfin, pour ce qui est de notre position, nous avons délibérément affirmé le principe d’une expérimentation pédagogique, pour
    1. Construire le problème que l’on vise à résoudre avec eux et pour leur réussite, avec un principe de pédagogie explicite,
    2. Leur accorder une place et faire en sorte par des actes que leur parole compte ; ils sont experts de ce qu’ils vont vivre, leur parole nous importe beaucoup pour réguler, nous considérons donc cette parole (et donc eux !), nous cherchons avec-eux, etc….
      1. Nous attendons leurs points de vue,
      2. Ils co-évaluent le travail en cours de production,
  • Leurs remarques font évoluer le dispositif ; Nous donnons à voir en quoi leur engagement amène à des évolutions tangibles.

Nos objectifs pédagogiques

  • Se construire les outils et connaissances permettant de réussir l’exercice (évaluer et présenter l’évaluation d’une SPV)
    1. Conduite d’entretien compréhensif, remobilisable pour enquêter lors du sage professionnel,
    2. Appropriation du cadre d’analyse d’une situation professionnelle (couple situation-activité),
    3. Conceptualiser à partir d’une analyse,
    4. Comprendre les attendus du jury et s’approprier la grille d’évaluation,
  • Percevoir l’intérêt et l’utilité de la démarche d’analyse de l’activité au travail,
    1. Des outils pour apprendre à apprendre tout au long de la vie,
    2. Apprendre à évaluer dans une situation et un contexte, apprendre à valoriser !
  • Attribuer de la valeur et du sens aux démarches compréhensives,
    1. Toucher du doigt la complexité des situations ; nous sommes toujours ignorant de ce qui amène l’autre à agir !
    2. Pour s’intéresser à l’activité de l’autre en situation de travail,
    3. Pour mettre à distance les idées préconçues, comprendre avant de juger, se mettre en situation d’enquête et de recherche.

Ce n’est pas vraiment un objectif pédagogique, mais nous avons retenu comme visée de prendre du plaisir à produire collectivement et à coopérer pour chercher à résoudre un problème.

Ce qui a été fait lors de la première année

Le déroulement général

      • Julia Combrun, chargée de mission Natura 2000, pour une situation d’inventaire du papillon le damier de la succise,
      • François Silande, technicien gestionnaire d’espace naturel sensible, pour une situation de de décapage de tourbière.
    • Un déroulé pédagogique avec
      • un apport de 4h00 le lundi après midi (incluant des exercices en vidéo), pour travailler le quoi enquêter et le comment,
      • une interview sur une matinée (4h00) menée par les étudiants, en deux groupes, lors de laquelle nous (intervenants et enseignants) nous autorisons à faire quelques interruptions pour proposer des reformulations et regarder ce que cela donne en action. Cette interview est filmée pour pouvoir produire si possible du matériau pédagogique,
      • un travail en groupe pour produire une première conceptualisation de la situation, faire des comparaisons entre les perceptions dans le groupe et réaliser une première restitution à chaque groupe, et une première évaluation sur ce qui a été fait (3h00),
      • un temps de « dérushage » des films, l’idée étant de s’entraîner à repérer les règles d’action, les critères de réussites, les connaissances mobilisées, etc… qui ont pu échapper lors de l’interview, (2h00). Ce travail a permis d’orienter la réalisation de la vidéo,
      • enfin un temps de restitution avec les professionnel-les (avec Julia Combrun, François Silande n’ayant pu se libérer), pour donner à voir :

Un premier bilan de l’expérimentation en année 1

Les principaux atouts de l’exercice

Du côté des encadrants

  • Renaud Jegat, qui a piloté le travail, remarque des résultats significativement meilleurs pour un 1/3 de la classe. Il s’agit de celles et ceux « qui se sont appropriés les outils pour eux et pour apprendre des situations, qui ont perçu de l’intérêt à attraper la complexité grâce au cadre d’analyse, le reste de la classe, les 2/3 ont picorés quelques éléments çà et là. Pour le dire autrement, celles et ceux qui ont picorés ne semblent pas avoir été perturbés par cet outillage, mais il n’est pas vraiment possible de mesurer un effet significatif ».
  • La séquence nous a permis de reposer l’importance de l’évaluation – en tant que processus individuel et collectif piloté par les enseignants- pour mettre des mots et proposer des apports sur les difficultés que les étudiants peuvent avoir pour questionner des situations de travail. Ce point interagit forcément sur leur performance en stage, et sur l’utilité du stage pour se développer et apprendre. Cela joue également sur leur capacité à construire du sens dans les différentes situations proposées au Lycée.

Du côté des élèves

  • Globalement le groupe a joué le jeu et s’est bien engagé dans l’action. Mais comme dans d’autres activités proposées par l’équipe pédagogique ! Notons une réelle satisfaction de ce qui a été fait.
  • En peu de temps, les élèves sont arrivés à sortir une première production intéressante de l’analyse de la SPV de François et de Julia.
  • Une partie des élèves ont repris les principes de schématiser leur « SPV » pour la présenter à l’examen. Pour eux, en plus de production textuelle, il y a également des schémas qui apporte une dimension analytique et non pas seulement descriptive.
  • Une majorité des élèves a pu comprendre « a posteriori » de l’interview ce qui aurait pu être posé comme question et l’intérêt de s’équiper de technique et de méthode.

Les limites de l’exercice

Du côté des encadrants

  • L’exercice de questionnement a été difficile, bien qu’intéressant. Lors de la coévaluation avec les étudiants il ressort comme difficultés :
    • de savoir « quoi questionner » ; mais cela a également comme effet positif de mettre le doigt sur ce qu’il faut apprendre ou acquérir comme références et connaissances !
    • A pourvoir interrompre et à réorienter le discours de l’adulte interviewé ; Mais cela permet de mettre en évidence le fait du statut social et des rapports sociaux dans les échanges,
    • De ne pas oser demander de précisions de peur de paraître incompétent ; Mais cela permet de pointer les représentations que l’on attribue au fait de poser des questions,
    • La tentation de donner la réponse dans la question (« si vous avez comme-ci, c’est parce que … ?),
    • De prendre des notes (car cela va trop vite / les étudiants n’en savent pas assez pour noter uniquement l’essentiel), et donc le risque d’oublier ; mais cela permet de pointer les techniques de prise de notes et à quelles conditions il est possible de s’en sortir !
    • De ne pas se laisser « emporter » par le discours ; en fait les étudiants écoutent par plaisir ce que raconte l’intervenant, mais ils n’ont pas toujours (en fait rarement) de démarche consciente de chercher des éléments de compréhension de « comment tenir la SPV ». Il leur reste alors quelques éléments qui ont fait sens mais pas la structure de la situation,
  • Le passage rapide à l’écrit semble nuire à la compréhension et à l’analyse du couple « situation/activité ». Comme souvent quand on leur livre un outil, les étudiants ont tendance à chercher à renseigner les boites, à les remplir, mais sans s’approprier les raisons qui font que ces « boites » existent. Ils ont tendance à penser que l’important c’est de remplir les boites (si je remplis bien comme il faut j’aurai ma bonne note) alors que pour l’enseignant, l’étude de cas vise à créer une situation permettant de comprendre le fonctionnement et les éléments du cadre d’analyse.
  • D’un point de vue « suivi de l’action », notons la difficulté à
    • Trouver le temps de permettre l’appropriation de ce qui est fait au-delà du noyau d’enseignant engagés (et dans les heures de cours desquels l’action a lieu). Une personne est tout de même venue à la restitution sans que l’on ait eu de retours sur ce qu’elle en avait retiré,
    • Inscrire l’action dans le cadre d’un suivi plus large (régional ou autre) car les différents acteurs sont happés par leur quotidien. Faire bien les expérimentations demande déjà un temps conséquent, alors faire connaître et partager en demande encore plus. Cela interroge plus l’institution « enseignement agricole » pour valoriser les initiatives intéressantes car il faut du temps, des espaces temps pour permettre l’appropriation.

Du côté des élèves

  • A chaud les étudiants manquaient d’éléments pour être en capacité de décrire et conceptualiser la situation. Le fait d’avoir filmé les échanges (35-40 minutes) a permis de revenir sur les questions mais aussi sur les réponses et la nature de celle-ci,
  • Globalement, les étudiants évoquent une partie théorique trop dense, qui amène à des confusions et un peu de décrochage. La partie pratique fonctionne mieux, avec l’intervention en cours d’action pour donner à voir les techniques d’entretien en relation avec son guide d’entretien : « c’est mieux en pratique parque là on voit bien comment on fait et ce que cela produit »,
  • Enfin, si les exercices de dérushage ont permis une démarche très analytique, elle a conduit à amener les étudiants à réaliser un travail scolaire car ils ont tendance à segmenter et à chercher à remplir des boites plutôt qu’à rechercher relations (convergences/divergences, tensions, dilemmes, causalité, …).

Ce qui a été fait lors de la seconde année

Principaux ajustements

Dans la suite des résultats nous avons procédé à plusieurs ajustements :

  1. Se donner plus de temps, pour permettre aux élèves de mûrir et de fréquenter différentes expériences, et de leur laisser le temps de pouvoir faire des liens et des ponts entre les concepts et apports,
  2. Nous commencerons plus tôt sur la première année, en mobilisant les secondes années pour qu’ils viennent présenter leur travail et témoigner de leur expérience, donner leur éclairage sur l’action et proposer des recommandations,
  3. Nous utiliserons les productions des étudiants de la promo précédente pour donner à voir « dans le concret » ce que l’on va faire,
  4. Nous allons procéder par étape avec :
    1. Les apports simplifiés et une mise en activité avec des professionnels du lycée (cette année chef Cuisinier, gestionnaire administratives, agent d’entretien, préparateur de TP)
      1. Le but est d’apprendre à analyser le travail
      2. Montrer que c’est toujours plus riche que ce que l’on croit
  • S’intéresser à des personnes pourtant pas très loin de nous
  1. ET cela permet aussi d’avoir un vivier de professionnels sous la main ce qui est plus facile que de caler avec des professionnels compte tenu des aléas d’emploi du temps,
  2. Un temps de réflexion conceptualisation (production),
  3. Une restitution pour échanger autour de ce qui a été compris du travail, mais aussi sur la façon dont les professionnels ont perçu l’entretien (en général enrichissant et cela valorise et rassure les étudiants avant le stage, ils sont surpris de ces appréciations positives sur leur façon de faire).

Les différentes productions

  1. Un temps de mise en application lors du stage (avec un rappel en amont, et autant de rappel lors des entretien et visites de terrain organisés avec le lycée),
  2. Un temps de travail pour « produire » et expliciter une « SPV » en utilisant le questionnement compréhensif entre étudiant-es, réalisé en trinôme (un-e qui questionne, un-e qui expose et un-e qui prend les notes pour l’exposant-e) ; cela permet de faire varier les rôles, mais également à chacun de comparer et faire le point sur ce qui lui reste à parcourir. Ce temps sera suivi d’un moment individuel pour « muscler » sa SPV,
  3. Un temps d’expérience « live » en jury, avec le questionnement des un-es et le passage des autres. Ce temps sera précédé d’une formation de jury pour comprendre les attentes envers ce jury !
  4. Un temps d’évaluation des différentes étapes, en particulier après chaque expérience de passage en jury. Le tout filmé pour l’expérimentation !

Ceci donne comme programmation théorique :

(Voir le déroulé 2018-2019détaillé en pdf ci-dessous)

 

Un premier bilan de l’expérimentation en année 2

Le bilan est encore en cours car les étudiants n’ont pas présenté l’examen

Nous constatons de réelles améliorations et des effets concrets plus forts sur les étudiant-es.

Les principaux atouts de l’exercice

Du côté des encadrants

  • Le fait de réduire le temps d’apport pour aller directement ou presque analyser et questionner le travail a été positif. Les apports ont ainsi pu s’appuyer directement sur une expérience toute fraîche et donc avoir un impact plus significatif.
  • S’entrainer avec des professionnels « qui ne sont pas du métier » avant de rencontrer « ceux de son métier » semble de nature à libérer les élèves par rapport à l’année 1. Les étudiants semblent se concentrer sur le questionnement « pour comprendre le travail », et non pas de se trouver en situation de faire « bonne figure » devant un professionnel. Ils peuvent ainsi s’approprier la méthode, sans être « pollué » par d’autres enjeux, où pas des éléments de discours comme des notions que l’on ne connait pas et qui sont abordées par le professionnel, ou encore par l’intérêt professionnel du discours tenu,
  • Le rapprochement et la meilleure compréhension, et donc considération, que les élèves ont pu avoir auprès des professionnels interviewés a revêtu un intérêt au-delà de nos espérances. Tous se sont dit intéressés et ont apprécié d’apprendre sur les métiers de personnes qu’ils côtoyaient au quotidien sans finalement se rendre compte de la réalité de leur fonction au sein de l’établissement. Ils ont pu ainsi concrètement mesurer l’écart entre leur représentation du métier et l’expression précise d’une part de celui-ci.
  • La qualité des descriptions des situations professionnelles des interviewés à été meilleure, et l’engagement lors de la séquence qui a mobilisé les capacités construites pour « produire » l’explicitation de sa SPV et le passage devant les jurys a été fort.
  • A la lecture (rapide) des questionnaires d’évaluation des étudiants, la très grande majorité a trouvé du sens et de l’intérêt, et a le sentiment d’avoir compris l’intérêt d’une analyse et d’une réflexion sur son activité en situation de travail, et donc l’enjeu de l’E7.
  • Nous soupçonnons que les étudiant-es aient pris du plaisir à faire ce travail, si l’on s’en réfère aux types d’échanges quasi « entre pairs » avec les encadrants et intervenants.

Du côté des élèves

  • En cours d’analyse, mais globalement très positifs sur :
    • Utilité, sens, dynamique de groupe, intérêt de mettre à distance ses préjugés, de chercher à comprendre avant de juger, donner à voir les relations entre les éléments d’une situation, etc…
    • Des velléités d’utiliser ces connaissances nouvelles pour mieux comprendre le travail des autres, par exemples des agriculteurs, voire aider ses collègues de BTSA ACSE à produire leurs SPV pour apprendre d’eux et les aider à expliciter leurs connaissances !!!

Les limites de l’exercice

Du côté des encadrants

  • Les temps disponibles peut-être, et le fait de pouvoir partager ce travail avec d’autres collègues pour étayer ce travail en remobilisant les connaissances acquises dans d’autres situations et en « jouant » à l’enquête,
  • La question de la diffusion et du partage au sein de l’équipe et de l’établissement,
  • un risque de « dys-évaluation » avec le jurys, nous y reviendrons ci-dessous.

Du côté des élèves

  • Le temps !
  • A voir encore dans l’étude des questionnaires et pour dans la suite de l’action
  • A suivre (nous sommes toujours en cours d’évaluation !)

Remarques subsidiaires mais néanmoins fondamentales !?

Le risque de dissymétrie dans l’évaluation : la dys-évaluation !

Il nous semble nécessaire de pointer ici un risque potentiellement non négligeable pour les étudiants, le risque que nous qualifions de « dys-évaluation ». Il se présente lors des jurys, quand les étudiants se trouvent face à des évaluateurs qui peuvent ne pas saisir l’analyse menées par les étudiants, car ils attendent quelque chose de plus « scolaire ». Étant habitués à des formes de présentations académiques (basées sur la monstration d’un ensemble de connaissances scientifiques et techniques), les membres de jurys peuvent être déroutés par une analyse qui repose sur des fondements (analyse de l’activité au travail) qu’ils ne connaissent pas nécessairement. Se pose alors la capacité de l’élève à réajuster en situation d’examen pour revenir plus près des attentes de type « contrôle de connaissance » des évaluateurs.

La montée en compétence des enseignants sur la capacité à analyser et à évaluer des situations professionnelles ?

Pour prévenir ce risque, nous avons ainsi déjà vu des tuteurs censurer les étudiants qui proposaient des représentations graphiques de leur situation (donnant à voir les objectifs, dilemmes, interactions, processus chronologique, etc…). On en revient alors à privilégier le bachotage pour ne pas risquer d’être en difficulté lors du jury plutôt que la valorisation du travail d’analyse sur sa performance en situation de travail, sur l’épreuve qui consacre . … les SPV ! Mais n’est-on pas là dans la représentation que se font les enseignants de ce que doit être une « bonne » situation d’évaluation en jury ?

Une des pistes pourrait être de bien dissocier le temps de l’analyse, toujours trop court et superficiel, qui requiert des outils de décorticage et de représentation synthétique, et le temps de la présentation écrite ou orale au jury qui nécessite d’autres outils et techniques. Comme l’évoque Renaud : « Je prends souvent l’image du repas et la différence entre le temps convivial où l’on mange (le jury), et le temps de préparation en cuisine (invisible lors des jurys). Les étudiants ne se soucient pas assez de la saveur de ce qu’ils présentent. Ils prennent le risque de venir exposer leurs ingrédients sans préparation (leurs boîtes). S’il y a donc une nécessité – et une utilité- de former les étudiants à l’analyse de situations, il y a nécessité de former les enseignants à l’approche par situations complexes. Ce qui me semble un peu manquer  à la formation Cap’Eval, par exemple ». Peut être avec des modalités similaires à la mise en situation professionnelle comme nous l’avons fait avec les étudiants ?

Comment accompagner le dés-étayage et la mobilisation des capacité en court de construction tout au long de l’année (des deux ans) ?

C’est un problème fréquent posé par le rythme que l’on se donne entre la prescription et ce que l’on pense nécessaire « qu’il faut avoir vu » pour l’examen. Cette tension conduit à passer parfois d’un sujet à l’autre sans prendre le temps de valider des « cliquets », et sans remobilisation des capacités (avec d’autres situations dans d’autres disciplines (analyse de la situation de révision en vu d’un CCF de math !), visites chez des professionnels, un projet, etc…), il n’y a pas de consolidation possible pour une partie des étudiants, en particulier celles et ceux qui en auraient le plus besoin !

Pour Renaud, « J’ai été déçu lors de rencontre avec des professionnels lors de stages que les étudiants ne réinvestissent pas suffisamment les méthodes qu’ils maîtrisaient en septembre, c’est sans doute de ma responsabilité de ne pas avoir construit une progression plus large en seconde année (mais je me soigne…) ». C’est pourquoi nous insistons lourdement ici sur la nécessité de dés-étayer pour rendre plus autonome, ce qui n’est pas facile lorsque l’on travaille sur un temps court, éloigné de l’épreuve, et qui demande du temps et une coopération au de « sa » discipline.

Pour aller plus loin, vous trouverez ci dessous les réalisations vidéos des deux situations de l’année 1 ainsi que le témoignage de certains étudiants volontaire (année 2)

François Guerrier, chargé de missions d’appui et innovation pédagogiques, Agrocampus-Ouest, janvier 2020

Renaud Jegat, enseignant Lycée de l’Orne, janvier 2020

 

Pour information, l’action se poursuit, ci après la vidéo de la récente promo après leur première séance : https://youtu.be/XJophStOX4E

 

[1] Lors d’une formation/séminaire national sur le génie écologique, organisé par l’Institut de Florac à Montpellier SupAgro, nous avions échangés sur l’idée de produire de courtes vidéos à partir des interventions de professionnels dans les formations GPN. L’idée était de faire « entrer » le travail dans la classe comme du matériau à analyser ensemble et améliorer la performance d’apprentissage dans la situation de stage. Notre hypothèse était alors d’aider les étudiants à se construire des images et des références techniques et professionnelles pour mieux se préparer pour le stage et au-delà d’apprendre à apprendre en situation professionnelle (ou sociale). De plus, nous faisions l’hypothèse que si chaque lycée conduisant le BTSA GPN produisait une vidéo par an sur une situation professionnelle nous aurions rapidement une base de situations professionnelles documentés sous forme vidéo pour aider à questionner et ramener le travail dans la classe, etc…

FICHIERS A TELECHARGER

Descriptif : Déroulement du dispositif sur deux ans 2019 2020
Le-déroulement-sur-les-deux-ans-1.pdf

VIDEOS





 
Date :10 janvier 2020
Mots-clés : Décrochage Ancrochage, Evaluation, autoévaluation, Motivation, engagement, Pédagogie de groupe, de pairs, Professionnalisation, dynamique d’équipe

Voie de formation : Formation initiale
Niveau de formation : III (BTS)
Initiative du dispositif : Locale
Structure d’appui : Etablissement National d’Appui
Référent : Emmanuel Bon ,emmanuel.bon@agriculture.gouv.fr

Etat de l’action : En cours
Nature de l’action : Expérimentation
Etablissement National d’Appui : Agrocampus Ouest
Action du Dispositif National d’Appui : Pollen

 

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