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La coopération Groupe Dephy et BTS Acse pour expérimenter l’intérêt de différents couverts végétaux (M57-M58) au Lycée de la Ville Davy à Quessoy

Campus de la Ville Davy, Bretagne

51 rue de la Corderie

 22120 Quessoy

Tél : 0296425200
Site web : https://www.lavilledavy.fr/la-ville-davy
Responsable : Claude Fillâtre , quessoy@cneap.fr
Rédacteur de la fiche : François Guerrier, Ingénieur pédagogique – Mission nationale d’appui à l’enseignement agricole
, francois.guerrier@agrocampus-ouest.fr
Chef de projet : Zeineb Bessaidi, cheffe de projet, enseignante d’agronomie, , zeineb.bessaidi@cneap.fr

DESCRIPTION SYNTHETIQUE DE L’ACTION

     I.          Introduction

L’origine du projet TANGGO à la Ville Davy fait suite à une sollicitation de la chambre d’agriculture de Bretagne en septembre 2022. Il s’agissait de manifester son intérêt pour coopérer avec des agriculteurs engagés dans un groupe « DEPHY ». Le lycée de la Ville Davy, « toujours à la recherche de demandes et de propositions du terrain », s’est porté volontaire. Pour Claude Fillâtre, responsable du pôle apprentissage à la Ville Davy, les points clés pour s’engager dans ce type de projet sont de disposer à la fois :

  • D’une capacité d’action de l’établissement : La Ville Davy est un établissement qui sait se saisir des opportunités de partenariat professionnel,
  • De liens de confiance: « C’est le fait d’avoir une interlocutrice [Frédérique Canno animatrice du groupe DEPHY 22] qui nous connaît bien, on savait qu’on allait forcément réussir à quelque chose de de très intéressant »,
  • Un ancrage professionnel cohérent avec le référentiel de diplôme : Il s’agissait de se rapprocher d’un groupe DEPHY (des professionnels engagés en groupe de développement pour réduire leur recours aux produits phytosanitaires), et permettre aux étudiants de découvrir une autre facette du métier qui sera le leur : soit en tant qu’agriculteur participant à un groupe (beaucoup se destinent à moyen terme à être agriculteur), soit dans le domaine du conseil auprès d’agriculteurs, puisque ce sont les deux métiers visés par la formation. Les étudiants réalisent un essai depuis le protocole, la collecte, le traitement des données et la restitution, donc ils vont au bout de la démarche « on est là dans une situation extrêmement professionnalisante ».
  • Du temps pour construire l’action : C’est la possibilité de prévoir le cadre de l’action suffisamment tôt pour identifier les parties prenantes et d’associer les coordinateurs et référent.es en charge des BTS, afin que ce soit bien une équipe qui soit mobilisée et non les seules enseignant.es en prise directe. C’est aussi d’avoir un peu de temps pour concilier les rythmes de l’établissement et celui des partenaires du projet, et réfléchir en amont sur ce que l’on peut entreprendre. Idéalement il faudrait toujours pouvoir réfléchir en avril-mai-juin les contours du projet, de telle sorte qu’à la rentrée suivante nous ayons fléchés les enseignant.es investis, comme les groupes d’agriculteurs et la programmation des différentes actions,
  • De s’inscrire dans un partenariat dans la durée et en lien avec les rénovations de diplômes: Enfin, ce type de démarche étant consommatrice en temps (de coordination et de transaction), l’établissement est demandeur d’un partenariat sur la durée. Ce qui d’autant plus important dans le cadre actuel de la rénovation du BTS Acs’Agri, qui amène à réfléchir à des situations d’évaluation authentiques. En effet, pour Claude Filâttre, le projet TANGGO apporte là le cadre d’une future situation d’évaluation pour la rentrée 2025.

   II.          Présentation de l’action

A.   Le projet TANGGO pour favoriser la coopération entre apprenants et agriculteurs des collectifs agroécologiques

Le dispositif que nous allons décrire dans ce témoignage a été mis en place dans le cadre du projet TANGGO dont le principal objectif est de favoriser la coopération entre apprenants et professionnels de collectifs d’agriculteurs en transition vers l’agroécologie pour apprendre de ces coopérations. Cela passe par la collaboration étroite entre un enseignant-formateur et un conseiller-animateur du groupe pour concevoir le dispositif pédagogique mis en place. (Pour en savoir plus, voir le site TANGGO (et l’article sur le site Pollen).

B.   Les intentions et les principes qui sous-tendent l’organisation du dispositif

1.    Pour l’animation du groupe d’agriculteurs

   Pour Frédérique, l’animatrice du groupe Dephy 22, la priorité est que le projet soit fédérateur et utile pour chacun, et en lien avec les objectifs du groupe Dephy 22: « je voulais que les 12 agriculteurs puissent être concernés par le projet et en retirer quelque chose. Puisque mon boulot c’est d’animer le groupe, donc à moi de fédérer et de trouver les sujets en commun (…) C’est pour ça quand Zeineb [enseignante d’agronomie] parlait de la biodiversité, je trouvais que c’était un thème fédérateur parce que le monde peut être concerné par ça. Je les avais sondés aussi pour voir ce qui pouvait les intéresser. Et donc cette thématique des couverts végétaux, qui est une thématique qu’on travaille chaque année dans les opérations bassin versant par rapport à l’aspect qualité de l’eau (..) c’est aussi fédérateur, et ça c’était significatif pour eux. Ça ça leur parlait ». L’intérêt du sujet traité est d’autant plus important au regard de la faible disponibilité des agriculteurs. Aussi pour maintenir leur engagement il est nécessaire d’être crédible en apportant une plus valeur à leur investissement de temps: « il faut qu’ils puissent en avoir un retour, en tirer quelque chose (…) au moins une information utile pour soit les conforter dans leur dans leur trajectoire ou soit leur permettre d’avancer mieux ». Notons que les agriculteurs ont également une envie de transmettre et de partager en direction des jeunes, « ils se libèrent volontiers pour transmettre et partager aux jeunes et leur donner l’envie aux jeunes, (…) mais il faut que ça soit donnant donnant ». C’est une dimension appropriée par l’enseignante qui veille, avec l’animatrice, à ce que les jeunes puissent réaliser des retours utiles et fiables pour chacun : « ils ont préparé des fiches individuelles de chaque exploitation avec toutes les variables qu’on a pu analyser, des espèces de mélange de couverts, d’apport d’azote qui soit piégé ou bien restitué… mais aussi une analyse de laboratoire qui coûte normalement une soixantaine d’euros. Ils [les agriculteurs] sont partis finalement avec une analyse de laboratoire et le la méthode MERCI pour qu’il puisse comparer ».

2.    Pour l’animation du groupe d’étudiants

Une intention qui rejoint celle de Zeineb, qui vise à mobiliser les jeunes dans la durée, pour les engager dans un travail technique, professionnel et exigeant, en conciliant les objectifs d’apprentissage attendus, l’enjeu professionnel (l’échange avec des agriculteurs), tout en les plaçant dans une dynamique de réussite « en s’ajustant à la capabilité des jeunes aussi à s’adapter à produire ».

3.    Créer les conditions du don et contre-don

La recherche de l’utilité pour le groupe agriculteurs oriente l’activité du binôme coordinateur et incite à construire un espace de travail professionnel. Or, pour s’assurer que les étudiants se sente concernés comme professionnel, il est nécessaire de s’attacher à prendre le temps de donner du sens et de la valeur au travail à réaliser : « cet objectif-là, m’a incité quand je suis réintervenu avec la classe à faire émerger des élèves, et bien : « le travail que vous faites à quoi ça sert ? A quelle question ça doit répondre pour les agriculteurs ? », et orienter leur traitement de donnée : « Est-ce que mon couvert est efficace ? Est-ce que ça dépend de moi ou pas ? Qu’est-ce que je peux améliorer pour l’année prochaine ? Et puis, il y a l’aspect coût  (…) Donc c’est toujours l’aspect rentabilité des intrants et rentabilité du temps de travail ». De fait, ce temps-là, coanimé avec l’animatrice, s’inscrit de façon plus ou moins explicite dans une perspective de professionnalisation dans la mesure où l’action n’est plus pilotée par la seule dimension scolaire. Là, le sens et l’exigence sont apportés par la situation, conjuguant la confiance accordée pour réaliser une action qui a de la valeur et une mise en responsabilité « accompagnée » qui sécurise par la présence du binôme.

4.    Des principes pour l’action

Aussi, plusieurs principes d’action sont activés, comme le fait qu’il y ait une vraie commande et des attentes du groupe des agriculteurs (enjeu et pertinence de l’action construisent du sens), qu’il y ait un lien de confiance et une disponibilité réciproque entre enseignante-animatrice, de s’appuyer sur un thème professionnel et technique, mais également de pouvoir s’appuyer sur des outils professionnels éprouvés et maîtrisés : « [Frédérique] j’avais aussi déjà des outils mobilisables pour ça, qui sont des outils de notation que nous on utilise chaque année pour évaluer la réussite des couverts (…) donc quelque chose sur lequel je sais que ça fonctionne en termes d’utilisation terrain : je sais qu’on peut en ressortir des données qui puissent être communiquées et traduites, et transcrire un résultat afin de donner une valeur aux agriculteurs, et orienter sur des conseils, une évaluation des pratiques qui peuvent leur permettre de recaler les pratiques si besoin ».

C.   Les objectifs des deux parties

1.    Pour l’animation du groupe d’étudiants

Pour le lycée, la situation d’apprentissage n’est pas placée « en dehors » du cadre du référentiel, mais bien raccroché à des objectifs d’apprentissages attendus. Il ne s’agit pas seulement de produire, mais également d’apprendre et de se construire (cf la dimension productive et constructive de l’activité in Pastre 2008). Dans le cas présent, il s’agit tout particulièrement du module M57 du BTS ACE qui a pour objectif général d’analyser le fonctionnement d’un agroécosystème au regard des enjeux de durabilité. Dans ce module une partie est consacrée à la réglementation, et pour Zeineb « ça tombe bien, parce que les couverts en fait ça fait partie de la réglementation (…) pour ne pas laisser un sol à nu plus de de 25 jours. Donc ça permet aux jeunes de s’investir dans un projet qui est en lien avec l’itinéraire technique, mais aussi de l’aspect préservation de l’environnement, des auxiliaires, de la qualité de l’eau, et cetera. » Autrement dit, c’est une façon de travailler sur la règlementation et les pratiques agroécologiques pour en tirer des bénéfices, de ne pas le voir comme un « embêtement » mais une aide à mieux tirer avantage de son sol. Une vision qui est crédibilisée par le fait que le groupe d’agriculteur qui va se servir des résultats y place un réel intérêt.

2.    Pour le groupe Dephy

Le premier objectif de Frédérique est d’apporter des informations aux agriculteurs qui leur permette d’améliorer leur efficacité agronomique et environnementale parce que « un couvert réussi, c’est un système de culture qui est mieux réussi et un investissement qui est aussi mieux rentabilisé ». Et pour concilier investissement et efficacité agroenvironnementale, il faut déjà répondre sur les interrogations de rentabilité de leur investissement en semences.

Son second objectif est plus spécifiquement lié à la mission de Dephy, qui demande d’être communiquant et du faire du transfert entre le terrain et l’enseignement, tant sur les connaissances que sur le fait d’être amené à travailler avec un groupe d’agriculteurs engagés dans la recherche de solutions à l’échelle du système de cultures : « là on voit bien, par rapport à ce que nous a dit le groupe d’étudiants tout à l’heure qu’ils ont compris ce que c’était les couverts végétaux, les espèces, l’efficacité, les critères de notation et d’efficacité agro-environnementale, ils ont vu comment on pouvait évaluer ça et ils ont compris l’aspect lessivages de nitrate ».

III.          Déroulement du dispositif et rôles des enseignants

A.   Les différentes étapes du dispositif de formation

Le dispositif mis en œuvre se décompose de 8 étapes décrites ci-dessous (cf figure 3)

① Un temps d’échange en amont pour concevoir l’action

Cette première étape est stratégique dans la mesure où il s’agit de se mettre d’accord entre le lycée et le groupe de développement, et plus précisément entre enseignant et animatrice du groupe. Le but est de concilier les attentes et objectifs des deux personnes qui encadrent chacun des groupes (le groupe classe et le groupe d’agriculteurs) dans ce qu’elles souhaitent réaliser, mais également de prendre en compte et de considérer les besoins et attentes des membres de chacun des deux groupes. Le principe est en effet que chacun puisse tirer parti de la coopération et en retire des bénéfices. Développer les connaissances et capacités attendues par le référentiel du BTS pour l’une, réaliser des essais et produire des données pour installer des pratiques efficaces pour l’autre. Mais, c’est également pour chacune de veiller à la professionnalisation et à l’engagement des jeunes, les amener à s’intéresser à l’activité professionnelle de conseil, à l’intérêt de rejoindre des collectifs d’agriculteurs engagés dans les transitions, comme de créer des conditions pour renforcer l’adhésion des agriculteurs à leur groupe de développement.

Aussi, un premier travail de dialogue et de discussion est nécessaire pour essayer de bien définir ce sur quoi le projet va porter, afin d’être le plus possible dans la « zone d’intérêt » des jeunes, des agriculteurs, de l’animatrice de groupe et de l’enseignante. Tout en considérant les intérêts partenariaux du lycée et de la chambre d’agriculture (en matière d’image par exemple). Il s’agit d’émettre des hypothèses sur les thématiques à traiter, comment, vérifier que cela va intéresser les différents protagonistes, que cela correspond aux besoins de chacun (référentiel/buts du groupe Dephy 22). Cette étape est plus délicate qu’elle n’y paraît. Comme le souligne Zeineb « On est parti au début sur la biodiversité, mais on s’est dit que c’est un sujet qui est quand même très vaste et un peu compliqué pour des jeunes qui démarrent la formation. [Alors] on est reparti sur l’idée des couverts végétaux. C’était une demande du groupe d’agriculteurs, puisque derrière Frédérique elle avait fait tout un travail de recueil de besoins des agriculteurs sur la thématique qu’ils veulent étudier. Et donc on a fixé ensemble le projet, les modalités, le protocole, avec une mise en situation aussi des jeunes avant de démarrer les mesures réelles »

Au-delà du quoi, le binôme coordonnateur de l’action anticipe sur ce qui va être fait, comment, pour quoi, quand, avec quels outils, et « imaginer » un niveau de qualité à atteindre. Une attention particulière est portée à l’ancrage au « réel » du travail : Quelle activité « professionnelle » vont faire les étudiants, quelles étapes et progressivité, avec quels outils, sur quels temps, selon quelles modalités, auprès de quels agriculteurs, pour quelles productions et quels apprentissages. Bien entendu, de nombreux ajustements et allers retours s’effectuent à distance pour affiner l’action.

La date de restitution est un horizon fixé dès le début, à une période propice pour le groupe de développement (fin janvier début février).

La présentation de la démarche auprès des étudiants

Pour les étudiants, le deuxième moment clé concerne la présentation de l’action : « Pour moi la base c’est d’être intéressé, sinon ce n’est pas la peine de faire le projet. Déjà il faut que le projet il ait été bien présenté, pour nous donner envie de le faire. Parce que si on a une mauvaise présentation, on ne va pas avoir forcément envie d’aller vers là ou… même de le faire directement ». Ainsi, il convient de soigner la mise en scène de l’action, lui donner une valeur, de l’intérêt en donnant à voir l’enjeu du problème à traiter. Même si les jeunes n’en perçoivent pas toutes les facettes au début, il est nécessaire que les étudiants sentent l’importance de réussir l’action pour les agriculteurs du groupe. Ce moment -qui peut être renforcé par la présence d’un agriculteur « porte-parole » du groupe, ne serait-ce qu’en visio ?. Ce rôle est ici délégué à Frédérique qui représente le groupe DEPHY 22. Concrètement, une après-midi a été consacrée à présenter le projet (l’action du groupe, la problématique, mais également la démarche à suivre : le protocole avec la grille de terrain, et l’outil MERCI [Méthode d’Estimation de Restitution des Cultures Intermédiaires https://methode-merci.fr/] qui sert de référence. C’est un outil mobilisé par les conseillers culture, ce qui confère à l’action une valeur et une acculturation professionnelle, que les étudiants vont tester pour la première fois.

Le test des outils pour se mettre en situation de réussite

Avant de partir directement sur le terrain, Zeineb et Frédérique organisent un premier entraînement chez un agriculteur « de proximité ». Ce test grandeur réelle est facilité par le fait que l’agriculteur est aussi formateur à la Ville Davy (Il met régulièrement à disposition son plateau technique pour expérimenter, faire des suivis, pour étudier des itinéraires techniques, ou réaliser des TP…). Ainsi les étudiants peuvent se confronter à la démarche dans un environnement familier et sécurisant avant de passer à l’étape « réelle », ce qui permet également aux encadrantes d’observer comment ils se saisissent de la démarche et de réajuster le cas échéant. C’est une étape qui permet à chacun d’être dans une dynamique de réussite dans la mesure où peut se sentir capable de réussir, ce qui nourrit le sentiment d’efficacité personnel (Lecomte 2004). Chacun sachant ce qu’il a à faire, il est alors possible de passer à l’étape suivante : les mesures sur le terrain !

La réalisation des mesures auprès des agriculteurs du groupe DEPHY 22

Pour réaliser les mesures au sein du réseau des 12 exploitations (en novembre 2023), le choix de l’équipe a été d’accompagner les étudiants (autonomie encadrée), et pour cela de mobiliser des collègues de différentes disciplines (Claude, économie et de gestion, Carole, zootechnie, et Marie zootechnie et agronomie), avec bien sur la présence de Frédérique pour apporter le soutien et représenter la commande professionnelle. De façon opérationnelle, « on a formé quatre groupes de quatre, et on a fait 12 parcelles dans un seul après-midi ! C’était un sacré temps, on a fait ça en 4h-5h, un vendredi après-midi, et là ce n’était pas évident de garder les jeunes jusqu’à 18h. Moi avec mon groupe, on avait des parcelles avec des espèces qu’on n’arrivait pas à bien séparer, et on est rentré que lorsqu’on a fini. Et les jeunes ont assumé l’action. Ils étaient épanouis dans les mesures qu’ils ont faites ».

Nous pouvons ici faire l’hypothèse que la démarche professionnelle, tout comme la perception de l’intérêt et de la valeur du travail à produire agit comme un levier de l’engagement des étudiants, tout comme l’engagement des adultes-enseignants qui s’investissent à leurs côté « force le respect » et joue sur la relation de travail et de confiance. Nous y reviendrons.

La saisie et le traitement des données

La saisie et le traitement des données se fait en classe : « (…) on a saisi toutes les données. C’était les semaines suivantes, sur Excel. On a commencé à traiter, ils ont analysé sur l’outil MERCI les valeurs qu’ils avaient déjà, et puis nous avons commencé le fameux « traitement de données sur Excel » pour réorganiser les variables, sélectionner les facteurs à étudier, avec bien sûr à chaque fois des échanges avec Frédérique pour échanger entre nous sur ce qu’on retient, ce qu’on ne retient pas, comment ça avance… ». Lors de cette étape, soulignons que Frédérique est intervenue mi-janvier pour faire le point avec les étudiants, et orienter le travail de restitution. A partir de là, sachant ce que l’on veut donner à voir, la préparation de la restitution peut s’amorcer.

La préparation de la restitution

La préparation de la restitution s’organise en groupes en mixant les étudiants ayant réalisés les différentes relevés. Puis, Zeineb et Frédérique organisent un entraînement, un oral blanc pour les mettre en situation professionnelle afin de les placer dans les meilleures conditions pour présenter leurs résultats de façon ordonnée, structurée et intelligible au regard de la question (commande) initiale du Groupe DEPHY 22. Cet oral blanc est placé assez proche du temps de restitution pour que les étudiants restent mobilisés et que leurs connaissances soient les plus précises possibles.

La restitution au Groupe DEPHY 22

Pour mobiliser les agriculteurs, cette restitution est adossée à une journée technique (sur le désherbage mécanique) organisée par Frédérique. Les étudiants ont pu donc pu profiter de l’apport, mais également de temps d’échanges et de partages sur un mode convivial ( un temps très apprécié, notamment du déjeuner). Puis les étudiants ont pu présenter leurs travaux, qui ont été discutés (débats, échanges, comparaisons, …). Un moment réussi, qui fait dire à Zeineb que « le jour J, ils ont bien présenté le travail qu’ils ont fait. Ils étaient fiers d’eux ».

Débriefing et évaluation de l’action

L’action a été évaluée sous la forme d’un « formatif », c’est-à-dire que l’action ne faisait pas partie du CCF, car pour cela il aurait fallu l’anticiper et le cadrer en amont, ce qui n’a pas être le cas sur cette première année. C’est un objectif pour les années suivantes. Notons qu’un temps de discussion a été organisé pour permettre au groupe de faire le point sur ce qui avait été fait, comment, ce qui avait été appris, mais également sur les pistes de thèmes qu’ils aimeraient pouvoir traiter comme sur les améliorations qu’il serait possible d’apporter au dispositif.

B.   Rythme et encadrement du dispositif

L’encadrement par le binôme est lié au fait que les deux protagonistes du dispositif coopèrent pour tenir leurs objectifs propres tout en aidant à la réussite de ceux de leur binôme (cf figure 4).

1. Un engagement des encadrantes pour faciliter la réussite des jeunes

Cet engagement, qui va au-delà du temps dévolu à chacune pour mener le projet, est résolument orienté vers la réussite de l’action, tant pour les étudiants que pour le GIEE. L’objectif est clairement d’aller au bout du projet, et d’emmener tout le monde à réussir la tâche qui est confiée : « De quoi je suis fière ? Qu’on soit allé au bout du projet (…) je pense que c’est un travail très utile pour des jeunes, et c’est bien et je suis je suis fier de voirle résultat, par rapport à ce qu’ils en retirent, et bien je me dis c’était un chouette projet ».

Pour cela, le binôme procède à différents ajustements, en amont de l’action (préparation et anticipations des points qui peuvent alourdir la démarche et décourager, comme la prise de rendez-vous), pendant l’action (prise en main des outils, réalisation des pesées, mais également traitement des données !), et à la fin (restitution et débrief pour tenir compte des remarques). Comme l’évoque Zeineb, « (…) des fois on a échangé même à 19h, (…) donc justement on essaie d’anticiper sur la thématique, mais aussi de bien cadrer, de bien préciser les modalités, le protocole qu’on va faire pour qu’on puisse arriver là en septembre prochain face à des jeunes et à leur présenter chaque étape. Donc qu’est-ce qu’on attend des jeunes pour chaque étape du projet ».

Dans l’action, le point délicat a été le traitement de données, où le binôme encadrant a particulièrement soutenu les étudiants pour faire passer un cap qualitatif et aboutir à un résultat professionnel : « En fait, on a commencé ce projet là avant qu’ils commencent les mathématiques, avant qu’ils commencent le cours d’informatique aussi, donc je me suis trouvée face à face à des jeunes qui savent pas comment organiser les données, comment sélectionner, comment faire des graphiques, et surtout comment interpréter. (…) comme ils m’ont dit au début, « on va pas s’en sortir avec tous ces graphiques, toutes ces données-là », (…) je leur ai dit « je suis là pour vous accompagner donc on va le faire ensemble », j’ai assumé une grande partie, mais Frédérique aussi, pour organiser [et] vérifier surtout les données parce qu’il faut quand même une certaine rigueur pour présenter ça aux agriculteurs. (…) Moi j’ai vérifié, Frédérique aussi, et achevé aussi tous les graphiques avec tous les critères, c’est la rigueur aussi qu’on demande en fin de compte. (…) vu qu’ils sont en première année, (…) je trouve qu’ils ont très bien assumé ».

2. Le partage des objectifs d’apprentissage

Pour les encadrantes, les connaissances à acquérir constituent un but à tenir, et cet objectif est ici partagé par les deux parties (animatrice de groupe et enseignante), qui s’attachent à réguler leur encadrement pour cibler sur les points clefs à acquérir. La vérification de ces nouvelles acquisitions se fait à l’occasion de Contrôle en Cours de Formation, de façon formative lors de la restitution (qui s’apparente à une épreuve professionnelle), et à l’occasion d’un temps de débriefing général qui a été organisé à l’occasion de la collecte de données pour la capitalisation de TANGGO. Comme le précise Frédérique à l’issue de cette dernière séance, « on voit bien, par rapport à ce que nous a dit le groupe d’étudiants tout à l’heure, qu’ils ont compris ce que c’était les couverts végétaux (…) les critères de notation, les critères d’efficacité agro-environnementale. Ils ont vu comment on pouvait évaluer ça et ils ont compris l’aspect lessivages de nitrate (…) J’ai réfléchi en t’entendant parler de la rigueur. On l’a demandé et on l’a retrouvé dès le terrain, parce qu’on leur demandait de faire des notations de ce qu’ils voyaient des couverts au champ, et [si la grille de notation] n’était pas correctement remplie, on ne pouvait pas aller plus loin (…) Aussi c’était de se poser la question de « quelle est la problématique », quelle question et pour répondre à cette question-là, de quels éléments j’ai besoin, qu’est-ce que je dois comparer, et qu’est-ce que je dois traiter comme données. (…) Il faut d’abord savoir décortiquer, analyser le problème (…). Et ce qui était intéressant, c’était aussi la démarche de construction de cette logique, en travaillant avec les élèves, sur : « à votre avis, sur les couverts végétaux, quelles sont les questions que les agriculteurs se posent ?». Et ils ont sorti exactement toutes les questions que moi je m’étais listé (…) c’était super intéressant de se dire « tiens ils ont bien percuté les questions qui se posent sur le terrain », et du coup ils voient la logique de quelle donnée j’ai besoin ».

3. Le partage des objectifs de production

Pour le binôme d’encadrement, la perspective de produire des connaissances pour améliorer les pratiques et les résultats des agriculteurs du GIEE est tout autant un objectif à tenir. C’est un impératif pour l’animatrice du groupe qui engage le collectif et sa crédibilité : « Pour moi l’essentiel c’est que ça soit du temps utile. On sait la faible ou la non disponibilité des agriculteurs par rapport à la multitude tâches qu’ils ont à réaliser, donc quand je quand je propose une réunion du groupe ou quand je propose aux agriculteurs de s’investir sur un projet, il faut qu’ils puissent en avoir un retour, en tirer quelque chose. (…) au moins une information utile pour soit les conforter dans leur dans leur trajectoire ou soit leur permettre d’avancer mieux ». Un objectif de production qui est remobilisé par Frédérique dans le cadre de son animation de groupe : «  l’intérêt de le faire avec un groupe, c’est que moi je vais y donner une suite, c’est à dire que ce projet-là, même s’il est fini pour ce groupe d’élèves là, moi ça me donne la matière à travailler avec le groupe d’agriculteur qui a bénéficié de ces analyses, de ces mesures, puisqu’on a du coup des résultats sur une année donnée chez quasiment toutes les exploitations et que pour moi c’est un indicateur. Enfin c’est quelque chose sur lequel les couverts ils investissent, et maintenant ils ont des données ».

Zeineb quant à elle, partage ces visées productives, à la fois pour donner de la valeur au travail réalisé par les étudiants, mais au-delà pour jouer le jeu de la coopération et du « contre-don ». Cela se traduit par un travail de soutien actif auprès des étudiants pour traiter les données, produire des analyses éclairées, et s’entraîner à présenter les résultats en amont de l’étape de restitution.

4. Entraîner la restitution

Enfin, le dernier temps complexe et à enjeu étant la restitution, celle-ci a été préparée en amont pour placer les étudiants en situation de réussite en ayant vécu une première expérience de ce que cela pouvait être : « Il y a aussi la modalité de restitution qu’on a fixé, parce que si c’était une restitution qu’avec Frédérique, c’est pas la même modalité qu’une restitution face à des agriculteurs. Comme il y a une commande des agriculteurs, c’est pour ça qu’on demande la rigueur et l’engagement, mon engagement, l’engagement des jeunes aussi et de Frédérique aussi vis-à-vis des agriculteurs. On a fait une séance de restitution à blanc ou j’étais la personne à qui ils restituaient, c’était l’entraînement à l’oral (…) Et en fait ils ont bien apprécié. C’est vrai qu’on a pas toujours ces retours là à chaud (…) Et le fait de s’être retrouvé un petit peu à blanc, c’est-à-dire sans enjeux face à moi, à devoir expliquer le schéma qu’ils avaient collé sur un diaporama, et ben voilà ça les a amenés à s’approprier en fait leur travail, à prendre du temps aussi à analyser et à bien expliquer les graphiques, à bien décortiquer les différentes parties (…) c’était bien. »

IV.          Un dispositif qui, selon les étudiants, entraine plusieurs capacités

A.   Analyser le fonctionnement d’un agroécosystème au regard d’enjeux de production et de durabilité

1. S’approprier une démarche d’expérimentation

Il s’agit du premier point qui nous semble utile de rapporter dans la mesure où lorsque l’on les interroge, les étudiants décrivent fidèlement ce qu’ils ont été amenés à faire et pour quoi : « En groupe nous avons dans un premier temps été chez des agriculteurs afin de réaliser des pesées de biomasse. Nous avons coupé les couverts sur des placettes de 1 m², dans plusieurs endroits de la parcelle, puis nous avons fait des analyses de ces couverts afin de pouvoir évaluer la biomasse verte et sèche qui pouvait y avoir dans le couvert, ainsi que l’azote capté par le couvert et l’azote restitué. Puis nous avons fait des graphiques et interprété ces résultats, et nous avons fait une restitution auprès des agriculteurs par rapport à ça ». Notons que par la suite, quand nous interrogeons les étudiants sur ce qui leur permis de réussir, ils mentionnent « (…) la rigueur dans le travail qu’on a pu fournir, et aussi le fait de savoir travailler en groupe ». En revanche, le fait de mobiliser d’une démarche expérimentale au service des agriculteurs ou du groupe comme modalité adaptée à la situation d’un conseiller n’est pas citée. Comme s’ils se plaçaient plus comme exécutant de l’expérimentation que comme instigateur d’une stratégie pour accompagner les agriculteurs du groupe ?

2. Acquérir de nouvelles connaissances

Les étudiants font état de nombreux apprentissages : « on a aussi vu grâce à [ce projet] en comparant avec les exploitants et selon les types de parcelles, quel couvert correspondait le mieux (…) On voit par rapport à la date de semi, qu’un couvert semé plus tôt, on va dire précoce, il avait souvent un meilleur taux de matière sèche », ou « C’est l’association des cultures, ça permet d’avoir plus de biomasse dans la parcelle, ça dépend ensuite de ce qu’on veut faire du couvert : si on veut le restituer dans le sol, si on veut l’exporter, soit pour alimenter des bovins, des ruminants ou alors de le mettre dans une méthanisation pour faire de l’énergie », ou encore « avant ce projet je ne connaissais pas trop l’utilité des couverts végétaux, je savais en gros à quoi ça servait, mais en étudiant plus précisément le détail de chaque couvert leur utilité que çà peut amener à la terre, ce qui peut capter de l’azote, retenir le carbone, fournir de la matière organique dans le sol, restructurer la vie du sol, ça, je le savais pas. Et du coup ça m’aide, ça va m’aider dans mes choix pour l’implantation de mes couverts végétaux pour l’avenir ».

3. Des acquisitions légitimées par la dimension professionnelle de la situation d’apprentissage

A plusieurs reprises, ils évoquent le fait qu’à travers le projet ils ont pu « voir » l’intérêt des pratiques d’interculture, ce d’autant plus que les agriculteurs du groupe sont intéressés et curieux des résultats. Cela renforce la valeur des connaissances construites : « on voit qu’on n’a pas fait tout ce travail pour rien quoi et que… on a appris plein de choses, et quand on voit comment les agriculteurs après ils peuvent être contents de savoir ce qu’on a fait et tout ça, comment on a travaillé, je trouve que c’est vachement enrichissant ». Lorsque les apports sont situés près de l’action « physique », de l’expérience vécue, cela crée des ancrages et facilite l’apprentissage, car les étudiants ont des images pour encoder l’information nouvelle. Nous retrouvons également ici la valeur sociale et la valeur d’usage de ce que l’on apprend, et de ce pour quoi on apprend comme moteurs de l’acquisition.

5. En comparant différentes situations et en échangeant pour se projeter

Ces apprentissages se font au travers de la situation, qui invite à la comparaison de situations similaires et différentes, et à étoffer leur répertoire d’expériences analysées « Moi je trouve que ce projet était très intéressant, ça nous a permis de savoir vraiment l’utilité et à quoi servaient les couverts végétaux, quels intérêts ça avait de les implanter. (…) à d’autres exploitations ça peut convenir parfaitement, et en plus je vois que, vu qu’on a été chez plusieurs exploitants et qu’on a vu plusieurs parcelles, plusieurs types de sol, on peut vraiment avec ça, on a vraiment pu voir qu’est-ce qui peut correspondre à l’exploitation où on va s’installer plus tard, et voir différents mélanges qu’on ne connaissait pas forcément avant de faire ce projet. On peut voir quel couvert s’adapte mieux à chaque type de sol ».

B.   Un entrainement à travailler en équipe

A la suite de ce que nous évoquons ci-dessus, les étudiants sont amenés à développer leurs capacités à coopérer, et réalisent également de nombreux apprentissages par imitation/comparaison (apprentissages vicariants, voir Carré 2004) en s’appuyant sur les productions et façon de faire de leurs pairs : « travailler en groupe, ça permet aussi de partager les connaissances, tout le monde n’a pas les mêmes connaissances, et ça permet de d’évoluer… de d’apprendre des choses ».

Une activité renforcée par une organisation qui invite à des déplacements pour éviter de se cantonner à une seule tâche « Lors des prélèvements, on changeait entre le groupe, chacun tournait pour faire un petit peu de tout quoi, histoire que tout le monde s’entende bien dans groupe ». Ainsi, maintenir un climat coopératif est un enjeu qui appelle à certaines actions pour réussir « je pense qu’il faut un bon groupe, une bonne cohésion de groupe, être très bien organisé. C’est par exemple pour le travail, que tout le monde s’entraide pour travailler quoi, que ce ne soit pas forcément tout le temps les mêmes qui fassent tout le temps la même chose ». Il s’agirait donc de se répartir les tâches, d’autant que la valeur sociale de ces dernières peut être perçue différemment (restituer vs renseigner une fiche).

Enfin, la variété des activités permet tout à la fois de rester mobilisé et de découvrir différentes facettes du métier au travers de son expérience « on a pu aller sur le terrain travailler le sol, voir vraiment, analyser et aussi interpréter des résultats, des graphiques, du développement. C’était assez diversifié ».

C.   Une ouverture à l’intérêt de contribuer dans un collectif d’agriculteurs pour améliorer ses performances

Spontanément, les étudiants font référence au groupe d’agriculteurs comme étant un lieu de développement professionnel, mais également que le fait d’apporter des informations leur permet de construire de nouveaux savoirs : « On a vu que c’était intéressant pour les agriculteurs, et ils connaissent mieux leurs pratiques dans les semis de couverts. Si ça se trouve, ils ne s’intéressaient peut-être pas à ça avant, donc ça leur permet de mieux connaître leurs couverts, leur sol, et nous aussi on a plus de connaissances. C’est une ouverture d’esprit ».

L’appropriation des notions travaillées nous semble également reliée, d’une part au fait qu’il est question de données produites par les étudiants eux-mêmes (ce en respectant un protocole rigoureux), mais également aux échanges qui ont pu être fait au sujet de ces résultats, ce qui leur confère une valeur particulière : « on voyait qu’ils étaient quand même contents de ce qu’on a fait [des résultats produites par les étudiants], parce qu’ils nous posaient des questions, ils posaient des questions entre eux pour savoir comment telle ou telle personne a fait par exemple », « Déjà, ça nous a appris à faire quelque chose de vraiment concret puisqu’on est parti du terrain, jusqu’à la finalité du projet en faisant des analyses. Donc de pouvoir donner quelque chose que nous on a fait aux agriculteurs. Je trouve ça quand même bénéfique ». Comme si le projet avait apporté car il a apporté aux agriculteurs, cela se perçoit par le fait que les agriculteurs se saisissent et rebondissent sur les résultats ; L’échange est intéressant car il y a de la matière à échanger !

Mettre en débat les productions des étudiants dans le cadre de la restitution auprès du groupe afin que celui-ci s’en empare nous semble donc un aspect clé de l’action.

  V.          Un dispositif qui favorise l’engagement des étudiants dans leur formation

A.   Des étudiants responsabilisés face aux professionnels

Pour les encadrants, la dimension professionnelle est un aspect à ne pas négliger : « on a des jeunes qui sortent de terminale, qui arrivent en BTS, et qui sont ont encore des lycéens dans leur tête. (…) Et le gros enjeu de notre travail c’est de les faire passer à un autre stade, de les faire avoir une autre posture. Et je suis persuadée que ce genre de projet les amène à ça progressivement, ils ne s’en rendent pas forcément compte, mais à changer de posture et à leur faire prendre une posture de technicien de conseiller. Même si eux ont pour l’instant encore un peu de mal à le formaliser, je pense qu’on est vraiment sur quelque chose comme ça ».

Un point qui se confirme par la perception des étudiants qui s’approprient l’enjeu pour les agriculteurs du groupe Dephy 22 : « [la restitution] c’est déjà très important pour nous, et pour eux c’est aussi de voir comment on a pu travailler sur leur terre, parce que c’est quand même à eux les parcelles sur laquelle on a pu faire des échantillons. Donc voir aussi qu’ils font pas confiance à n’importe qui et que on peut faire du travail très sérieux et que ça peut leur apporter aussi des choses et que c’est un peu un bilan financier, mais c’est pas… ils savent dans quoi ils ont mis leur argent donc parce que c’est pas, c’est pas anodin quoi ».

La coopération avec le GIEE et la destination professionnelle du travail à réaliser amène à un déplacement, un changement de position de s’engager dans un travail scolaire à un travail professionnel : « Même, on était à la place d’un conseiller de culture. C’est surtout par rapport au fait de faire un travail qui peut aider les agriculteurs directement. Ce n’est pas un travail qui va rester juste dans notre salle de classe ou sur notre copie. C’est vraiment un travail qui va leur permettre de développer leurs capacités et d’améliorer leur couvert ». 

Ainsi, la situation proposée permet de donner de la valeur à l’activité d’apprentissage dans la mesure où l’utilité socioprofessionnelle est avérée : « on sait qu’on a un but à notre à notre projet et qu’il est concret. Donc on est forcément content de montrer ce qu’on a fait, qui va être utile aux agriculteurs. Il y a certains agriculteurs, ils vont essayer de semer plus rapidement le plutôt possible, parce que les chiffres ont montré que les couverts qui étaient semés le plus précoce c’était les plus développés, et donc les plus efficaces. Et donc sur ce point-là, ça les aide ».

B.   Un apprentissage utile, qui fait sens, car adressé à des acteurs qui ont valeur aux yeux des étudiants

Le travail avec le GIEE offre un cadre d’action particulier aux yeux des jeunes : « C’est différent (…) On travaille pour des agriculteurs, on est vraiment sur un sujet théorique mais qui amène un but précis dans la vie de tous les jours dans notre métier. C’était différent, et on est moins cloisonné que si on serait en cadre scolaire. Pour moi c’était du concret, comme ça on a pu faire un lien entre les résultats qu’on a eu et la plante de base », « C’était du terrain avec déjà la prise de biomasse, ce n’était pas comme on peut voir en classe du théorique, là c’était vraiment de la pratique donc on a trouvé ça très intéressant en fait ». Résoudre ou contribuer à éclairer une problématique par l’expérimentation apporte de l’intérêt à la production de connaissances pour l’action.

C.   Le temps fort de la restitution

Pour les étudiants, le temps fort du travail se réalise à l’étape de restitution. A partir de la qualité de leur rendu et des échanges que leur travail suscite, ce moment marque et valorise ce qu’ils ont appris : « moi ce que ce que je le plus aimé, c’est la restitution auprès des agriculteurs, les échanges entre-eux même. Ils ont échangé sur leurs pratiques de leur semis. C’est l’aboutissement d’un travail qui a été vachement intéressant. », « C’était un échange avec les agriculteurs, et des agriculteurs entre eux aussi, donc ça leur a permis d’échanger sur leur fonctionnement, sur leur façon de faire sur leur sélection de couverts, sur leur but après avec ces couverts. Et donc, ouais, ça les aide je pense », « (…) elle est importante parce que ça permet de faire la conclusion. De montrer vraiment ce qu’on a fait aux agriculteurs, et s’il n’y a pas ça, c’est pas complet quoi ».

Ainsi, la présence des agriculteurs lors de cet événement et leur participation est un aspect à prendre en considération car il ancre l’importance du travail fait.

D.   Mais aussi une phase d’évaluation en plusieurs temps à ne pas négliger

A partir de cette action, plusieurs temps d’évaluation sont organisés. Formatif (oral blanc en présence de Zeineb et de Frédérique), contribution à une évaluation certificative, à la restitution, mais également lors d’un temps de débriefing afin de tirer des enseignements sur ce qui pourrait être fait et comment l’année suivante. Autant d’étapes qui jalonnent et ancrent les connaissances que les jeunes construisent tout au long de l’action.

VI.          Conditions de réussite au-delà de l’adressage au GIEE

A.   La coopération entre toutes et tous

La coopération entre étudiants est à la fois un but pour développer des capacités à travailler et apprendre ensemble, mais aussi un moyen. Un but, car il faut activer ou développer des capacités à coopérer pour un but commun, trouver des solutions, d’écouter, voire s’autoriser à exposer son point de vue : « Il faut que tout le monde aille dans le même sens, que tout le monde aussi donne son avis sur ce qu’on est en train de faire pour avoir quelque chose qui est entre guillemets parfait ».

Cette dimension est bien sur conditionnée aux choix réalisés par les encadrantes, dans la mesure où la taille et à la composition des groupes facilite les échanges et l’activité de chacun, comme le souligne les étudiants : « Fallait pas être deux hein, mais à six on se serait marché dessus… non c’était bien 4. Histoire qu’il n’y en ait pas un qui fasse tout et puis qu’il y en a qui se disent bon on va se laisser aller. »

B.   La qualité et la nature de l’encadrement : entre autonomisation et soutien

Le guidage de l’action et l’accompagnement réalisé par le binôme coordinateur de l’action est un élément clé. Il s’agit d’autonomiser les jeunes dans les tâches qu’ils ont à réaliser, dans ce qu’il faut apprendre, mais également apporter un soutien pour dépasser les obstacles qui ne relèvent pas prioritairement des objectifs d’apprentissage ; ce qui limite les risques de décrochage. Ainsi pour faciliter l’action, Frédérique se charge de contacter les agriculteurs, avec Zeineb elles aident pour réaliser le traitement des données et à rendre un travail de qualité. Elles se coordonnent régulièrement pour réguler et anticiper sur les difficultés que risquent de rencontrer les étudiants afin qu’ils se concentrent sur le fait de manipuler ce qui est à apprendre. Les étudiants le voient et apprécient cet engagement qui les rassurent et balisent leur travail : « Frédérique, elle c’est son boulot de faire ça, donc on a vraiment été cadré. (…) Même après dans l’analyse des résultats, on n’a pas tout analysé tout seul, on a eu des explications par Frédérique et Zeneib, et ça s’est très bien passé » « Frédérique, elle a l’outil en main, l’outil merci. (…) C’était très rassurant pour l’ensemble du groupe classe parce qu’on était, on a pas été jeté dans l’inconnu », ou encore « C’est Frédérique qui a pris les coordonnées des agriculteurs, elle avait déjà tout, et elle nous a juste orienté comment faire, et ça s’est très bien passé grâce à ça aussi je pense. Elle a permis de faire l’intermédiaire entre la classe et les agriculteurs ».

VII.          Conclusion et perspectives

A.   L’intérêt des groupes est perçu pour se former, mais sans y voir de lien avec la TAE

Lorsque nous interrogeons les jeunes sur l’intérêt de contribuer ou de travailler dans une dynamique de groupe de développement, ils évoquent leur situation personnelle, ramenant les expériences de la famille, et un point de vue sur la façon dont ils envisagent de s’engager dans de tels groupes. A minima, c’est une expérience et une ouverture sur de nouveaux groupes.

« Chez moi personnellement non, il y a pas de groupe pour ce type de projet. On est dans des groupements, mais c’est plus des groupes sur le lait, pas trop sur les cultures. ». « Moi mon père il est au Cedapa. C’est plus un groupe pour la pratique de l’herbe, du système herbager ».

« C’est un accompagnement je pense… moi je vois chez mes parents, mon père fait aussi partie d’un groupe « Atout lait », donc il permet de d’échanger avec les autres agriculteurs. Je pense que moi je ferais pareil, parce que ça peut apporter beaucoup de bénéfices de se comparer, de voir comment on est par rapport aux autres, aussi ce qu’on pourrait améliorer, et c’est vrai que des fois en tant qu’agriculteur on n’a pas forcément le temps de penser à tout ça… donc moi je trouve ça top, c’est le but des groupes travail, c’est de pouvoir toujours s’améliorer et d’apprendre. (…) quand tu es borné sur un truc et puis qu’au final tu te rends compte que justement [il y a] des pratiques qui sont mieux et qui peuvent t’apporter plus, ça, des groupes comme ça permet de s’améliorer. »

En revanche, les caractéristiques de ce GIEE, comment ces agriculteurs coopèrent, qu’est ce qu’ils ont fait bouger dans leurs pratiques, en quoi c’est plutôt mieux qu’avant, il ne semble pas qu’il y ait eu de questionnement plus approfondi, comme s’il s’agissait d’un groupe comme un autre.

B.   Une façon de donner de la valeur au travail intellectuel ?

Un aspect qui nous semble à relever, c’est qu’au travers de cette action, qui vise à produire un travail intellectuel (d’analyse et de production de connaissances), les étudiants semblent accorder de la valeur à cette activité, alors qu’ils s’imaginent plus spontanément n’être intéressés que par la dimension « physique » du travail, ce qu’ils nomment la pratique. Or, ils sont fiers d’avoir produits une analyse étayée de connaissances théoriques. Cette prise de conscience par eux n’est pas spontanée et mériterait d’être outillée et guidée, pour les amener à réaliser qu’ils ont pris du plaisir et de l’intérêt à cette activité intellectuelle : « Avec de la pratique on est arrivé au bout à la théorie en se résumant, mais de notre base on a fait la de la pratique quoi ».

C.   Un dispositif qui entraine d’autres capacités, qui pourrait faire l’objet de débriefing spécifique pour ancrer les acquis.

Plusieurs capacités (notamment psychosociales, cf Lamboy B & al, 2022) sont entrainées en relation avec les capacités techniques, pour construire la capacité professionnelle. Sur le plan cognitif, émotionnel ou social, il est question de prendre des décisions, de réguler son stress et ses émotions lors du travail de groupe ou de la restitution, de communiquer et de développer des relations constructives, de dépasser des difficultés en collectif, etc… Par ailleurs, l’action semble développer le sentiment d’efficacité personnelle, et plus largement les dimensions estime, image et confiance en soi : « Je suis très fière en fait des résultats. (…) Ils sont fiers aussi hein, ils sont fiers de pouvoir faire ce travail-là qui est énorme, mais aussi de pouvoir transférer ça aux agriculteurs, et de de participer à cette restitution. Ce n’est pas évident aussi pour eux de s’exprimer face, non pas à des formateurs, non pas à des collègues comme eux, mais à des agriculteurs. Aussi c’est un exercice qui est enrichissant comme ils disent, ils ont vraiment su très bien assumer l’action, et quand je demande aussi là aux jeunes donc c’est quoi un couvert ? Quelle est l’utilité d’un couvert ? Quels sont les mélanges qui sont les plus efficaces pour tel ou tel couvert ? Là ils savent très bien répondre ».

D.   Pour la suite, veiller à bien délimiter la situation et à caler la progression pédagogique

De cette première expérience réussie de coopération, quelques enseignements sont à prendre particulièrement en considération. L’importance de « voir » et de manipuler les objets d’apprentissage pour les comprendre et se les approprier, mais également de veiller au choix de la situation professionnelle afin qu’elle soit suffisamment complexe, à enjeux pour les agriculteurs, tout en étant à la portée des jeunes : « A la lumière de ce qu’on a fait, je me dis qu’il ne faut pas mettre des objectifs très ambitieux au titre compliqué. C’est là qu’on a vu la nécessité pour eux le besoin de connaissance par rapport à l’ambition qu’on pourrait avoir en tant que conseiller agronomie depuis quelques années dans le métier. Avec des jeunes qui sont en formation, en cours d’acquisition, on ne peut forcément pas avoir le même degré de d’exigence. Donc, quel que soit le projet, il faut que ça soit en ayant le souci de répondre à une problématique ou une question terrain d’agriculteur, que ça soit accessible en termes de d’outils, et que ce que nous on se dise aussi de réussir à combiner une partie terrain qui permet de visualiser et d’acquérir, et une partie acquisition de connaissance, soit par du traitement de données, soit par de la recherche individuelle, ou du travail plus théorique ou « papier ». Mais voilà il faut combiner ces deux-là parce qu’on a bien compris que c’était vraiment important le fait de voir pour comprendre en fait ».

Un second point de vigilance concerne plus particulièrement la coordination au sein de l’équipe pédagogique, afin d’outiller les jeunes et les placer dans les meilleurs conditions de réussite : « C’est bien de les mettre aussi dans des situations complexes, c’est finalement la réalité du terrain, mais peut-être que ce qui est le plus à anticiper c’est de nous l’équipe de formateurs, de définir le projet dès maintenant et à intégrer les autres aussi disciplines générales les mathématiques, l’informatique aussi. La zootechnie aussi si c’est un sujet sur l’herbe, ça pourrait être intéressant de travailler en pluridisciplinarité et d’intégrer toute l’approche globale du projet en fonction des modules ».

Références :

Lecomte J., 2004, Les applications du sentiment d’efficacité personnelle, Savoirs, Hors série (5), p. 59‑90. DOI : 10.3917/savo.hs01.0059

Carré, P. (2004). Bandura : Une Psychologie Pour le Xxie Siècle ? Savoirs, Hors série(5), 9-50. https://doi.org/10.3917/savo.hs01.0009.

Lamboy B & al, 2022, Les compétences psychosociales : un référentiel pour un déploiement auprès des enfants et des jeunes. Synthèse de l’état des connaissances scientifiques et théoriques réalisé en 2021, Etat des connaissances, Santé Publique France, https://www.santepubliquefrance.fr/content/download/424452/3414372?version=1

Pastré, P. (2008). La Didactique Professionnelle : Origines, Fondements, Perspectives. Travail et Apprentissages, 1(1), 9-21. https://doi.org/10.3917/ta.001.0009.

Auteurs : François Guerrier, Marion Diaz (Institut-Agro Rennes Angers),  Zeineb Bessaidi (Campus La Ville Davy), Frédérique Cano (Chambre Régionale d’Agriculture de Bretagne, Groupe Dephy 22),  Rédigé en avril 2025

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Descriptif : Le diaporama de présentation des étudiant.es

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Date :19 mai 2025
Mots-clés : Agroécologie, Conduite de projet, Décrochage Ancrochage, Motivation, engagement, Partenariats, Pédagogie de projet, Professionnalisation, dynamique d’équipe, Territoire

Voie de formation : Voies mixtes
Niveau de formation : III (BTS)
Initiative du dispositif : Régionale
Structure d’appui : Etablissement National d’Appui
Référent : Emmanuelle Zanchi ,emmanuelle.zanchi@agriculture.gouv.fr

Etat de l’action : En cours
Nature de l’action : Innovation
Etablissement National d’Appui : Agrocampus Ouest

 

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