Résultat de la recherche avancée

Enseigner le concept « agroécosystème » en BTS Productions Horticoles à l’EPL « Terre d’Horizon » de Romans-sur-Isère

EPL Horticole « Terre d’Horizon », Auvergne-Rhône-Alpes

1414 Chemin de Rosey Ouest

26100 ROMANS SUR ISERE

Tél : 0475712525
Site web : https://terre-horizon.fr/
Responsable : Brigitte BESSON ,
Rédacteur de la fiche : Brigitte BESSON et Christian PELTIER, Référente régionale AuRA « appui aux équipes pour enseigner les transitions agro-écologique et éducative » / chargé de mission « pédagogie et didactique » Bergerie nationale de Rambouillet et chercheur en science de l’éducation UR-FoAP
, christian.peltier@bergerie-nationale.fr

DESCRIPTION SYNTHETIQUE DE L’ACTION

De l’accompagnement du dispositif tiers-temps à un temps de travail pédagogique collectif

L’EPL horticole « Terre d’Horizon » forme des BTS « productions horticoles » avec un engagement fort sur les transitions agroécologiques, partagé et exprimé par l’ensemble de l’équipe pédagogique mais aussi le public apprenant assez caractérisé par un profil alternatif. L’obtention d’un porteur de projet « tiers-temps » (un enseignant disposant pendant 3 ans d’un tiers de son temps à consacrer à un projet d’animation et développement du territoire) autour d’un projet agroforestier donne l’opportunité à l’EPL d’être accompagné localement par la Bergerie Nationale (en l’occurrence Christian Peltier) puis par l’animatrice régionale EPA2 (Brigitte Besson). Une parcelle agroforestière est créée et conduite avec les étudiants et le sujet de l’agroforesterie et est intégrée dans le cursus des étudiants comme une étude allant de soi.

Dans le cadre du suivi du dispositif tiers-temps par la Bergerie Nationale, Christian Peltier s’est déplacé à la rencontre de Guilhem Heranney et de son équipe. La référente régionale EPA, Brigitte Besson, s’est jointe à l’évènement. L’atelier avait été préparé en amont entre eux. Ici, c’est en tant qu’observatrice de ce qui s’est déroulé à Romans que Brigitte a rédigé la fiche.

A un moment donné de la discussion avec l’équipe, deux questions se sont posées 1- Qu’est-ce que les apprenants devaient apprendre et si oui, quel type de savoir ? Nous souhaitons focaliser l’attention sur la relation qui existe entre les savoirs théoriques et les savoirs organisateurs du raisonnement 2- Comment le concept d’agroécosystème, identifié comme central pour travailler la séquence dans une idée de transitions, est-il travaillé en équipe ?

Les projecteurs se sont tournés vers une collègue, S., enseignante en techniques horticoles, officiellement en charge (fiche de service) du sous-objectif « évolution des agrosystèmes », intégré au module M53 intitulé « fonctionnement des agrosystèmes horticoles » visant la capacité 7 « porter un diagnostic sur le fonctionnement d’un agrosystème horticole ». Ainsi le concept d’agroécosystème pourtant organisateur des apprentissages était dévolu à une seule collègue « chargée de… », pour un volume horaire faible (6 heures), en introduction de cursus – première semaine de la première année. La valeur pluridisciplinaire et problématique liée aux transitions des agrosystèmes apparaît comme sous-estimée, méconnue de toute l’équipe qui se sent d’ailleurs presque non concernée.

A côté de cela, de manière transparente et franche, S. exprime ses difficultés pour traiter la séquence. Elle dit ne pas être à l’aise avec ce qu’elle propose, ne pas être satisfaite de l’adhésion des apprenants ; elle ne sait pas si ceux-ci finissent par comprendre la différence entre « écosystème » et « agrosystème » ; elle se demande l’utilité de ce travail. Cela semble d’autant sensible que S. se dit « limitée en termes de connaissances » et « ne pas avoir de livre d’histoire ». Si S. est dans une posture de transmission d’informations qu’elle-même maîtrise peu, nous pouvons expliquer encore davantage l’inconfort qu’elle nous exprime. S. est tendue, la situation semble douloureuse pour elle.

Fort de ces constats, il a été proposé à l’équipe de s’intéresser au cours de S. lors d’un atelier d’analyse de pratiques pédagogiques. L’idée est d’aider certes S., la première concernée, mais au-delà de S., de créer une culture d’équipe, commune autour du concept d’agroécosystème que nous tenons comme possiblement structurant, à la fois pour les apprenants et l’équipe pédagogique. C’est de cette analyse dont il est question dans cette fiche. Elle repose sur ce qui a été révélé par S. et expose les propositions qui lui ont été faites pour se terminer par le retour réflexif de S. qui a eu l’occasion de tester une autre façon de faire.

Nous partons du postulat que d’autres enseignants peuvent se reconnaître dans le vécu de S. et qu’ainsi les pistes suggérées peuvent les éclairer.

Une équipe en apparence soudée mais des individualités

L’expérience dont il est question concerne S., une enseignante de techniques horticoles, et avec elle, toute l’équipe pédagogique d’une classe de première année de BTS « productions horticoles » (aujourd’hui le BTS a été rénové, il s’appelle « Métiers du Végétal : alimentation, ornement et environnement »).

L’équipe est plutôt soudée autour de valeurs communes en matière de transition agro-écologique. Guilhem, le porteur du projet tiers-temps « agroforesterie », appartient à l’équipe : il est enseignant en techniques horticoles et coordinateur de la filière. Il a un profil de technicien et est très motivé par la mise en situation des BTS sur l’exploitation horticole de l’EPL qu’il envisage « le plus souvent possible, même toutes les semaines » ; il dit que « pour apprendre, les étudiants doivent faire » et il explique que « les étudiants reçoivent les consignes collectivement et sont autonomes ; les enseignants observent et suivent le travail ; le DEA (directeur de l’exploitation agricole) et les salariés participent aussi à l’encadrement des situations de terrain ». Chaque semaine, Guilhem essaie de coordonner l’équipe et l’emploi du temps, entre les TP et les cours qui sont souvent guidés par le calendrier horticole. Pilotée par Guilhem, l’équipe tente d’être flexible sur les plannings établis et les contenus attendus. Certains s’y retrouvent, d’autres se disent déstabilisés ; ils n’apprécient pas le cadre « flottant » et certains sont même mal à l’aise pour faire les ponts entre TP et cours, c’est-à-dire envisager des cours donnant le pouvoir d’agir en TP et qui ne soient donc pas théoriques ; ceux-ci se sentent comme des satellites de l’équipe et S. est l’une d’elle [voir le film pédagogique réalisé par C. Peltier, 2022, Enseigner-apprendre autrement les productions horticoles au Lycée Terre d’horizon].

Comme nous allons le voir ensuite, s’intéresser à la séquence de S. via l’atelier collectif de pratiques pédagogiques aura été l’occasion d’aider S. à retrouver pied dans l’équipe et d’accroître la vigilance de l’équipe sur l’articulation globale de la formation – la place des uns et des autres, en termes d’organisation et de savoirs.

Comment transformer l’expérience de S.

Le cadre, une analyse de pratique pédagogique

S. a accepté de partager son expérience. Soulignons ici le courage dont elle a fait preuve car il n’est pas aisé de donner à voir son intimité de travail surtout si elle est émaillée de difficultés qu’il faut aussi exposer publiquement.

L’atelier a été préparé en amont avec S. grâce à un questionnement par mail et par téléphone ; nous nous approchons d’une analyse du travail (Oddone) : « Demain je te remplace et il faut que personne n’y voie goutte ». Le questionnement se fait autour de quatre questions (Fleury) :

– Qui sont les apprenants ? Comment ça se passe entre vous ?

– Que voulez-vous qu’ils apprennent vraiment ?

– Quel savoir est institutionnalisé ? Quelle remobilisation est prévue ?

– Quel est le déroulement pédagogique ?

Nous avons complété ces informations en récupérant les supports de travail : le plan de cours de S., ses documents de travail, les schémas construits avec les apprenants et qui sont restés dans le classeur… Cela nous a aidés à cerner les intentions de l’enseignante, le réalisé et l’obtenu. C’est à partir de ce matériau que nous avons pensé les propositions pédagogiques et didactiques qui vont suivre.

Le jour J de la tenue de l’atelier, l’équipe s’est appropriée le sujet grâce à l’instruction au sosie qui a été reproduite devant tous et à quelques documents pédagogiques de S. partagés à tous.

La proposition initiale de l’enseignante et son ressenti

S. dispose de 6h pour conduire « l’évolution des agrosystèmes », qu’elle présente comme un sous-objectif du module M53 intitulé « fonctionnement des agrosystèmes horticoles » visant la capacité 7 « porter un diagnostic sur le fonctionnement d’un agrosystème horticole ».

Le scénario pédagogique de S. est organisé en 3 séances de 2 heures chacune qui sont :

Séance 1 – « Qu’est-ce qu’un agrosystème, un écosystème ? ». Cette séance est un cours dialogué, l’enseignant guidant les réponses, allant chercher ce que les jeunes ont dans la tête. Le début est classique : « pour vous, qu’est-ce… » ; le questionnement est appuyé d’un document de travail (un schéma tiré d’un livre : système « forêt » vs système « champ de blé »). S. vise, via la production d’une carte mentale (illustration 1) et à partir des représentations des étudiants, à définir les mots « écosystème » et « agrosystème ».

Séance 2 – L’évolution des agrosystèmes est travaillée à partir d’un document, donné aux étudiants ; il est lu collectivement et commenté par S.. Le document reprend très synthétiquement (5 pages) l’évolution des systèmes agricoles européens depuis la Préhistoire jusqu’à la modernisation agricole des années 1960-62 et se termine par une ouverture sur l’agriculture durable selon les 3 piliers économique, social et environnemental. S. demande aux étudiants de réaliser une frise historique construite in itinere en même temps que la lecture collective du texte. S. vise « les grandes dates » et « comment ils sont nés et comment ils ont évolué ».

Séance 3 – Cette séance est focalisée sur l’agroforesterie, pour valoriser le tiers-temps de l’EPL. S. l’envisage avec une entrée : « que faire pour améliorer les systèmes agricoles ? ». L’agroforesterie est présentée comme la seule solution de transition agro-écologique et cela sous un angle plutôt engagé : « un agrosystème d’avenir ». Le cours est descendant. D’abord S. définit l’agroforesterie puis à l’aide d’un document, dont elle dit qu’il est « super », elle illustre l’agroforesterie à travers le cas des noyeraies du Dauphiné ; S. justifie ce choix parce que la noix est une production locale (proximité du bassin de production de l’AOP « noix de Grenoble »). La séance se termine par un questionnaire de 10 questions à partir du texte donné. Les étudiants rendent un compte-rendu écrit qui sera noté et qui équivaudra l’évaluation de la séquence.

Intéressons-nous à l’expérience que nous offre ici S. : tentons de comprendre ce qui s’est passé et de là, ce que nous avons proposé.

Le malaise de S. se comprend : elle a naturellement envie que son intervention donne un travail stimulant et signifiant chez les jeunes (Dewey) ; elle déplore que ce ne soit pas le cas. Si les étudiants réalisent les exercices demandés, ils ne s’intéressent pas vraiment à son contenu, ils remplissent une partie du contrat : participer. En déployant quelques choix pédagogiques et didactiques exposés plus bas, nous pouvons montrer, avec l’exemple de S., en quoi les savoirs en jeu peuvent être intelligents (quel sens ils ont, comment les faits sont reliés les uns aux autres, comment les transformer et les utiliser pour penser et agir) et en quoi l’apprentissage peut aussi susciter de la motivation ; la motivation peut être vue comme une condition préalable facilitatrice pour entrer dans le travail, au départ de l’activité… mais aussi et surtout comme un objectif à atteindre (Astolfi). Si apprendre, c’est grandir (selon Piaget) ou rajeunir (selon Bachelard), quoiqu’il en soit, l’apprenant se développe ; la motivation est la gratification de ses efforts ; elle naît parce qu’il accède au plaisir d’apprendre et à la joie de comprendre… autrement dit, parce qu’il retrouve la saveur des savoirs (Astolfi). Et il semble que dans l’histoire que nous raconte S., la motivation est absente.

La question du cœur de cible des apprentissages, ici le concept d’agroécosystème

Le cœur de cible (Astolfi) correspond aux savoirs que l’enseignante veut avoir construits à la fin de son travail. Identifier son cœur de cible demande de prendre de la hauteur pour se demander ce qu’on veut vraiment que les jeunes apprennent, ce qui est pour nous, non négociable, fondamental.

Avec une séquence si courte (6h), dédiée à l’évolution des agrosystèmes, il est encore plus nécessaire de se demander à quoi les utiliser.

Face à ce que nous entendons, nous questionnons S. : plus que de vouloir délivrer une somme d‘informations en courant après le temps dont on dispose peu, ne serait-ce pas plus pertinent de l’utiliser à construire le concept organisateur ? Les avantages sont nombreux pour l’équipe toute entière : S. peut organiser une scénarisation pédagogique qui a du sens et qu’elle maîtrise, les étudiants sont rassurés car ils perçoivent très bien le cœur de cible, l’équipe peut le mobiliser par la suite au grès des activités, gagnant à la fois du temps – les étudiants sont déjà outillés – et de la cohérence didactique – travailler avec les mêmes outils. Nous proposons ainsi que S. utilise ses 6 heures à construire le concept avec les jeunes pour qu’avec toute l’équipe, sur les 2 ans, ils le ré-utilisent.

Il est nécessaire que cela soit « encodé » c’est-à-dire nommé, dit, organisé au sein de l’équipe. C’est à la condition de remobilisations multiples et variées du concept que les étudiants l’intègreront, le rôderont comme un outil à penser les systèmes horticoles dans une perspective de durabilité… Ce que vise la capacité 7 « porter un diagnostic sur le fonctionnement d’un agrosystème horticole ».

Même si depuis l’accompagnement dont il est question ici, le diplôme a été rénové, le concept d’agroécosystème reste toujours le concept organisateur ; l’actuelle analyse est donc toujours d’actualité. Associé au concept de durabilité, car les deux fonctionnent en réseau, ils restent les meilleurs outils pour penser les transitions et rendre les étudiants capables de diagnostiquer et d’agir, ce que vise le référentiel capacitaire.

Nous voyons bien que même si la notion d’agrosystème n’est pas nouvelle dans l’enseignement agricole, la façon de l’enseigner reste embarrassante encore aujourd’hui. L’approche reste souvent binaire en opposant « écosystème » vs « agrosystème », ce que révèle d’ailleurs l’illustration 1 à laquelle S. et les étudiants sont arrivés.

Illustration 1 – production à l’issue de la première séance dite « carte mentale » selon S.

Si pour S., la carte mentale vise à définir les mots-clefs « agrosystème » et « écosystème », nous voyons bien qu’à l’arrivée, avec un tel schéma construit en cours dialogué et certainement avec un texte en appui, l’objectif n’est pas atteint : ce qui caractérise l’un (écosystème) et l’autre (agrosystème) et les facteurs faisant évoluer l’un vers l’autre et vice-versa ne sont pas distingués et explicites. Nous doutons que les choses soient au clair dans la tête des jeunes à l’issue de la séance. Sans doute, ne le sont-elles déjà pas au départ dans la tête de l’enseignante. L’illustration ne semble pas in fine la forme la plus réflexive et réinvestissable pour les étudiants.

  1. semble s’inscrire dans la posture de distribution de savoirs informatifs – ici sur l’historique des agrosystèmes. A la fin de la séquence, elle espère que ses étudiants auront les connaissances sur… qu’elle aura choisies et qu’elle aura délivrées, qu’ils soient érudits, qu’ils sachent que… (Astolfi repris par Fleury). Il est important que S. autant que ses collègues accèdent aux savoirs conceptuels ; ces savoirs sont du registre du « savoir comment… » et du « savoir pourquoi… ». En gros ils permettent de s’y connaître ; on les appelle aussi des savoirs-outils car ils aident au raisonnement ; finalement, ils rendent compétents (Astolfi repris par Fleury). En matière d’apprentissages, les deux savoirs sont utiles pour rendre les étudiants capables de…

Notre attention se porte volontairement sur cet objectif aussi : l’outillage conceptuel des enseignants, en vue de l’outillage conceptuel des étudiants. Pour le collectif, cette distinction des savoirs est une découverte. Nous allons l’illustrer à partir de la situation de travail de S. pour aider à sa compréhension.

Mais avant de modéliser le concept « agrosystème/écosystème », nous avons encore pris du temps, celui de creuser davantage le sujet : n’y aurait-t-il pas quelque chose qui se joue en termes d’apprentissages entre écosystème-agrosystème-agroécosystème ? Pour nous et dans l’idée des nouveaux référentiels et des transitions, le concept d’agroécosystème semble le plus structurant car il induit l’idée de modernisation agro-écologique. Introduire une troisième voie, celle de l’agroécosystème, permet de sortir de l’opposition binaire « écosystème » vs « agrosystème ». Nous proposons à S. et à l’équipe un schéma conceptuel (illustration 2), outil intellectuel, instrument pour penser et agir.

Illustration 2 – proposition de schéma conceptuel « agroécosystème » (Peltier et Besson-Ringeval, 2020)

Nous explicitons comment nous avons pensé le concept et comment nous avons construit le schéma. Le collectif l’accueille favorablement. Tous mesurent combien il cadre le raisonnement et fait accéder à la compréhension des mots-clefs, combien il gomme les faux raccourcis – forêt = écosystème et champ de blé = agrosystème. Également le collectif mesure la dynamique de modernisation (sociotechnique puis sociéto-technique) qui s’y exprime ; il réalise qu’effectivement la troisième voie suggérée, celle de l’agroécosystème, est pertinente aux regards des enjeux actuels au cœur des métiers du Vivant et de la nécessité de produire ou entretenir les espaces autrement. En somme, le schéma parle. De son côté, S. mesure l’écart entre sa « carte mentale » et cet outil. Elle se projette déjà dans « comment construire cela avec les jeunes ». Un déclic semble s’opérer chez elle. De son côté, l’équipe conçoit que le schéma peut se mobiliser facilement sur le terrain ou en salle.

 La question de la problématisation pour valoriser les séances 2 et 3

A la suite de notre première proposition – cibler le concept organisateur de la séquence – nous poursuivons la discussion avec S. et le groupe. Nous nous interrogeons sur le sens du contenu de la séance 2 « évolution historique des systèmes agricoles » et de la séance 3 « l’agroforesterie, système d’avenir ». Dans chaque cas, il nous semble important de sortir du cadre de la délivrance d’informations pour accéder au sens de ce qui se joue. Il faut recourir à la problématisation.

En premier lieu, nous convenons que si le schéma conceptuel construit lors de la séance 1 y est réinvestit comme outil pour penser, la séance 2 basée sur l’évolution des systèmes agricoles (depuis le Néolithique jusqu’à l’agriculture durable) arrive logiquement et offre un bon potentiel d’apprentissage.

Donnant accès à la fois aux critères-clefs qui définissent les systèmes mais aussi à une dynamique d’évolution, l’illustration 2 semble apte à bonifier l’exercice donné par S. à ses étudiants. Ainsi équipés, ils dépasseraient le format d’une frise historique classificatoire et récapitulative de faits historiques – le livrable initial attendu par S. – pour davantage mettre en évidence l’évolution : comparer les systèmes à travers les époques, c’est-à-dire les caractériser, identifier les facteurs d’émergence des nouveaux systèmes sur les « ruines » des précédents ;  typer les liens homme-ressources communes à travers les ères historiques de type « maîtrise » ou « pilotage » / « contre/malgré la nature/l’animal » ou « avec la nature/l’animal ». En somme, la séance 2 problématiserait l’évolution agricole (voire agraire) au lieu d’énoncer des évènements.

En second lieu, la séance 3 ciblée sur l’agroforesterie pourrait elle aussi être problématisée. La question-problème « l’agroforesterie, une solution d’avenir » amenée par S. n’est pas construite avec les jeunes ; sa résolution n’est pas davantage réalisée avec les jeunes, pourtant il faut les faire réfléchir : de quelle façon peut-on aujourd’hui considérer l’agroforesterie comme une des solutions agroécologiques possibles ? S’agit-il dans la tête de l’enseignante de définir l’agroforesterie ou plutôt d’ouvrir la question « en quoi est-elle une réponse possible et sous/dans quelles conditions ? », « comment elle refait son retour dans l’histoire agricole ? ». Nous sommes aussi curieux de savoir comment S. reboucle avec écosystème-agrosystème-agroécosystème. Une piste de réflexion est apportée en s’inspirant de la problématisation réalisée par Frédrick Levêque et Christian Peltier sur le verger maraîcher (illustration 3). Nous y voyons bien la façon d’arriver au sens de l’objet étudié : de quel système s’agit-il ? Un ou des système(s) agroforestier(s) ? En réponse à quel problème ? En quoi est-il pertinent ici ? Comment ça fonctionne et ici, comment cela pourrait fonctionner ?

Illustration 3 – Début de problématisation autour d’un verger maraîcher (Lévêque et Peltier, 2017)

Nous partageons notre étonnement que l’exemple pris pour illustrer l’agroforesterie soit la nuciculture (production de noix), même si nous comprenons que S. ait voulu mettre à l’honneur une production locale. Cette production n’a jamais été remise en cause donc où est le problème qu’elle veut soulever ? Si la nuciculture est comme tout système productif remis en question, nous osons penser que le document utilisé – pourtant jugé comme « super » par S. – n’est pas adapté car trop généraliste et pas assez critique sur les enjeux de la filière nucicole l’amenant à penser des logiques de modernisation agroécologique. Quoiqu’il en soit, qu’on soit en l’absence de question-problème ou qu’on soit mal aidés par le document, les jeunes passent à côté de l’occasion de remobiliser l’outil conceptuel donc de réfléchir. Il conviendrait donc aussi de mieux problématiser l’exemple nucicole si S. y reste attachée.

Nous nous interrogeons sur le fait que la parcelle agroforestière impliquée dans le tiers-temps ne soit pas introduite et problématisée à cette occasion

La question de la durabilité

Dans la pratique de l’enseignante, nous constatons que la durabilité est ici encore une question embarrassante (Peltier et Mayen 2017, https://hal.science/hal-02299142/). Trois observations nous viennent à l’esprit.

  • L’agriculture intensivement écologique est la seule évoquée par l’enseignante or elle n’est pas la seule voie de modernisation agroécologique.
  • La durabilité arrive à la fin comme un « cheveu sur la soupe » et l’agriculture durable est présentée comme le système terminal, abouti du processus d’évolution agricole. Ne faut-il pas mieux la voir comme la problématique qui guide et donne du sens à l’histoire des agrosystèmes ? L’idée est de penser la durabilité comme un outil pour lire les trajectoires et non pas comme un aboutissement sociotechnique. Cela aurait aussi l’avantage de ne pas clore le sujet en 2007, dernière date du cours, date ancienne et date dont nous nous demandons d’où elle sort d’ailleurs. Que deviennent l’agroécologie, les politiques publiques, les QSV… après 2007 ?
  • En cela, la définition de la durabilité par la représentation des 3 cercles – environnement, économie, social – n’est sans doute pas l’outil le plus opératoire pour comparer et évaluer les trajectoires. Nous amenons l’équipe et S. sur l’outil ESR (Gaborieau, 2022, ESR, un instrument pour penser les transitions, https://pollen.chlorofil.fr/crisalide/resultat-de-la-recherche-plein-texte/vuecrisalide/5195/), un des seuls outils capables d’entrer dans la complexité des situations.

Retour d’expérience de S., 1 an plus tard

Une année plus tard, toujours dans le cadre du suivi du projet « tiers-temps », nous avons eu l’occasion de revoir S. et d’échanger avec elle sur les modifications qu’elle a introduites dans sa séquence pédagogique, sur l’implication des apprenants et sur son ressenti.

Elle a mis en application les propositions faites car celles-ci lui correspondaient. Elle dit que « ce qu’elle doit faire avec ses 6 heures est plus clair dans sa tête et lui semble plus intéressant ». Partager la responsabilité du concept d‘agro(éco)système avec tous ses collègues lui est aussi plus confortable ; elle trouve maintenant que cette séquence, qu’elle ressentait comme isolée, a bien sa place dans la formation globale. Il semble que l’atelier d’analyse de sa pratique enseignante ait amorcé un ré-ancrage dans l’équipe où elle se sentait en marge. S. trouve aussi que sa relation avec les étudiants a changé, elle dit que « cela se passe mieux, qu’il y a une interaction entre eux et elle et que cela est agréable ». Elle va jusqu’à dire : « ça faisait longtemps que je n’avais pas eu tant de plaisir à faire cours, c’est comme une ‘révolution’ pour moi ».

Nous nous réjouissons que l’accompagnement aide les enseignants à prendre du recul sur ce qu’ils doivent enseigner et ainsi les rassure et les guide, qu’en quelque sorte ils prennent, ou retrouvent comme ici S., également plaisir dans leur métier.

Restons sur cette évolution personnelle. Elle a été rendue possible car du côté de l’accompagnement, nous nous sommes restés en vigilance : qu’est-ce que S. va être capable d’entendre, de comprendre, pour qu’elle accepte, adopte, transforme les propositions ? En somme, nous avons veillé à nous inscrire dans sa zone proximale de développement (Vygostki). Visiblement, le retour positif de S. prouve que les propositions pédagogiques et didactiques qui lui ont été faites étaient compréhensibles et faisables pour elle. Elle a accepté les propositions qui l’ont entraînée à changer parce que cela ne la mettait pas en danger ; la marge de progression est restée raisonnable. Aucune transformation n’aurait été possible si S. avait été mise face à un défi insurmontable ; face à une tâche trop difficile, S., entraînée en zone de rupture, n’aurait pu la réaliser et ses émotions auraient été accrues. En revanche, avec une tâche raisonnablement difficile et surmontable, ce qui semble être le cas ici, elle a pu progresser.

Pour conclure

Nous rappellerons l’importance de prendre du recul sur le référentiel d’accompagnement et de viser avant tout à clarifier dans sa tête son cœur de cible. Cela facilite la progression des apprentissages pendant la séquence, les interventions de l’enseignant pour réorienter, ajuster, étayer … et in fine donner de la valeur à ce qui donne du pouvoir de penser et d’agir … souvent en situation complexe et incertaine.

L’exemple de S. nous montre aussi que souvent la répartition des modules au sein d’une équipe individualise les enseignants et les savoirs ; il nous semble important de noter l’importance de temps collectifs de travail pour faire des ponts et chercher autant que se peut une cohérence globale ; cela permet de gagner du temps et du sens pour tous. Dans le cas de la séquence de S., il s’agirait de trouver un schéma qui fasse consensus (le nôtre en illustration 2 n’est qu’une proposition) et que l’équipe valide sa remobilisation tout au long de la formation. De même, il nous semble important de rappeler la primauté du référentiel de compétences pour définir ce qui est attendu en termes de savoirs, conceptuels autant qu’informatifs, car ce sont les capacités professionnelles qui les guide.

Enfin grâce aux moyens d’accompagnement des équipes qui existent, comme ici à Romans-sur-Isère via le dispositif tiers-temps, nous voyons combien la question des apprentissages est un sujet dense, à fort potentiel de développement personnel et professionnel. Les enseignants se sentent souvent seuls, or ils peuvent être aidés. Réaliser l’accompagnement dans la durée est un gage de meilleure efficacité car cela permet de construire la confiance, travailler l’objet, l’expérimenter et de réaliser un feed-back qui fait partie du processus formateur. C’est de cette manière et dans ce contexte que nous avons pu travailler avec S. pour progresser collectivement.

VIDEOS

Mots-clés : Agroécologie, Analyse de pratiques pédagogiques, Professionnalisation, dynamique d’équipe

Voie de formation : Formation initiale
Niveau de formation : III (BTS)
Initiative du dispositif : Locale
Structure d’appui : Etablissement National d’Appui
Etablissement National d’Appui : Bergerie Nationale

Référent : Brigitte BESSON ,brigitte.besson@educagri.fr

Etat de l’action : Terminée
Nature de l’action : Innovation

COMMENTAIRES

Aucune entrée trouvée

Ajouter un commentaire