Résultat des innovations
Accompagnement et amélioration itérative d’une étude de cas « Gestion de la haie » en BTSA à Melle
Lycée Agricole Régional Jacques Bujault, Nouvelle-Aquitaine
Route Roche
79500 MELLE
Tél : 0549270292
Site web : http://www.terres-et-paysages.fr/lycee-agricole-de-melle/
Responsable : Véronique Baud ,
Rédacteur de la fiche : Isabelle Gaborieau
Chef de projet : Baptiste Vuillet
DESCRIPTION SYNTHETIQUE DE L’ACTION
1ère étape – Une étude de cas basée sur des inventaires naturalistes
L’étude de cas « Gestion des haies » mobilise trois modules pluridisciplinaires. M55 (démarche de projet d’aménagement et de valorisation des espaces naturels), M52 (gestion de la nature et concertation territoriale) et M51 (expertises naturalistes).
Il y a trois ans, nous avons demandé aux étudiants de réaliser « un état des lieux et des propositions de gestion des haies du lycée ». Pour ce faire, nous avons banalisé une journée par semaine sur un semestre et formé des groupes de 4 étudiants affectés sur des secteurs différents afin de leur faire acquérir une démarche d’aménagement. Le travail a donné lieu à des écrits par groupe. La démarche devait être ultérieurement réinvestie en projets tuteurés et en stage. L’objectif était que les étudiants soient amenés à réellement comprendre la démarche qu’on attend d’eux, à savoir une démarche liée à la compréhension de la commande du territoire, des attentes des acteurs et ensuite, à partir de ces différents éléments, qu’ils mettent en place, proposent différentes possibilités en termes de gestion et qu’ils les justifient. Des interventions d’acteurs associatifs – de préservation de la faune et de la nature – ont été mises à l’emploi du temps, une lecture de paysage a été effectuée suivie par un travail sur cartes IGN, un protocole d’inventaires des haies a été distribué qui a permis aux groupes de faire en autonomie des relevés de la faune, de la flore, des habitats naturels à partir d’une fiche critériée (espèces dominantes, strates, âges des arbres, éléments paysagers, état global, milieu adjacent). Le partenaire technique a de son côté été invité à présenter ses avancées sur l’exploitation de Melle. En parallèle, une enquête a été menée auprès des habitants du territoire et, enfin, des cours de SIG, de cartographie, d’herpétologie et de botanique ont complété le dispositif. À l’issue des observations de terrain, les étudiants ont du produire des expertises, c’est-à-dire des diagnostics, des analyses et des évaluations sous forme de dossiers. Le déroulé mettait l’accent sur l’étude du contexte naturel et les inventaires d’une part, et d’autre part, sur l’enquête menée auprès des habitants sur leur perception de la haie. Les objectifs et les finalités du directeur d’exploitation restaient cependant dans l’implicite et, de fait, les étudiants n’ont proposé que des actions visant à préserver l’habitat naturel des espèces menacées présentes sur l’exploitation.
Lors de la première formation-accompagnement, nous avons été amenés à bien identifier la différence entre inventaire et diagnostic, le premier ne pouvant se substituer au second car ils répondent à deux logiques différentes (fig. 1).Figure 1 – Inventaires et diagnostic, deux logiques à distinguer
(d’après Fleury & Fabre, 2007)
Les formateurs ont renforcé dans notre esprit l’importance du diagnostic en nous présentant un outil conceptuel, le triangle de l’expertise (fig. 2), qui intègre aussi les jeux d’acteurs, les règles à prendre en compte lorsqu’il s’agit de prendre des décisions. Cet outil est susceptible d’être mobilisé par les jeunes, quelque soit le projet (comme dans le cas de notre plan de gestion des haies – PGH – par exemple).
Figure 2 – Le triangle de l’expertise (Fleury & Fabre, 2007)
À l’occasion de cette formation, notre partenaire professionnel nous a également présenté la manière dont il prend une décision quant à la gestion d’une haie : « J’échange d’abord avec l’exploitant, je discute notamment des objectifs et des moyens à disposition et, si j’ai le temps [lors de cette première visite], je m’inquiète seulement alors des données du milieu ». Il nous a ensuite donné des clés pour une gestion multifonctionnelle des haies : conduire avec l’exploitant une démarche d’enquête visant à expliciter ses intentions (objectifs), sa pratique (dont les moyens disponibles) et sa stratégie.
En fin de stage, nous avons décidé de faire travailler les jeunes sur leurs représentations de la nature (elles orientent peut-être leurs propositions d’aménagement de haies) et de s’interroger collectivement sur les « savoirs méthodologiques » à construire.
2e étape – Recentrage sur la méthodologie et l’animation nature
Lors de la seconde session de travail du groupe haies, nous sommes revenus sur ce qui s’est joué l’année scolaire précédente (année n) et nous avons exposé les changements réalisés pour la nouvelle année scolaire (année n+1) : « Les étudiants ne voyaient pas concrètement l’utilité de leur travail par rapport à celui des partenaires et cela les démotivait. Cette année, la phase de diagnostic est terminée par notre partenaire et nous en sommes à la phase de réalisation du plan de gestion et de la communication. Pour coller à l’avancement du projet et pour que les étudiants aient un rôle complet à jouer, nous leur avons donné la commande suivante : “Sur le secteur qui vous est attribué, en utilisant les résultats des diagnostics réalisés sur le terrain et les informations issues du PGH [plan de gestion des haies] de l’établissement, réalisez un produit de communication grand public sur les haies comme éléments identitaires du territoire”. Cette commande nécessite de leur part de maîtriser le sujet (le contexte local, les diagnostics réalisés, les enjeux, les méthodes de gestion, etc.) pour ensuite en faire ressortir l’essentiel, le vulgariser et le mettre en forme ». Mais, au final, nous avons trouvé trop complexe de travailler le PGH avec les étudiants et nous avons du externaliser totalement cette question qui est devenue l’objet des seuls partenaires et du directeur d’exploitation. Quant aux étudiants, l’objectif n’était plus de les mettre en démarche d’enquête sur le fonctionnement et la gestion des haies mais de valoriser le volet « animation nature » de leur diplôme. Ils participaient toujours à des chantiers, ils ont réalisé des inventaires – c’est la notion importante du M51 –, ils ont analysé les documents existants… Enfin, ils ont livré des panneaux sur les habitats, les arbres têtards… Mais nous n’étions pas véritablement satisfaits. L’analyse collective dans le cadre de l’accompagnement a mis en évidence un « glissement, toujours, sur les inventaires » ; nous avons réalisé que nous restions plus dans la planification et la méthodologie que sur les savoirs qui permettraient aux étudiants d’être compétents en termes de diagnostic des haies et de leur gestion.
Le débriefing par les accompagnateurs nous a aussi proposé de questionner ce qui relève des professionnels – la construction d’un PGH complet, le livrable – et ce qui est du ressort des enseignants – l’identification du(des) savoir(s) clé(s), l’enseignable – (fig. 3). Nous avons compris que, sans nier la complexité, bien au contraire, il peut néanmoins être utile d’en maîtriser le niveau.
Figure 3 – Logique des praticiens de la haie et logique des enseignants
Car, finalement, à défaut d’avoir pu amener les étudiants à co-construire le PGH de l’exploitation en années n, nous avions renoncé à les outiller en la matière en année n+1. Plutôt que de construire un « PGH néophyte », moins complexe (portant par exemple sur 2 fonctions et 2 tronçons de haies), nous avions abandonné toute ambition de le traiter. Cette nouvelle session nous a permis de prendre du recul et nous nous sommes demandés ce que nous allions faire de ce PGH, comment nous allions nous (re)positionner par rapport à cet objet.
3e étape – Le couple fonction/fonctionnalité comme cœur de cible
L’année suivante, n+2, l’ensemble de l’équipe pédagogique de notre établissement a ciblé comme priorités, d’une part un travail en collectif impliquant notre directeur d’exploitation, le coordonnateur de la filière GPN et l’ensemble de l’équipe, pour une meilleure coordination et un meilleur lien entre les aspects pédagogiques et « professionnels », et d’autre part un recentrage sur le fonctionnement des écosystèmes. L’option « animation nature » a été mise de côté car nous avions pris conscience qu’à multiplier les objectifs d’apprentissage, on finit par délaisser ceux qui sont les plus importants pour développer les capacités des jeunes pour s’y connaître en termes de gestion de haies.
Nous avons sollicité un accompagnement sur site, avec l’ensemble de l’équipe pédagogique. Ces deux jours de travail nous ont d’abord permis de partager notre vécu et ce que l’on en retenait avec nos collègues : « VÉCU des formations : 1- construire une situation d’apprentissage (vraie problématique ; ce que l’on veut que les étudiants apprennent vraiment de cette étude de cas en termes de méthodologie, de concepts, de connaissances… pas juste parler du sujet des haies) ; 2- travailler la commande (une question, une controverse, intégrant les parties prenantes,… une fin, une utilité) et donc être au clair avec les savoirs clés à viser ; 3- travailler sur les représentations, mettre du sens (distinguer inventaire/diagnostic ; protocole ; fonctions, fonctionnalités) ; 4- construire une progression en termes d’apprentissages : pas que la grille horaire ; faire des pauses, des temps d’analyse, des temps de réflexion dans la construction, des temps d’évaluation, de mise au point ; une évaluation in itinere à réfléchir) ; faire acquérir le triangle de l’expertise, l’arbre à fonctionnalités ; place du PGH dans tout ça (comment on l’utilise) ».
Lors de ces deux journées, nous avons aussi redécouvert que le triangle de l’expertise (fig. 2) détermine les domaines à interroger et les interactions entre eux. Un autre outil, l’arbre à fonctionnalités (fig. 4) nous a interpellés. Dans la littérature scientifique sur le sujet – ce qui se retrouve également dans l’expérience – le couple fonction/fonctionnalité apparaît comme structurant. Trois grandes fonctions sont souvent mises en avant : régulation, production, protection. Ces fonctions, spécifiées, sont mises en relation avec des objectifs de gestion. Pour atteindre ceux-ci, il convient de se référer à des critères de fonctionnalités. S’ils sont présents, la fonction est opérationnelle ; si non elle ne l’est pas et la question est alors de savoir si elle peut être opérationnalisée, comment, et à quelles conditions. Enfin, il s’agit de voir si les fonctionnalités sont compatibles entre elles sur un même tronçon ou s’il s’agit d’envisager la multifonctionnalité à l’échelle de l’exploitation. En fonction de la logique d’action des parties prenantes, une décision peut se construire qui se matérialise dans le PGH et sa mise en œuvre.
Figure 4 – L’arbre à fonctionnalités (Gaborieau, Peltier, 2017)
Si l’outil nous a paru pertinent, la question était de voir comment le mobiliser pour nous d’abord, puis ensuite avec des étudiants… au pied de la haie. Enfin, nous nous sommes scindés en deux groupes et nous avons travaillé à construire notre prochaine « étude de cas », celle de l’année n+2. Nous avons du faire des choix et nous mettre d’accord sur une situation d’apprentissage. Avec le directeur d’exploitation, nous avons décidé de délimiter un périmètre de haies sur lesquelles faire travailler les étudiants. L’idée était de lui demander de formuler une commande afin de placer les étudiants dans une situation réelle puis d’organiser des travaux de groupes (2 à 3 groupes par tronçon) à partir de visites de terrain, de la consultation de documents écrits déjà produits autour du PGH de l’exploitation, de travaux scientifiques et d’échanges avec les partenaires. Par tronçon, des scénarios différents devaient être construits par les étudiants.
4e étape – Au pied de la haie, les savoirs clés pour être compétents
Durant l’une des formation-accompagnement, sur site, un professionnel, interrogé sur ce qu’il observe devant une haie qui aurait vocation à accueillir de la biodiversité a précisé « la largeur de la haie, car plus elle est large, plus il y a d’habitats. Si elle fait moins d’un mètre, je cherche alors à discuter des outils d’entretien utilisés pour veiller à l’élargir un peu ». Il a ainsi mis en évidence que pour une fonction donnée, il ne cherche pas à collecter de nombreuses informations mais il mobilise un critère – la largeur – et un indicateur – plus ou moins 1 mètre. Cet exemple a fait écho à l’une des diapositives présentées par les accompagnateurs qui, dans leurs recherches, avaient pointé comme potentiel savoir-clé le couple fonction-fonctionnalité (le caractère de ce qui est fonctionnel, de ce qui répond à une fonction déterminée) (fig. 4). À partir de là, nous avons retravaillé.
Nous avons mis en œuvre une nouvelle situation en année n+3 : La commande a été posée par le directeur d’exploitation sur le terrain : « Déterminer l’intérêt patrimonial ou écologique de la parcelle et émettre des hypothèses de mises en valeur tout en conciliant les activités agricoles». Les étudiants ont ensuite travaillé à reformuler la commande. Puis après une approche sensible sur le site, ont travaillé sur cartes, identifiés les éléments patrimoniaux et naturels des parcelles (inventaires), construit des questionnaires pour interroger des acteurs sur les usages du lieu et la faisabilité des hypothèses envisagées. Cette année, l’équipe a laissé davantage de place à la construction des démarches, à l’autonomie dans la recherche des réponses. Nous avons tous – les membres de l’équipe pédagogique – travaillé avec, en tête, le triangle de l’expertise. Il a orienté notre action et nos questions mais nous ne l’avons pas, à ce stade, présenté tel quel aux étudiants. Ceux-ci ont été plus consciencieux que les années précédentes ; ils ont travaillé en autonomie, avec des outils (nous leur avons aussi remis un porte-documents avec les fiches et les schémas essentiels) et nous faisions des points de régulation avec eux. Même s’ils ont toujours une tendance à rechercher l’exhaustivité, ils se sont néanmoins intéressés aux enjeux de production sur l’exploitation et aux questions agronomiques. Ils semblent être plus à l’aise avec la démarche de projet.
5e étape – Un élargissement des échelles
Pour cette nouvelle année n+4, nous repartons sur des parcelles entourées de haies, mais changeons d’échelle. Lors du travail sur une parcelle, ils sont restés un peu « le nez collé aux plantes ». Nous avons donc décidé de travailler à l’échelle d’un groupe parcellaire sur la valorisation des sentiers et les connexions entre eux et la trame verte et bleue : Après un diagnostic (rendu écrit), les groupes d’apprenants auront à faire un choix sur une thématique, sélectionner quelques points d’intérêts sur la zone étudiée, pour une valorisation future (par une animation ou outils de communication). Ce choix sera justifié lors d’une présentation orale, avec un argumentaire concrétisé par un flyer.
Ce que nous avons appris / retenus de ce travail chemin faisant avec le groupe gestion des haies :
- La thématique des haies, qui paraît simple au premier abord, est en réalité un support très riche en potentialités. Il convient donc de bien déterminer les directions que l’on souhaite prendre et le cadre : le travail collectif de l’équipe enseignante en amont et au cours du semestre est important.
- La découverte et la mise en pratique de méthodes qui permettent de travailler sur l’acquisition de la démarche de diagnostic par la co-construction apprenants / formateurs, avec des temps d’analyse et d’échanges, s’avèrent aussi déroutants que nécessaires (réflexion par groupe, échanges et co-construction).
- La nécessité de mettre en place des outils méthodologiques et organisationnels simples et précis (triangle de l’expertise, carnet de bord, cartographie, protocoles…)
- La nécessité de revenir de manière collégiale sur le sens de certains termes clés de la démarche (fonctions, fonctionnalités, inventaire, diagnostic…)
Avec des commandes d’étude de cas obligatoirement variées chaque année, dans lesquelles les haies sont toujours parties prenantes, nous sommes dans la recherche et la consolidation de méthodes et d’outils transposables à chaque thématique d’étude de cas. Chaque année, c’est aussi un nouveau groupe, avec des compétences et représentations qui diffèrent. C’est cette expérimentation continue qui nous oblige à nous questionner de façon récurrente autour de cette thématique des haies, mais avec des objectifs et intentions de formation qui sont toujours les mêmes.
Voir l’article de Baptiste Vuillet : la conception multifonctionnelle des haies comme un objet d’un tiers-temps. (PDF)
Et la vidéo Plan gestion des haies multifonctionnelles
VIDEOS
Date :30 octobre 2018
Mots-clés : Agroécologie, Analyse de pratiques pédagogiques, Pédagogie de projet, Pilotage pédagogique
Voie de formation : Formation initiale
Niveau de formation : III (BTS)
Initiative du dispositif : Locale
Structure d’appui : Etablissement National d’Appui
Référent : Sophie Robion
Etat de l’action : Terminée
Nature de l’action : Innovation
Etablissement National d’Appui : Bergerie Nationale
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