Liste des actions

Toutes différentes, toutes intéressantes (TDTI) : apprendre de la diversité dans une dynamique de recherche-action à la MFR de Fougères

MFR de Fougères, Bretagne

1 et 3 bis, rue des Cotterêts

 35300 Fougères

Tél : 0299948400
Site web : http://www.mfr-fougeres.fr/
Responsable : Henri-Claude Gautier , mfr.fougeres@mfr.asso.fr
Rédacteur de la fiche : François Guerrier, Intervenant d’appui à l’enseignement agricole
, francois.guerrier@agrocampus-ouest.fr
Chef de projet : Jean François 0livier , jf.olivier@mfr.asso.fr

DESCRIPTION SYNTHETIQUE DE L’ACTION

Introduction

Pour Jean-François Olivier, formateur et responsable du module « agroécologie » à la MFR de Fougères, « l’âge moyen à l’installation en Ille-et-Vilaine étant de 29 ans. Cela revient à dire que dans 10 ans de nombreux jeunes actuellement en formation seront installés. Il nous appartient donc de les aider à se projeter et à être en capacité de se questionner pour apprendre à s’adapter et à adapter leur système d’exploitation ».

Dans le cadre du module agroécologie qu’il pilote, la MFR de Fougères a saisi une opportunité proposée par Marion Diaz (sociologue) et François Guerrier (intervenant d’appui pédagogique) d’AGROCAMPUS OUEST pour associer les élèves de première Bac pro CGEA à un travail en cours de recherche-action prospective sur l’avenir de l’agriculture sur le territoire. Animée par AGROCAMPUS OUEST et le GERDAL(1), en collaboration avec le Syndicat mixte du SAGE(2) Couesnon et Eau du Bassin Rennais sur le bassin versant de la Haute-Rance, cette action a comme objectif de produire des réflexions collectives utiles à l’action sur l’évolution de l’agriculture dans ces territoires à partir des préoccupations des agriculteurs, et ce dans un contexte de baisse des prix des produits issus de l’élevage et d’enjeux maintenus sur la qualité de l’eau.

Aussi, AGROCAMPUS OUEST étant engagé à la fois sur les champs de l’appui pédagogique et de la recherche pour accompagner la transition agroécologique et enseigner à produire autrement, cette action de prospective a pu être envisagée comme un moyen pour créer une situation pédagogique pour les élèves de Bac Pro CGEA.

Le point de départ de la démarche est donc double. Il s’agit à la fois d’expérimenter un protocole pour amener les élèves à (co)produire de la connaissance avec l’équipe de recherche, mais également à les inviter à observer les différences comme étant des opportunités pour apprendre et se développer plutôt que de rejeter a priori ce que l’on ne connaît ou ne comprend pas bien. Il s’agit également de mieux cerner le raisonnement des agriculteurs, identifier ce sur quoi « on peut agir » sur l’exploitation, et comprendre les dynamiques de changements et les choix stratégiques qui sont fait.

L’accroche de ce travail part d’un sujet qui est familier et qui intéresse directement les élèves : les systèmes d’exploitation de leur territoire, et en particulier celui de leur maitre de stage. A partir de là, nous partageons une description des exploitations, puis une analyse des raisons qui fondent les choix des agriculteurs… Et les raisons de ces choix ne sont pas toujours celles que nous croyons. Nous apprenons ensemble à se méfier (voire à résister) à nos préjugés pour chercher à « mener l’enquête » et comprendre la logique des choix des agriculteurs. Cet entrainement permet à chaque élève d’enrichir ses connaissances au travers de sa propre expérience et de celles explicitées de ses collègues, et de prendre conscience qu’il est intéressant de considérer la différence comme une source d’apprentissage.

Ce faisant, nous travaillons des capacités plus larges d’ouverture, de curiosité (la différence pouvant alors être prise au sens large et non plus seulement au sens de la diversification des pratiques agricoles du territoire). Puis, dans le cadre de la démarche prospective, nous élargissons le raisonnement sur le territoire pour étudier les conséquences de telles ou telles pratiques à l’échelle du territoire afin d’envisager les conséquences en matières environnementale (notamment au regard de la question de l’eau), économique, sociale, etc…

Notons que ce travail est également conduit sur un second bassin versant en associant le Lycée agricole de Caulnes, toujours avec l’idée de compléter les données des chercheurs, mais également pour comparer l’appropriation de ce type de partenariat recherche-enseignement entre un dispositif de formation conduit en alternance et un dispositif de formation en voie scolaire à temps plein.

Les premiers résultats des évaluations sont encourageants et semblent confirmer nos hypothèses. Sur le plan de l’engagement et de l’intérêt des élèves pour la démarche, mais également sur l’intérêt pour « poser et se poser des questions », à « s’intéresser aux pratiques des autres pour apprendre », dans « le respect et l’écoute ». Sur le plan des aspects techniques, des notions, ou des alternatives, l’objectif semble également atteint. Les savoirs sont encore en construction, mais nous avons pu constater un réel intérêt pour « en savoir plus » et mieux maîtriser les conséquences de ses choix, sur le plan économique, de l’organisation du travail, mais aussi des impacts environnementaux.

A noter : Le lecteur pourra retrouver dans un prochain numéro de la revue POUR un article relatant de façon plus détaillée l’ensemble de cette expérimentation.

A l’origine de l’action : 

Pour Jean-François Olivier, « Les élèves de Bac Pro sont souvent très réactifs, voire hostiles à toute réglementations, mais aussi aux décideurs qu’ils désignent par le vocable des « cravates noires ». Ils ont le sentiment que toutes les réglementations s’opposent à eux et n’ont d’autres buts que de les contraindre. Dans ces conditions, engager un discours direct et frontal ne mène en général pas très loin. Il nous semble préférable d’utiliser des détours pour amener à faire réfléchir et à questionner pour que les élèves comprennent ce qui est en jeu derrière les réglementations, comment et par qui elles sont produites, pour quoi, et comment dans certains cas certains s’en accommodent, voire en tirent profit ? ».

Les premiers contacts avec AGROCAMPUS OUEST datent d’un an avant le début de l’action. La MFR de Fougères et la chambre de l’agriculture ont créé un évènement baptisé « terre d’innovation ». C’est un forum pour mettre en débat différents sujets autour de l’agriculture du territoire, avec des agriculteurs mais aussi des gens extérieurs à l’agriculture. Comme le précise Jean François Olivier : « dans ce forum nous avions plusieurs intervenants, dont Marion Diaz, alors chercheure en sociologie à AGROCAMPUS-OUEST sur des questions de changement-transition-innovation. Nous avons parlé des pratiques qui permettaient de développer de la résilience pour les systèmes d’exploitation agricoles, mais aussi des travaux de prospective territoriale qu’AGROCAMPUS OUEST et le GERDAL conduisaient sur les bassins versants de la Haute-Rance et du Couesnon. Dans ce travail de recherche-action, il y a un volet de valorisation pédagogique. Aussi, AGROCAMPUS-OUEST nous a proposé une coopération car la MFR est implantée dans un des bassins versant de l’étude ».

Les intentions éducatives et ou pédagogiques poursuivies par l’équipe :

Au départ nos intentions étaient les suivantes :

  • Pour la MFR de Fougères, Jean-François Olivier, (responsable du module agroécologie (qui conjugue économie-biologie-écologie) du Bac Pro CGEA et référent régional agroécologie pour les MFR de Bretagne), l’idée est :
    • de tester une autre façon de travailler avec les élèves, en questionnant la biologie et l’écologie par les activités productives et économiques,
    • de questionner les pratiques agricoles avec une démarche outillée, un cadre de travail réfléchit avec des chercheurs, pour voir comment certaines pratiques résonnaient avec l’agrocécologie, notamment dans le cadre de la reconquête de la qualité de l’eau,
    • ce travail avec les chercheurs était aussi une façon d’apprendre à mener une enquête et d’anticiper sur l’entrainement à l’épreuve du rapport de stage (où les élèves devront rendre compte et analyser une décision stratégique),
    • de proposer une activité pédagogique un peu différente qui valorise les élèves au travers de leurs connaissances, et qui soit exigeante puisque restituée aux acteurs du territoire,
  • Du côté d’AGROCAMPUS-OUEST il y a avait deux attentes :
    • une première portée par l’équipe de chercheurs, consistait à améliorer leur échantillonnage d’interviews (auprès des maitres de stage) pour compléter et/ou confirmer leurs hypothèses de recherche, dans un esprit de sciences participatives ; mais aussi la curiosité de tester leur cadre de travail avec les élèves et l’envie de transmettre une façon d’apprendre,
    • une seconde attente était en lien avec la mission d’appui à l’innovation pédagogique dans l’enseignement agricole. l’hypothèse était là de mobiliser la recherche-action existante pour :
      • vivre une expérience de recherche pour prendre conscience de l’intérêt de questionner avant de juger, de prendre le temps d’amener l’autre à préciser sa pensée, à expliciter,
      • entraîner les élèves à poser et à se poser des questions (ce qui est en rapport avec l’épreuve du rapport de stage, mais aussi l’explicitation des pratiques),
      • s’attarder sur le fait de considérer « ce qui me semble étranger », la différence, comme un vecteur d’apprentissage pour s’améliorer,

Enfin, collectivement, nous voulions expérimenter une manière de faire un peu différente pour construire le dispositif « chemin faisant » avec les élèves, essayer d’apprendre des expériences des autres, et en cherchant à s’intéresser sur ce sur quoi on a prise sans s’enferrer dans des positions de blocage. Pour cela, le cadre socio-constructif apporté par la recherche-action (prospective sociologique) nous semblait de nature à offrir une situation à fort potentiel d’apprentissage (3).

Le déroulement de l’action :

Les principes et l’ingénierie globale du dispositif

Ils ont été proposés par AGROCAMPUS OUEST et le GERDAL (Marion Diaz et François Guerrier) et discutés ensuite avec le responsable du module à la MFR (Jean-François Olivier). Ensemble nous avons posé comme principes de :

  • s’appuyer sur la modalité de l’alternance, c’est-à-dire partir du terrain et de la connaissance des élèves qui sont de fait reconnu comme « sachant », ayant à dire et à nous apprendre quelque-chose,
  • partir des centres d’intérêt des élèves (leur exploitation de stage), pour leur faire vivre des expériences d’échanges et de débat en suivant des méthodes d’animation comme nous pouvons les connaitre dans les groupes de développement agricole,
  • leur donner un rôle et une utilité, en posant l’enjeu d’informer leurs maîtres de stage sur leur vision des principales préoccupations, solutions et conséquences de l’évolution des pratiques agricoles sur le bassin versant du Couesnon,
  • s’inscrire au plus près des outils et méthodes de la MFR pour limiter les perturbations pour les élèves,
  • formaliser notre partenariat au travers d’une convention,
  • s’appuyer sur des principes et des méthodes éprouvées : Celles du GERDAL (Groupe d’Expérimentation et de Recherche : Développement et Actions Localisées) d’une part, de la recherche-action ancrochage et des méthodes de la MFR d’autre part, mais également l’expérience et l’expertise de tous les acteurs (élèves, formateurs et enseignants),
Les différentes étapes du dispositif

L’action a concerné les apprenants de la classe de première Bac Pro CGEA. Elle s’est déroulée de la mi-octobre 2016 à mars 2017. Le dispositif s’articule autour des exploitations de stage des élèves ce qui crée un lien direct entre le lieu d’enseignement et le lieu de pratique professionnelle pour les élèves. Le principe est de travailler en petit groupe (idéalement 10- 17 élèves) autour de plusieurs temps forts :

Faire connaissance et comprendre pourquoi on s’intéresse à la diversité des exploitations ?

Dans cette étape, l’idée est de s’appuyer sur la connaissance que les élèves ont d’une exploitation pour montrer les différentes choix faits par les agriculteurs sur un territoire homogène et mettre en évidence la composante humaine et sociale dans les choix réalisés. Il s’agit également d’identifier des critères pour qualifier la diversité de l’agriculture.

Apprendre à questionner un agriculteur dans une perspective d’étude/recherche ?

Ce temps vise à se préparer à mener un entretien compréhensif avec les maîtres de stage. Il s’agit d’une première expérience pour apprendre à questionner, à relancer sans induire les réponses, tout en prenant des notes. Pour cela nous nous appuyons sur l’interview d’un agriculteur lors duquel les élèves conduisent l’entretien, entretien que nous analysons ensuite au regard de ce que nos intentions de départ.

Réaliser une enquête en autonomie auprès des maitres de stage et en rendre compte à l’écrit

Là, les élèves conduisent un entretien avec de leur maître de stage. Le rendu doit être un document lisible et exploitable à partir de fiches synthétiques portant sur l’analyse du système d’exploitation et sur les préoccupations actuelles et les changements envisagés.

Partager ses résultats et produire une analyse en groupe de développement agricole

Chaque apprenant revient de son stage en ayant compris le fonctionnement de son exploitation, le raisonnement de son maître de stage, et ses principales préoccupations. Nous partageons ces données lors d’une réunion de type « groupe de développement agricole » animée par la Chambre d’agriculture et AGROCAMPUS OUEST. A partir de la diversité des expériences et des situations des exploitations de stage nous les aidons à formaliser et à classer les problèmes qui se posent sur les exploitations du bassin versant et à explorer différentes pistes de solution. En s’appuyant sur la synthèse des discussions, ils choisissent une piste de solution (au regard d’un problème partagé sur le territoire) et amorcent une réflexion sur la base de la question suivante : « Si tout le monde sur le territoire recourrait à cette solution, quelles seraient les conséquences ? ». Avec un focus obligatoire sur les conséquences sur la qualité de l’eau ! Les chercheurs comparent alors ces résultats à ceux des agriculteurs avec lesquels ils travaillent par ailleurs.

Préparer la restitution auprès des maîtres de stage et aux acteurs du territoire

Cette séance est l’occasion de revenir sur les connaissances produites pendant les groupes de développement, et d’évaluer l’ensemble du dispositif à partir de questions ouvertes.

Présenter ses résultats aux maîtres de stage et aux acteurs du territoire

Enfin, le dernier temps consiste en une valorisation des productions des apprenants pilotée par les élèves et leurs enseignants, en y intégrant la dimension de « gestion de la ressource en eau ».

L’évaluation

Pour l’évaluation, nous distinguons l’évaluation du dispositif et de ses effets, de l’évaluation des apprentissages à but de certification. La première est réalisée dans le cadre du partenariat, la seconde étant intégrée dans le cadre de la progression déterminée par l’équipe éducative.

Cette évaluation du dispositif a pris plusieurs formes : écrit, vidéo, restitution, retours à l’oral. Programmées tout au long de l’action, elles ont ainsi permis plusieurs réajustements en cours d’action. Les évaluations filmées ont données lieu à la réalisation d’un film (disponible en lien ci-dessous) projeté lors de la restitution aux acteurs du territoire et aux maîtres de stage.

Les principaux acteurs impliqués et leurs rôles :

Jean-François Olivier, formateur responsable du module agroécologie, MFR de Fougères,

Les élèves de la MFR de Fougères et leurs maîtres de stage,

Le conseil d’administration et la direction de la MFR de Fougères,

Marion DIAZ, Sociologue, cheffe du projet de recherche-action de prospective socio-économique « CRESEB », UMR ESO-Rennes, CNRS UMR 6590, GERDAL (Groupe d’expérimentation et de recherche : développement et actions locales),

François Guerrier, Chargé de missions d’appui pédagogique pour l’enseignement agricole, AGROCAMPUS-OUEST,

Aurélie Lajoye, Chambre d’agriculture d’Ille et Vilaine, chargée d’animation de territoire

Exemple de production

Nous avons animé la mise en commun des connaissances des élèves selon les méthodes du GERDAL, en s’attachant à être le plus précis possible, et en s’appuyant à partir de l’expérience vécue des élèves en veillant à répartir la parole et à mettre en évidence la progression de la réflexion en réalisant une synthèse. Cette synthèse est remise en discussion pour la compléter si nécessaire. A titre d’exemple, les réflexions des élèves ont permis de formuler plusieurs problèmes traitables :

  • Comment maintenir voire améliorer mon revenu dans un contexte de prix du lait très bas ?
  • Comment mieux valoriser les produits issus de nos fermes ?
  • Comment adapter son exploitation dans le cas d’une réglementation spécifique sur l’eau (Drains du Coglais) ?

Sur la question de la valorisation des produits, plusieurs pistes de solutions ont été envisagées. L’exemple ci-dessous présente la synthèse proposée sur ce problème.

Comment mieux valoriser les produits issus de nos fermes ?

  • Transformation collective des produits (micro-industrie)
  • Bio pour valoriser des contextes de réglementations spécifiques
    • Le prix plus élevé que conventionnel
    • Des laiteries bloquent les volumes de référence (demande) en lait en AB, mais d’autres qui se lancent sur le secteur
    • Question : Si tout le monde y va, le prix va baisser (rééquilibrer avec le conventionnel ?)
  • Transformation à la ferme de porc charcutier 
    • Découpe à ABERRA
    • Débouchés : Magasin à la ferme, cantine, marchés, …
  • Améliorer les taux dans le lait (changement de race ?)

Puis, le groupe a voté pour étudier plus en détail la piste de solution de la conversion à l’agriculture biologique comme réponse à la préoccupation « mieux valoriser les produits issus de nos fermes». Nous leur avons proposé de réfléchir à partir des deux questions suivantes, traitées l’une à la suite de l’autre :

  • Quelles questions poserait d’envisager l’évolution vers l’agriculture biologique sur vos exploitations de stage ?
  • Et si tout le monde faisait ça sur le territoire, quelles conséquences cela pourrait avoir ?

Une carte mentale synthétise ces échanges. Ce travail peut ensuite être remobilisé dans différentes disciplines : économie-comptabilité-gestion, agronomie, production animale, écologie. Par exemple, à partir du travail sur l’évolution vers l’agriculture biologique, il est possible de travailler sur plusieurs notions de comptabilité et gestion : notion de marges, de chiffre d’affaire (lié au volume de production), de valeur ajoutée, d’investissement, d’amortissement, d’excédent brut d’exploitation, etc….

Les résultats observés :

Sur les questions relatives à l’environnement et aux réglementations, les jeunes ont souvent des réactions très vives et hostiles. En partant des situations, en étudiant la diversité des solutions déployées par les agriculteurs, en comparant les différentes logiques, les élèves s’aperçoivent qu’une contrainte perçue par un agriculteur pourra être transformée en opportunité par un autre. Par le questionnement, nous les avons amené à s’interroger sur leur capacité à agir, à travailler pour conquérir de l’autonomie, à s’engager, et éviter de s’installer dans la plainte et l’opposition stérile qui est la démarche spontanée.

Le fait d’avoir travaillé en groupe de développement, d’avoir confronté leurs points de vue et de comprendre le processus de prise de décision du maitre de stage leur permet d’être plus à l’écoute. Ils acceptent d’avoir des choses à apprendre des autres, en partie car les autres ont montré de l’intérêt à ce qu’ils avaient à dire par le jeu du questionnement compréhensif de type « comment tu fais pour …». Ainsi, les modalités de débats et d’échanges -le questionnement de leur pairs- amènent les élèves à « faire sortir leurs connaissances (…) qu’ils ne soupçonnent pas toujours et qu’ils ne savent pas toujours exprimer », ce qui les entraînent également aux modalités d’évaluation s’appuyant sur des entretiens d’explicitation.

Les résultats observés  au regard des hypothèses pour mobiliser les élèves :

A quelles conditions le dispositif adapté de la recherche intéresse les élèves ?

Les propos retranscrits ci-dessous ont été recueillis dans le cadre d’une évaluation libre et d’un questionnement très ouvert sur ce que les élèves retenaient, ce qu’ils avaient apprécié, et ce qu’ils suggéraient d’améliorer.

Partir de l’expérience vécue : une entrée en matière qui intéresse les élèves

Plus des ¾ des élèves ont apprécié les échanges et le partage de leurs expériences dans les exploitations de stage : « Ca parlait de nos exploitations, de nous et des autres, çà ne parlait pas d’exploitations qu’on ne connaît pas ».

Les conditions de travail à privilégier : l’échange, l’écoute, le respect… en petits groupes

Pour que le dispositif soit efficace, il est nécessaire de s’écouter pour échanger et pour apprendre, « [d’] avoir des échanges sans conflit, sans que cela dégénère, c’était intéressant ». Ils apprécient « le travail en petit groupe », « pour mieux être attentif ». En résumé pour que le travail se passe bien il faut l’on « laisse s’exprimer les autres », « que l’on n’apporte pas de jugement, que l’on s’écoute, que l’on dise ce que l’on préfère et ce qu’on ne préfère pas, ne pas juger tout le temps.» …. Autrement dit, quand les échanges se font sans cadre, sans règles, sans respect, ce n’est pas confortable ni acceptable. Toutefois, ces comportements difficiles à vivre pour chacun, sont aussi liés à l’envie de bien faire, de participer, d’être valorisé, d’apporter sa contribution. Une énergie (celle qui est positive) qu’il faut donc apprendre à canaliser par les élèves et par les enseignants, et qui peut être un objectif à travailler en communication et/ou en éducation socioculturelle à partir de cette expérience ?

Nous avons observés des attitudes de censure ou de moqueries traduisant un écart de positions sociales dans les groupes et limitant la prise de parole, l’expression et l’engagement des plus réservés. Cela influence directement l’apprentissage car cela joue sur l’estime et la confiance en soi des élèves. ces rapports de domination sont pénalisants et nécessitent un rôle fort de vigilance au quotidien dans les relations que construisent les élèves, afin que chacun prenne sa place dans le respect, indépendamment des critères de genre, de corpulence, d’aisance à l’oral, de mode ou système de production de son maître de stage ou de ses parents, de la taille de son exploitation, etc…

S’entendre sur la répartition des rôles entre intervenants et enseignants

La place respective des intervenants et des enseignants-formateurs est un point important à préciser. Qui prend en charge la classe ? Qui rappelle à l’ordre ? Comment se régule les prises de paroles et les apports entre enseignant et intervenant ? Quels rappels seront faits par l’enseignant entre les séances ? Qui introduit le cours et organise le rappel de ce qui a été fait et le but de la démarche à chaque séance ? Autant de choses un peu évidentes mais que, dans l’action nous avons laissé à l’appréciation du moment.

Les résultats observés  au regard de l’atteinte des objectifs pédagogiques initiaux ?

Le lien entre diversité et le choix des agriculteurs

Les ¾ des élèves relèvent la diversité de l’agriculture et des agriculteurs, dans les pratiques et/ou dans la façon de concevoir leur métier, et le lien entre cette diversité et le choix des éleveurs est explicité spontanément par ¼ des élèves. Pour eux : «  ce que j’ai retenu c’est que personne ne travaille de la même manière parce qu’ils ont des raisons par rapport à la famille, à l’environnement, etc…. », « je retiens que chaque ferme est différente et investit différemment selon les conditions et chaque région n’a pas les mêmes conditions de travail selon la situation géographique (le long des cours d’eau) ». Certains élèves retiennent qu’il y a différents points de vue sur une même piste de solution : « Il y a différentes opinions (sur par exemple l’installation d’un robot, etc…) ». Aussi, pour comprendre et analyser un système, il faut « questionner l’agriculteur dans sa façon de travailler, savoir ce qu’il fait comme production, comme il s’organise dans son travail, etc… ».

Apprendre de l’expérience des autres

Près de la moitié des élèves retiennent spontanément l’intérêt du dialogue avec les autres pour produire des connaissances. La réflexion en groupe permet d’aider à la prise de décision individuelle :

  • en apportant de l’information, de nouvelles idées, des arguments des uns et des autres: « [j’ai apprécié] Les débats, les échanges entre les personnes, les avis de chacun, chaque personne donne ses opinions avec les pour et le contre de chaque idées »,
  • en analysant une situation, un problème avec différents points de vue et opinions: « [Je retiens qu’] il y a différentes opinions (sur par exemple l’installation d’un robot, etc…), il faut chercher à comprendre les choix de l’agriculteur. Il faut se poser un maximum de questions avant de faire quelque chose (passage aux bio, installation robot, etc…). Les personnes pensent différemment sur un certain thème »,

A l’écrit, 5 élèves sur 32 disent spontanément avoir changé leur façon de voir les choses : « J’ai modifié mon point de vue sur certaines choses », « [maintenant, je ferais différemment] les investissements dans certains matériels »,

Cependant, pour quelques-uns (soit 5 à 15%), les échanges et le débat semblent être des temps de discussion (au demeurant sympathiques) sur les exploitations de stage.

La réflexion sur les conséquences de la mise en œuvre de certaines pratiques

Concernant la vision de l’agriculture et des différentes façons de voir le métier, le dispositif a notamment permis le dialogue sur des options différentes en fonction des situations de l’agriculteur : différents systèmes (bio/conventionnel), des alternatives techniques (robot/salle de traite), de la gestion du parcellaire, de l’alimentation (autonomie), des investissements : « j’ai vu qu’on pouvait (…) apprendre des différents choix, des différents systèmes, et [que] cela dépend aussi de la personne, de la structure. Cela dépend en fait de beaucoup de choses. Grâce à [cette expérience] je pense qu’en fonction de certaines structures je saurais mieux quoi faire ».

Au sujet de la qualité de l’eau : ce n’est pas une préoccupation première chez les élèves. Cependant, à partir du cas d’agriculteur situé dans une zone à réglementation spécifique et qui réfléchit à une conversion à l’agriculture biologique pour adapter son système, les débats ont permis de comprendre que des situations jugées contraignantes peuvent être transformée en opportunité pour réfléchir à la valorisation de leurs produits.

Les difficultés dans le rapport à l’écrit : prendre des notes et rendre compte de l’entretien

Tenir l’exigence d’un travail de recherche n’a pas été aisé. Nous nous sommes heurtés à la difficulté pour les élèves à prendre des notes, à les ordonner, mais également à respecter les consignes (notamment celles liées à la production à réaliser pendant le stage).

Si c’était à refaire :

Pistes d’amélioration du dispositif

De cette première expérience, il nous semble entrevoir quelques pistes de solutions. Les élèves -associés dans le processus de recherche-action- proposent comme axe d’amélioration :

  • De limiter la taille des groupes ou de la classe à 8-9 élèves. Les élèves souhaitent pouvoir travailler selon la modalité du « petit groupe » « car il y a plus d’écoute et moins de crise ou de vacarme »!
  • Améliorer la convivialité: en s’approchant au plus près d’une situation professionnelle,
  • De veiller au respect du tour de parole : « c’est un débat chacun son tour »,
  • Garder un rythme et une fréquence soutenue : Nous sommes intervenus tous les 15 jours, ce qui semble un horizon temporel un peu long pour les élèves, « on avait déjà oublié des choses ».

Pour l’équipe d’intervenants et d’enseignants, il ressort notamment :

  • d’inscrire et de programmer le travail dès le début de l’année, comme un travail qui sera à faire pendant le stage et valorisé dans le cadre du rapport de stage.,
  • d’impliquer les maîtres de stage dans le dispositif plus en amont, en les associant également dans le rendu et l’évaluation des élèves par une relecture et une discussion sur les fiches signalétiques,
  • d’introduire plus de progressivité en prenant le temps de s’entraîner à mener l’enquête,
  • D’intégrer le dispositif dans le cadre de la progression des élèves et de leurs cours « ordinaires » en pluridisciplinarité. Quelques exemples peuvent être proposés :
  • A partir des réflexions des élèves concernant les systèmes de cultures, un animateur de bassin versant pourrait apporter un éclairage sur les conséquences sur la qualité de l’eau d’une augmentation des surfaces en maïs, d’une augmentation des surfaces en herbe, et introduire des notions sur des itinéraires techniques à bas niveau d’intrants,
  • A partir des débats concernant la mise en place d’un robot de traite sur une exploitation, il peut être envisagé de comparer l’investissement et l’entretien entre un robot et une salle de traite sur un cas concret d’exploitation,
  • A partir de l’analyse que font les élèves de leur façon de se comporter en collectif dans le cadre de ce dispositif, il peut être envisagé un travail plus spécifique sur les relations au sein du groupe-classe, ou en transposant plus largement sur la question de la différence (handicap, genre, …).

Mais pour cela, nous souhaiterions approfondir le travail avec des enseignants pour envisager des transpositions didactiques qui répondent à leurs préoccupations et à des questions qui intéressent les élèves.

En conclusion

Au vu des éléments que nous avons recueilli lors des évaluations menées avec l’équipe de la MFR de Fougères – et qui sont encore à compléter par la comparaison avec l’expérience menée au lycée de Caulnes-, nous avons pu observer des effets notables au regard des objectifs que nous visions. Le dispositif pédagogique « Toutes différentes, Toutes intéressantes » a permis à plusieurs élèves de comprendre le lien entre les pratiques agricoles et les choix fait par l’agriculteur dans sa situation et dans un environnement complexe. Ils ont également appris que l’échange entre pairs permettait de préciser son argumentation sur des choix. Plutôt que de juger hâtivement, il est donc préférable de mener l’enquête pour bien comprendre la situation de l’exploitant, en adoptant une posture compréhensive. Enfin, du point de vue des compétences psychosociales, les élèves retiennent qu’ils sont aussi responsables de créer les conditions pour apprendre de l’expérience des autres : respect, écoute, intérêt, échange et partage.

La variété des activités et des formats encouragent l’expression de chacun (passage par l’écrit, travail individuel, en groupe petit/moyen, expression orale, etc…), même si les jeux de domination restent particulièrement présents et nécessitent une attention particulière de la part des enseignants.

Pour ce qui est des apprentissages, le dispositif offre un réservoir de situations complexes et concrètes à partir desquelles il est possible d’ancrer de nombreuses activités pédagogiques pour travailler les savoirs et capacités visées dans le référentiel : en français-communication, machinisme, informatique, économie-gestion, zootechnie, agronomie, biologie-écologie, mathématiques… Par la qualité et la richesse de leurs échanges, les élèves mettent à la disposition de leurs enseignants autant de cas concrets pour ancrer les savoirs et faciliter la construction de sens pour eux.

Pour conclure, l’expérimentation pensée dans le cadre du dispositif « Toutes différentes, toutes intéressantes » permet de créer les conditions pour que les élèves s’intéressent à d’autres façons de faire que celles qu’ils connaissent déjà. L’animation inspirée de la méthodologie proposée par le GERDAL pour la résolution de problème permet également d’engager une réflexion systémique autour d’un changement pour en évaluer les conditions de faisabilité, ce qui les entraîne à l’analyse d’une décision stratégique, un aspect qui est souvent évoqué comme étant un point faible lors de l’évaluation du rapport de stage.

Enfin, si l’expérience est à finaliser, elle nous semble de nature à pouvoir déboucher sur la formalisation d’un dispositif appropriable par les équipes dans une perspective d’enseigner à produire autrement, pour à la fois : intéresser les élèves, créer une situation à haut potentiel pédagogique, envisager différentes alternatives en apprenant à apprendre des différences plutôt que de rejeter ce qui semble a priori en dehors de son système de représentations.

Rédacteurs et contacts :

Marion DIAZ, Sociologue, chef du projet de recherche-action de prospective socio-économique « CRESEB », UMR ESO-Rennes, CNRS UMR 6590, GERDAL (Groupe d’expérimentation et de recherche : développement et actions locales), mdiaz.dialogue&gmail.com

François Guerrier, Chargé de missions d’appui pédagogique pour l’enseignement agricole, AGROCMPUS OUEST, francois.guerrier&agrocampus-ouest.fr

Jean-François Olivier, formateur responsable du module agroécologie, MFR de Fougères, jf.olivier&mfr.asso.fr

Notes :

1 Groupe d’expérimentation et de recherche : développement et actions locales

2 SAGE : Schéma d’Aménagement et de Gestion des Eaux

3 Mayen P., 2013, « Apprendre à produire autrement : quelques conséquences pour former à produire autrement », POUR, n°219.

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Date :20 avril 2017
Mots-clés : Agroécologie, Citoyenneté, Evaluation, autoévaluation, Motivation, engagement, Pédagogie de groupe, de pairs, Pédagogie de projet

Voie de formation : Formation initiale
Niveau de formation : IV (Bac pro, Bac général)
Initiative du dispositif : Locale
Structure d’appui : Etablissement National d’Appui
Référent : Christine Dimeglio ,christine.di-meglio@educagri.fr

Etat de l’action : En cours
Nature de l’action : Innovation
Etablissement National d’Appui : Agrocampus Ouest
Action du Dispositif National d’Appui : Pollen

 

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