Résultat des innovations
« Retour de l’arbre en agriculture » : cheminement de deux équipes pédagogiques en 1ère STAV autour d’une même activité, à l’EPL de Cibeins.
EPLEFPA de Cibeins, Auvergne-Rhône-Alpes
Domaine de Cibeins
01600 Misérieux
Tél : 0414088822
Site web : https://www.cibeins.fr/
Responsable : Jean Yves CORTEY , jean-yves.cortey@educagri.fr
Rédacteur de la fiche : Claire DUFFES ; Brigitte RINGEVAL ; Christian PELTIER, Pilote du projet haies sur l’EPL
, claire.duffes@educagri.fr
DESCRIPTION SYNTHETIQUE DE L’ACTION
Le contexte de l’action
Suite à la Loi d’orientation agricole (LOA) de 1962, l’arbre, considéré comme un intrus, a disparu de certains territoires et des exploitations. Le plan Agroforesterie (LAAF 2014) cherche à (re)valoriser la place de l’arbre comme un intrant à l’agroécosystème et rejoint l’engagement de plusieurs associations citoyennes et techniques déjà mobilisées depuis longtemps sur ce sujet.
Sollicitée par un partenaire extérieur (FNE) désirant récréer des corridors verts sur le territoire, l’exploitation agricole de Cibeins (Misérieux, Ain) s’est engagée dans un plan pluriannuel de plantation de haies. Assisté pour l’ingénierie technique par la SCOP Agroof, des enseignants de 1ère STAV se sont saisi de cette opportunité pour en faire une activité pédagogique qui amène à faire réfléchir aux conditions de réussite favorables au retour de l’arbre en agriculture et dans les territoires. Deux équipes ont travaillé en démarche constructiviste et en pluridisciplinarité, avec 2 classes de 1ère STAV.
L’exploitation de Cibeins se situe en partie sur un plateau au paysage d’openfield, où le vent d’ouest domine et où d’exceptionnelles coulées de boue peuvent se produire en défaveur des villages en aval qui subissent une forte urbanisation, y compris sur les passages d’eau connus. Sur ce plateau, les grandes cultures dominent et seuls quelques bosquets résistent grâce à leur emplacement sur des terres à trop faible potentiel agronomique pour être cultivées. L’association FNE propose de modifier cet espace ouvert et de l’intégrer dans un maillage bocager qu’elle souhaite récréer à l’échelle territoriale (connecter des corridors verts entre eux). Par ailleurs, une association citoyenne (« Prenons Racine ») existe sur une commune à 10 km de là et milite pour remettre des arbres, facteurs de biodiversité, de qualité paysagère et stabiliser les sols (commune concernée justement par les coulées de boue le cas échéant). L’exploitation se retrouve donc au cœur d’enjeux territoriaux et il a ainsi été décidé un plan pluriannuel de plantation d’un linéaire de haies (2 km), dont 500 m dès la 1ère année (réalisés à ce jour).
L’activité a été préparée par les enseignants (biologie-écologie, agronomie et histoire-géographie) en juin et juillet pour démarrer dès la rentrée avec les 2 classes de 1ère STAV sur les plages de PLURI. L’équipe a été accompagnée par la référente EPA, membre d’une des équipes pédagogiques, autour de l’objet territorialisé « arbre ». En lien avec les capacités des S1 et S3, un scénario pédagogique a été créé, ciblant les savoirs en jeu et organisant le déroulé pédagogique selon la démarche constructiviste. Il y a eu une cohésion de tous les enseignants lors du travail en amont et celle-ci s’est maintenue pendant le déroulement de l’activité.
Le déroulement du projet
Le projet s’est déroulé cette année 2020/2021 en 3 phases
Phase 1 – Le travail des enseignants en amont
L’activité a été anticipée dès juin-juillet. Il y a eu d’abord une réunion collective où tous les acteurs se sont présentés et ont défini leurs attentes les uns par rapport aux autres ; le directeur de l’EPL était là de même que le DEA. Les aspects techniques ont été abordés : où planter, quoi planter, qui va intervenir, les moyens financiers. Le DEA a posé ses conditions ; la référente EPA a aussi exposé que d’un point de vue pédagogique l’action « planter » n’était pas une fin en soi mais une opportunité pour apprendre. Le groupe s’est déplacé sur le terrain pour visualiser l’espace de plantation.
Ensuite les enseignants se sont retrouvés entre eux en juillet (1 réunion) puis de nouveau (2 réunions) à la rentrée pour baliser l’activité dans son ensemble. Ce travail a permis de :
- Formuler la problématique autour de l’arbre ; elle a été facilement identifiée : « Sous quelles conditions réussir le retour de l’arbre à Cibeins ? » Elle correspond à la demande explicite de la FNE, qui est venu solliciter l’exploitation en vue de plantation.
- Identifier les savoirs en jeu pour chaque enseignant et anticiper une trame de réponse à la problématique soulevée, pour « maîtriser le sujet » et ne pas le découvrir en même temps que les élèves.
Pour cela, la référente EPA2 a conseillé de mobiliser le losange de la problématisation de FABRE (annexe 1) et de s’aider d’une publication de la Bergerie Nationale (Enseigner les transitions avec… la haie). Ce document synthétisait l’essentiel des savoirs en jeu et les problématisait déjà, il a été d’un grand appui : durabilité, couple fonctions/fonctionnalités de l’arbre, services écosystémiques, agroécosystème vs agroécosystème, échelles de réflexion.
Différentes réponses pouvant expliquer plus ou moins facilement le retour de l’arbre sur une exploitation ont été ainsi identifiées par les enseignants. Leur formulation a été complexe et a donné lieu à des discussions au sein de l’équipe. On a fini par se mettre d’accord sur des hypothèses de solutions correspondant à des degrés plus ou moins fort de durabilité (cf. doc en annexe 1) :
1ère réponse – Je ne fais rien ; pour moi, l’arbre reste un obstacle, une gêne ; je ne lui vois pas d’utilité ou alors elle ne m’intéresse pas / Absence de durabilité / Ressource niée
2ème réponse – Je remets l’arbre dans mon agrosystème mais il n’est pas facteur de production et je lui accorde pas/peu d’aménités ; je n’en attends pas grand-chose. J’envisage sa présence si l’arbre ne me gêne pas au quotidien et s’il ne me coûte pas / Durabilité faible / Ressource concédée
3ème réponse – Je remets l’arbre dans mon agrosystème et je raisonne ses aménités (services écosystémiques et/ou productifs), pour mon intérêt propre mais aussi pour la société. Pour moi, l’arbre est un intrant / certaines de ses aménités ne sont pas chiffrables économiquement mais sont réelles / Durabilité forte / Ressource assumée voire militée
- Trouver les acteurs locaux qui seront interviewés par les élèves et qui puissent illustrer chacune des réponses : des agriculteurs locaux engagés dans le maintien de l’arbre + notre DEA + l’association environnementale FNE + le maire-adjoint d’une ville voisine en aval (ancien agriculteur et témoin des dernières coulées de boue) + l’association citoyenne « Prenons Racine ». L’enseignante en agronomie qui pilote du projet a été efficace pour identifier et mobiliser ces intervenants pour les jours fixés.
Aucun acteur n’a illustré la 1ère réponse ; celle-ci été illustrée par des extraits vidéos en noir et blanc INA qui retracent la disparition des haies suite aux premiers remembrements des années 1950 puis franchement suite à la modernisation agricole (LOA 1962).
- Scénariser l’activité pour que les enseignants aient un fil rouge à suivre : les étapes successives de travail et pour chaque séance les objectifs, les outils utilisés et la mise en situation des élèves (cf. doc en annexe 2) sont prévus. La scénarisation a été écrite par la référente EPA et a été soumise et discutée en équipe afin de la rendre « collective » et que chacun y trouve sa place. Des ajustements ont été proposés notamment sur comment présenter l’activité, comment s’approprier le terrain, comment préparer les élèves aux rencontres avec les acteurs.
Les deux équipes décident que la scénarisation soit la même pour les 2 classes de 1ère STAV : elles travailleront chacune séparément mais simultanément. La rencontre des acteurs est la seule séance où les deux classes ont été mélangées, afin de valoriser le déplacement des invités ; en amont et en aval de ces interviews, les 2 classes ont donc travaillé séparément.
Phase 2 – Le déroulement de l’activité avec les élèves, hors plantation
Le déroulement de l’activité suit la scénarisation prévue (annexe 2) organisée en plusieurs phases. Cela correspond à 17,5 heures répartis en 5 séances en pluridisciplinarité de 2,5 heures et 5 cours de 1 heure chacun en S3. Le tout ramassé entre septembre et Toussaint pour constituer un tout le plus homogène possible et que les élèves perçoivent cette continuité.
1/ Pour lancer les élèves dans l’activité, le DEA a été complice : il est venu poser une commande. « On est venu me demander de planter des arbres sur le plateau ; est-ce réalisable, d’après vous ? Sous quelles conditions ? A priori je ne suis pas contre. Je reviens dans 2 mois entendre vos réponses ».
2/ Avant de recevoir en entretien les différents acteurs sollicités, les élèves se sont approprié la situation.
- Recueil des représentations : 5 questions ouvertes sont posées aux jeunes qui y répondent sur post-il.
1/ D’après vous, quels sont les intérêts des haies en agriculture ?
2/ Pour vous, qu’est-ce qu’un agroécosystème ?
3/ A quoi pensez-vous quand on parle de biodiversité ?
4/ Qu’évoque pour vous le développement durable ?
5/ D’après vous, qu’est-ce que la société attend de l’agriculture ?
Les post-its sont récupérés, lus et affichés. Les enseignants mesurent la qualité des réponses. Les questions engageant « agrosystème », « biodiversité » et « durabilité » sont pauvres, avec des définitions mal maîtrisées. La question 1 et la question 5 amènent des réponses variées et intéressantes, bien ciblées.
- Déplacement sur le terrain pour découvrir la zone où seraient plantés les arbres => caractériser le paysage d’openfield et les bosquets résiduels ; imaginer la circulation de l’eau à l’échelle du bassin versant ; comprendre quels bénéfices le DEA pourraient retirer d’une haie à cet endroit (tous les élèves ont ressenti le fort vent, repéré le dénivelé topographique et évalué le paysage comme « médiocre »).
Les élèves ont restitué leurs observations sous forme de croquis et d’un dessin de lecture de paysage. Réalisé sur une plage de PLURI.
- Construction des concepts qui vont servir de guide de raisonnement tout au long de l’activité et qui sont au cœur des S1 et S3 : agroécosystème, biodiversité, externalité et agriculture durable. La consigne donnée a été de schématiser de courts articles (1 article/concept et 1 article/groupe mais certains articles ont été doublés selon l’effectif de la classe) sur une feuille de paperboard (annexe 4).
Cette étape a été faite dans les 2 classes, simultanément. Les feuilles de paperboard ont été affichées aux murs et les enseignants ont donné en guise de correction (=> classeur) les schémas qu’ils avaient préparés et qui ont aussi été affichés aux murs.3/ Les acteurs ont été reçus sur 2 demi-journées ; les élèves ont été répartis par groupe et les 2 classes ont été mélangées ; chaque groupe entendait 2 acteurs. Le DEA et l’élu ont été entendus par tous les élèves en groupe unique. Un guide d’entretien (annexe 3) a été distribué a, il a été créé par les enseignants et distribué et lu publiquement juste avant les interviews. Les élèves ont été peu dynamiques dans le questionnement, les témoignages les plus riches l’ont été grâce aux acteurs qui parlaient tous seuls du sujet.
4/ Les témoignages des acteurs ont été décryptés (annexe 3). Le travail a été réalisé à l’oral sous la forme d’un cours dialogué, les élèves guidés par les enseignants eux-mêmes « guidés dans leur tête » par le travail réalisé en amont (critères-clefs, 3 postures plus ou moins durables).
Le travail a été jugé :
- « satisfaisant » dans une des classes où les élèves étaient actifs : ils ont décortiqué les témoignages et les ont comparés entre eux ; ils ont cherché ce qui divisait et ce qui faisait sens commun ;
- « décevant » dans l’autre où les élèves ont été lents et peu actifs, leur travail est resté un travail descriptif de chacun des témoignages ; les éléments-clefs pourtant identifiés en réunion de travail n’ont pas été utilisés et le groupe n’a pas réussi a comparé les postures.
Dans la classe « qui a bien fonctionné », les élèves ont tiré les éléments déterminants attendus (que nous appelons « critères-clefs ») qui sont :
Les attentes vis-à-vis de l’arbre varie d’un agriculteur à un autre (un arbre peut avoir des fonctions différentes, un agriculteur peut avoir des attentes différentes ; son implantation suivra la logique de la fonction qu’il doit remplir).
- L’arbre n’est pas regardé de la même façon selon les gens (il peut être perçu comme neutre, comme un obstacle ou comme une plus-value productive ou même sentimentale) ; il peut fédérer ou diviser (être source de conflit entre voisins par exemple) ; l’arbre est plus qu’un « objet » agricole, des associations citoyennes s’invitent dans la question car elles se sentent concernées au titre du paysage, de la biodiversité ou autres.
- L’aspect financier lié à la plantation et l’entretien est un frein. Les subventions à la plantation et les chantiers participatifs/citoyens, ainsi que les MAEC, sont toujours facilitateurs de son retour ou maintien ; mais quelques agriculteurs ne les attendent pas pour agir. Agroof et la FNE qui montent des dossiers de subvention sont des alliés.
- Les agriculteurs se sentent démunis en termes de connaissances techniques (sylvicoles notamment) autour de l’arbre (choix des essences, structure de la haie, travaux d’entretien) ; ces savoirs d’autrefois se sont perdus ; les associations comme Agroof ou la FNE sont alors une fois encore des facilitateurs, de même que des groupes d’échange locaux entre agriculteurs.
Et ils sont arrivés à formuler les 3 postures (au degré plus ou moins fort de durabilité) évoqués plus haut et à replacer chaque acteur selon ces postures.
Les élèves ont réussi à placer la posture du DEA de Cibeins parmi les scénarii identifiés et l’ont évaluée en démarche de durabilité concédée/faible (annexe 4) ; ils ont compris que le DEA était favorable au projet parce que le financier et l’expertise technique était offerte, que le chantier était piloté par une enseignante (et non un salarié ou le DEA) et enfin que la haie apportait certes un bénéfice sur la stabilité du sol et sur le vent toujours appréciable, mais surtout que son emplacement ne perturbait pas le fonctionnement de la parcelle et de l’exploitation (passage des engins) et qu’il restait inquiet sur le temps d’entretien qu’allait réclamer la haie.
5/ Réinvestissement
Par facilité dans les 2 classes, le réinvestissement s’est réalisé via une étude de cas papier. Il n’y a pas eu harmonisation de l’étude de cas et les 2 classes ont eu une étude de cas différente.
Phase 3 – La phase de plantation
Ce travail en classe s’est terminé en novembre/décembre. Il s’est poursuivi en janvier par la phase physique du projet : la plantation du premier linéaire de haie (500 m). (annexe 6).
La haie a été conçue (emplacement et choix des essences) par le cabinet conseil en agroforesterie « Scop AGROOF » en lien avec la porteuse de projet (Claire DUFFES) qui a coordonné le chantier (jours, heures, présence des classes, matériel, accueil des volontaires de « Prenons racine »). L’organisation a été fine et anticipée, permettant que le chantier se déroule sans heurts et dans les délais impartis.
En l’occurrence, il s’agit d’une haie champêtre double riche de plus de 30 essences issues du label végétal local ® et les plants sont protégés de la prédation par un grillage et de l’enherbement et de l’ETP par différents paillages (géotextile, copaux bois et paille). D’ailleurs l’efficacité des divers revêtements est en test (limiter l’enherbement et l’assèchement du sol). (annexe 6).
Planter 500 mètres de haies a nécessité 3,5 jours de mobilisation des jeunes et des enseignants. La plantation ayant lieu au mois de janvier, où les conditions météorologiques ont été rudes cet hiver, il a été difficile de maintenir la motivation des jeunes durant 4 heures de suite.
Le chantier a mobilisé des classes au-delà des seuls élèves de 1ères STAV : une classe de Seconde générale en EATDD, une classe de Terminale STAV et une classe de BTS ACSE1. Ce chantier a fédéré les apprenants et l’ensemble du personnel sur un projet citoyen.
Cette première tranche de travaux a permis de mettre en évidence les besoins en termes de : temps, budget et moyens humains en vue de la poursuite du linéaire de haies à venir.
Il est relaté ci-dessus le travail réalisé par les classes de 1ère STAV mais le sujet a aussi été travaillé en Seconde EATDD et en BTS ACSE1 (module M57) suivant différents objectifs :
- Les secondes dans le cadre de l’EATDD ont pu travailler sur la conception de projets simplifiés d’implantation d’arbres pour répondre aux enjeux de bien-être animal. Leur travail a fait l’objet d’une présentation orale devant les classes de BTS ACSE et BTS PA, ainsi que la direction et les membres de l’association « Prenons Racine ».
- Les BTS ACSE 1 construisent des projets agroforestiers justifiés et budgétisés afin de répondre à trois enjeux : changement climatique, biodiversité fonctionnelle et fertilité globale de l’exploitation. La restitution publique a eu lieu avec présence de tous les acteurs et de nombreux échanges dans la salle. Cette présentation préfigure la deuxième phase de plantation en mars 2022.
Analyse critique de l’action
Travail en amont de conception et anticipation
Le travail réalisé en amont a été important en temps. Il a été facilité par 4 éléments.
- L’habitude des enseignants de travailler ensemble (PLURI, stages collectifs) et la confiance mutuelle. L’équipe était contente de faire corps autour d’un même objet d’apprentissage.
- Des expériences d’analyses de pratiques pédagogiques antérieures, avec la Bergerie nationale puis en autonomie, ont développé une culture commune autour de l’« enseigner autrement » et les enseignants voulaient tester « en vrai » une activité en démarche constructiviste, profitant aussi de…
- L’existence au sein de l’EPL, et même dans l’équipe pédagogique d’une des 1ère STAV, de la référente EPA2 AURA (Brigitte RINGEVAL), chargée de mission SRFD-DRAAF AuRA « pédagogie pour enseigner les transitons agroécologiques », compagnonnée par la Bergerie Nationale (Christian PELTIER)
- L’implication de la porteuse de projet « arbre » (Claire DUFFES) qui a su trouver avec succès des acteurs à interviewer parmi le réseau local et le réseau d’Agroof Ain, qui a géré le calendrier de rendez-vous pour les entretiens et qui a coordonné le chantier de plantation avec Agroof et ses collègues ; elle juge le projet très chronophage, d’autant plus qu’elle le porte seule sans aide de l’exploitation.
Un projet que la pédagogie s’est approprié et qui finalement entraîne l’exploitation
Grâce aux mailings, la sollicitation initiale n’a pas été « enterrée » par le DEA et a dépassé le cadre de l’exploitation agricole : les enseignants se sont emparés du projet, entraînant, soutenus par le directeur de l’EPLEFPA pour qui le projet faisait sens à différents titres (projet agroécologique sur l’exploitation, développement territorial, apprentissages, expérience partagée et cohésion d’équipe pédagogique). La porteuse de projet a aussi rapidement apporté des garanties financières et techniques via la FNE et Agroof. Le DEA ne pouvait pas ne pas s’engager.
Engagement des équipes pédagogiques : un projet décidé et un travail aussitôt entrepris
L’activité a été organisée dans la foulée de la sollicitation. Une première réunion début juillet a rassemblé l’ensemble des partenaires et un collectif s’est créé d’emblée, grâce aux intérêts partagés. Les uns et les autres ont exprimé leurs attentes et une complémentarité et une intimité s’est rapidement créée. La nomination d’un pilote (Claire DUFFES) parmi les enseignants qui a tenu son rôle et par la SCOP Agroof ont permis de monter en quelques jours seulement le dossier de subvention et de caler les fournitures et les dates de chantier.
De la difficulté du travail d’accompagnement in itinere avec ses collègues
L’accompagnement par la référente EPA2 a permis de rassurer l’équipe qui s’essayait à une pédagogie active / constructiviste pour la première fois. Cependant, ce n’est pas parce qu’on a construit ensemble et que les outils didactiques mobilisés ont été explicités/expliqués en réunion de rentrée, que leur appropriation et leur manipulation sont faciles. Ils doivent être testés pour être appropriés.
Le losange de la problématisation a été l’outil central du travail. L’enseignante d’agronomie dans la classe de 1ère STAV « Production » reconnait ses difficultés pour se l’approprier ; elle dit même ne pas se l’être encore approprié et explique que cela a pénalisé le travail d’analyse des témoignages dans sa classe. N’étant pas au clair « dans sa tête » avec le losange de la problématisation, elle a eu du mal à aider ses élèves à interpréter les discours puis s’est projetée dans un exercice de réinvestissement qui finalement n’en était pas un.
La mise à l’épreuve de l’outil, complexe, aurait mérité un accompagnement in situ de l’enseignante par la référente EPA2. Elle a été laissée seule avec un outil difficile qu’elle n’avait jamais expérimenté. La présence de la référente aurait rassuré et l’aurait aidée à utiliser l’outil. Cet accompagnement en situation ne s’est pas fait car la référente EPA2 était elle-même engagée dans sa classe. Idéalement, elle aurait dû intervenir comme une personne extérieure pour mieux accompagner et ainsi former sa collègue.
Par contre le collègue en PLURI avec la référente EPA2 s’est trouvé soulagé d’être secondé. Il a trouvé que la tâche était complexe en effet : partir de ce que les témoignages donnent, partir de ce que les élèves reformulent, les guider sans faire à leur place… tout en sachant où les emmener ; sortir d’un cours dialogué à logique descendante où tout est maîtrisé par l’enseignant. Il a compris comment les critères-clefs identifiés en amont servaient de fil conducteur pour l’analyse des discours et voir pratiquer l’a instruit sur la façon de faire.
Par ailleurs il juge la méthode de travail qu’il découvre à cette occasion comme efficace pour les jeunes ; il est séduit par le côté accrocheur d’une méthode qui se base sur un cas réel, mixe diversité des terrains (classe, extérieur), des intervenants (enseignants, agriculteurs, collectifs…) et qui place l’enseignant en situation d’accompagnateur davantage que de sachant ; il a beaucoup apprécié que la méthode demande un engagement actif de la part des jeunes : leur demander de réfléchir et de proposer des lectures. Pour lui aussi le réinvestissement a été réussi. Il défend la richesse du STAV : la pluridisciplinarité. Si c’était à refaire, il aimerait tout suivre et tout faire ce que le calendrier de pluri ne lui permettait pas (obligation de service par ailleurs). Il exprime une petite frustration de ne pas avoir toujours été là et de ne pas avoir eu une vue globale de l’activité et du travail de ses élèves. Il a trouvé judicieux que les concepts soient construits au démarrage et mis à l’épreuve par l’activité car cela évite l’approche académique et hors sol. Il a compris que la méthode était reproductible sur n’importe quel objet d’étude.
L’outil, même s’il est complexe dans son appropriation, reste pertinent car manipulé avec expérience, il a donné de bons résultats dans une des classes. Il a permis de répondre à la question initialement posée – « sous quelles conditions réussir le retour de l’arbre à Cibeins ? » – et de caractériser avec justesse la posture du DEA ».
Lors de la réunion de juillet, où les enseignants s’étaient réunis, identifier les scénarios avait donné matière à discuter : les collègues ne savaient pas, au départ de l’activité c’est-à-dire avant d’entendre les témoignages, où placer le curseur entre une durabilité faible et une durabilité forte. Il y a eu donc un premier classement qui eut l’air de satisfaire l’unanimité : « durabilité faible = j’agis à l’échelle de ma parcelle voire de mon exploitation » (= intérêt privé) vs « durabilité forte = j’agis pour moi mais aussi à l’échelle du territoire » (= intérêt collectif pris en compte). Ce « classement » plaçait alors les haies en lisière et les arbres en intra-parcelle en durabilité faible et les corridors écologiques ou les arbres paysagers en durabilité forte. Ce classement ne correspondait pas à ce qu’ils commençaient à comprendre : leur DEA s’engageait de manière « concédée » pour des corridors verts. Les enseignants ont dû faire évoluer leur réflexion ; la difficulté a été levée en mobilisant le document « Enseigner les transitions… avec la haie » du CEZ-Bergerie nationale.
Une collègue qui a eu du mal à trouver sa place
Si le travail initial collectif a été fructueux et si une collègue en agronomie (classe « production ») peine à mobiliser un outil didactique de problématisation par manque d’entraînement, pour une autre collègue en histoire-géographie, c’est plus difficile de trouver sa place – la place de sa discipline – dans ce projet. En effet elle ne semble pas avoir identifié les savoirs et les savoirs-outils que sa discipline peut apporter au projet. Elle pourrait par exemple construire – ou revenir sur sa construction – le concept de développement durable au cœur du programme de géographie en classe de Seconde GT, et ainsi poser la place de l’arbre « obstacle » à l’époque de la révolution agricole des années 1960-70. Sans doute est-ce la posture « enseigner » qui l’a empêchée de trouver sa place dans ce type de pédagogie de type « apprendre constructiviste » (Astolfi) ; elle a souvent exprimé son désarroi.
Des témoignages riches mais des élèves laborieux dans les interviews
Les témoignages identifiés étaient pertinents et représentaient bien des degrés de durabilité variés (ESR). Il manquait sans doute le témoignage d’un acteur donnant à voir l’arbre « intrus, obstacle ». C’est sans doute sur cette posture que l’enseignante d’histoire aurait pu explorer les révolutions agricoles et montrer que l’arbre a été considéré comme obstacle dans l’une d’elle.
Les élèves ne se sont pas approprié le guide d’entretien ; il a été créé par les enseignants et distribué avant le démarrage des interviews, il n’a pas été co-construit par manque de temps. Si on rajoute la timidité des jeunes, on arrive à des entretiens laborieux où peu posaient de questions. Les enseignants ont alors tenu le rôle d’interviewers là où les acteurs ne parlaient pas spontanément. C’est un écueil : des jeunes autonomes dans le questionnement démontrent qu’ils savent où ils vont, que les enseignants ont bien tracé la voie.
Évaluation et évolution des savoirs des jeunes
Les représentations des jeunes au sujet de l’arbre et de la haie étaient similaires en « aménagement » et en « production ». Aucune différence culturelle n’a pas été observée selon la spécialité. Cependant, les enfants d’agriculteurs et les chasseurs se sont davantage sentis concernés par la question.
Les a priori étaient positifs : l’arbre et la haie bénéficient d’une note de sympathie, exprimée de manière significative au travers de deux verbatim : « un arbre, c’est bien » et « un arbre, c’est de la biodiversité ».
A la fin du travail, les élèves ont découvert qu’un arbre est multifonctionnel et qu’il avait été et qu’il est encore un sujet de discussion dans les territoires. Ils ont retenu que l’engagement en faveur de l’arbre dépendait de plusieurs critères qu’ils sont aujourd’hui capables de reconnaître et d’énoncer.
Le temps d’évaluation finale a différé selon les deux classes. En 1ère STAV « aménagement » le travail de réinvestissement s’est effectué dans la droite ligne des objectifs d’apprentissages. Le cas proposé était un article tiré du magazine du réseau GAB-FRAB Bretagne (annexe 5). Il a été modifié pour l’adapter aux attentes pédagogiques (un recto/verso et un fil conducteur guidant). La consigne était d’évaluer la démarche de l’agriculteur dont il était question dans le texte. On est en situation de réinvestissement du travail déjà réalisé.
Les élèves, en levant les yeux sur la feuille de paperboard affichée au mur, ont su réutiliser les informations et caractériser la démarche de l’agriculteur en le plaçant dans une des trois postures et évaluant la durabilité de la démarche. Le travail a été réalisé en groupe et il a été commandé sous forme de schéma (feuille de paperboard). Affichés au mur, les groupes ont expliqué leur analyse publiquement. Le travail a été jugé satisfaisant par les enseignants car le raisonnement était réinvesti. Les enseignants ont partagé leur analyse qu’ils avaient modélisée de leur côté et aussi affichée au mur.
Par contre, le travail donné en clôture d’activité en 1ère STAV « production » ne ressemblait pas à celui entrepris tout au long de l’activité. L’enseignante a travaillé d’autres objectifs, légitimes compte tenu du référentiel, mais qui ne peuvent pas être considérés au titre d’un réinvestissement des acquis de l’activité. Le texte de travail a été tiré de l’ouvrage L’agronome en action. Si le thème était bien l’arbre, l’enseignante a néanmoins donné une consigne éloignée du type de travail entrepris jusque-là : schématiser l’agroécosystème en identifiant ses composantes, l’objectif poursuivi, les interventions humaines. Le travail était individuel, ramassé et noté pour évaluation. Les élèves n’ont pas su faire, l’enseignante était déçue et avec recul, elle comprend que la consigne était mal adaptée pour évaluer les apprentissages envisagés collectivement comme essentiels (les savoirs-clefs). Le résultat n’a donc pas permis de savoir si les élèves s’y connaissaient sur le sujet, dans le sens de la maîtrise de savoirs-outils permettant de penser la place de l’arbre dans l’agroécosystème.
Effet positif du chantier de plantation
Le chantier de plantation est venu clôturer l’activité. En STAV, le chantier n’est pas systématique et il a été perçu par tous, élèves et enseignants, comme l’aboutissement logique du travail entrepris. Souvent en STAV, on réfléchit autour de visites, de documentaires et de textes, mais on n’est pas souvent dans le « faire », cela nourrit des frustrations chez les jeunes, désireux de « s’y frotter ». Le chantier a aussi créé une cohésion de classe.
Côté pédagogie, le « faire » n’a pas pris le dessus sur le « apprendre en faisant » ou le « apprendre pour faire ». C’est certainement la plus belle réussite du projet.
Toujours l’impression de manquer de temps
La préparation en amont a permis de travailler en sérénité. Même en mutualisant les heures de cours d’agronomie et de PLURI, la sensation de tous a été de courir après le temps. Quelques éléments importants pour donner du sens et construire les apprentissages des élèves ont ainsi été un peu « sacrifiés ».
- Les jeunes n’ont pas été associés à la conception de la haie, par manque de temps et aussi parce que cette activité nécessite une technicité de la part des élèves, non acquise en début de formation, et de la part des enseignants, non encore professionnalisés à cette étape du projet. En revanche, l’intervenant d’Agroof a pris le temps d’expliquer ses choix, sur le terrain lors du chantier de plantation.
- Certains apports scientifiques n’ont pas été apportés comme le souhaitaient les enseignants de bio-écologie et d’agronomie. Il pourrait être intéressant sans doute de réaliser l’activité en en faisant un temps fort : un espace banalisé de 1 semaine (genre format stage collectif).
- Une restitution publique par les 1ères STAV devant les partenaires et devant le DEA. Les enseignants le regrettent car les acteurs en étaient demandeurs et cela aurait été un retour au territoire instructif pour eux qui ont donné (et qui continuent à en donner à l’heure d’aujourd’hui) de leur temps et savent se mobiliser à chaque sollicitation. Ils expriment clairement leur adhésion au projet et leur satisfaction qu’on plante des arbres en lycée agricole et qu’on en profite pour faire réfléchir les élèves sur le sens de cet engagement (échelle de valeurs de durabilité, critères-clefs de réussite).
Une mise en réseau de l’EPLEFPA
Le projet « Arbres à Cibeins » a permis d’amorcer une dynamique au sein du territoire. En effet, les élus de la chambre d’agriculture de l’Ain et de la communauté de communes souhaitent être associés au plan pluriannuel de plantation et accompagner Cibeins dans une mission de démonstration/animation sur le territoire.
D’autre part, un partenariat avec des UMR de l’INRAe de Clermont-Ferrand (proposé par le référent EPA2 AURA « Agroforesterie ») pourrait également se créer afin de collecter des données régionalisées sur les impacts de l’arbre : en grandes cultures, en termes de productivité des prairies et de bien-être animal. Le but étant de sensibiliser et documenter le plus grand nombre d’agriculteurs de la région Auvergne-Rhône-Alpes en faveur de la réintroduction des arbres dans les agroécosystèmes.
Le chantier de plantation se poursuivant, le projet pédagogique – et sa pilote – sera reconduit l’année prochaine. Le projet ne peut pas être piloté par le DEA (disponibilité et motivation) mais il sera conduit en concertation. Claire DUFFES a réussi à créer un réseau de confiance autour de l’exploitation de Cibeins qui a trouvé une forme de rayonnement qu’elle n’a pas par ailleurs. Les partenaires ont assuré de leur fidélité pour l’année à venir.
Une question cruciale n’a toutefois pas été abordée dans le projet : celle de l’entretien de la haie, et notamment d’un plan de gestion durable (PGDH) à l’échelle de l’exploitation de l’EPLEFPA. Et pourquoi pas d’une labellisation (Label Haie). Dans les deux cas l’association AFAC-agroforesteries pourrait être un partenaire supplémentaire pertinent pour la poursuite du projet de réintroduction de l’arbre sur l’exploitation.
Pour conclure, retenons de cette belle expérience pédagogique :
1- l’importance du compagnonnage par une personne plus expérimentée, professionnalisée à la fois sur les questions de transition agroécologique et de pédagogie/didactique (ici la référente EPA2) ;
2- la nécessité de la formation des enseignants – de préférence dans un collectif intra-établissement comme c’est actuellement en cours à Cibeins – sur les processus pédagogiques mobilisables quand il s’agit de travailler avec le vivant dans une perspective de durabilité ;
3- le grand intérêt de travailler à partir d’un objet pédagogique territorialisé porteur de sens à la fois pour les élèves, les enseignants et les acteurs du territoire ; cela facilite grandement les apprentissages ;
4- la nécessité de réexpérimenter pour progresser et constituer un vrai collectif apprenant.
FICHIERS A TELECHARGER
Descriptif : Losange de la problématisation appliquée à l’arbre, travail sur les concepts (articles de travail et schéma paperboard)
Annexe-1-Problematisation-concepts-textes-et-schemas.pdf
Descriptif : Scénarisation de l’activité
Annexe-2-Scenarisation-de-lactivite.pdf
Descriptif : Guide d’entretien utilisé pour les témoignages : version vierge et version remplie selon les acteurs interviewés
Annexe-3-Guide-dentretien-utilise-Version-vierge-et-version-remplie-selon-les-acteurs.pdf
Descriptif : Florilège des productions (paperboard) des élèves : représentations, décryptage des témoignages
Annexe-4-Productions-des-eleves.pdf
Descriptif : Document à la base de l’une des études de cas en guise de réinvestissement par les élèves
Annexe-5-Exercice-de-reinvestissement-en-classe-Amenagement.pdf
Descriptif : Schéma du chantier de plantation (source AGROOF) et florilège de photos du chantier de plantation
Annexe-6-Photos-du-chantier-de-plantation.pdf
VIDEOS
Date :25 juin 2021
Mots-clés : Agroécologie, Analyse de pratiques pédagogiques, Citoyenneté, Exploitation agricole, halle, atelier, Pédagogie de projet
Voie de formation : Formation initiale
Niveau de formation : III (BTS)
Initiative du dispositif : Locale
Structure d’appui : Etablissement National d’Appui
Référent : Brigitte RINGEVAL ,brigitte.ringeval@educagri.fr
Etat de l’action : Terminée
Nature de l’action : Innovation
Etablissement National d’Appui : Bergerie Nationale
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