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Nouveau monde et EPA : La pratique théâtrale pour reconstruire du « commun » entre étudiants et enseignants en filière service

Lycée Professionnel Jean Moulin, Bretagne

3 rue du Vau Gicquel
BP 57050

22070 Saint Brieuc

Tél : 0296757230
Site web : http://www.lyceejeanmoulin.fr
Responsable : Susane Buhr , sunasane.buhr@educagri.fr
Rédacteur de la fiche : Francois Guerrier, Corine Covez avec la participation de Ali khelil, Diane Giorgis, Florence Caille, Chagés de mission nationale d’appui pédagogique
, francois.guerrier@agrocampus-ouest.fr
Chef de projet : Susane Buhr

DESCRIPTION SYNTHETIQUE DE L’ACTION

Nouveau monde et EPA : La pratique théâtrale pour reconstruire du « commun » entre étudiants et enseignants en filière service

 

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Auteur.es :

François Guerrier, L’Institut Agro Rennes Angers, Corinne Covez L’Institut Agro Rennes Montpellier-Florac,

Ali Khelil, Diane Giorgis, Compagnie Après le Mur

Remerciements : Susane Buhr, Florence Caille, Gaël Lamy, et les élèves de seconde pro SAPAT pour leur enthousiasme et engagement !

 

Table des matières

Partie I : Origine et intentions, construction de l’action en trois phases.

Des besoins repérés à l’occasion d’un bilan d’action.

Nouvelle sollicitation pour gérer “Nos classes difficiles”.

Opportunité et envies post confinement

Partie II La conception du projet d’expérimentation pédagogique « Nouveau Monde ».

Les principales intentions, ou hypothèses de l’expérimentation.

Un cadre pour l’évaluation.

Des principes pour l’action.

Partie III Déroulement, chronologie et zoom sur les séances.

Le programme prévisionnel de l’action « nouveau monde ».

Les principales étapes du dispositif

Partie IV Discussion et analyse.

En s’appuyant sur la pratique artistique, l’action a-t-elle permis de créer des conditions favorables à l’ancrochage des jeunes et rapprocher les « mondes » adultes et jeunes ?.

Quels enseignements pour l’accompagnement d’une expérimentation pédagogique mobilisant la pratique théâtrale ? 

La pratique théâtrale, situation « ancrochante » en filière service pour enseigner à produire autrement ?

Conclusion.

Introduction

Ce témoignage présente quelques résultats d’une expérimentation pédagogique conduite par l’équipe pédagogique du Lycée Jean Moulin de Saint-Brieuc, la Compagnie professionnelle de théâtre Après le Mur et L’Institut Agro. L’objet de ce travail était de vivre et faire vivre une expérience d’initiation à la pratique théâtrale associant dans l’action les adultes et les jeunes, afin de recréer un espace de partage et de dialogue propice à apprendre et enseigner en filière SAPAT. Cette idée d’expérimentation est née du constat que les adultes et les jeunes, mais aussi les jeunes entre eux, parfois les adultes entre eux, éprouvent de grandes difficultés à se comprendre, s’écouter, se reconnaitre, et peinent à coopérer pour apprendre et faire apprendre. Ce qui semble pour le moins problématique dans une filière spécialisée sur la communication, le soin, les relations,…

Nous n’avons pas pu être en mesure de recueillir le point de vue des élèves et le retour final de l’équipe éducative du fait -en autres choses- du contexte pandémique. Le travail présenté ci-après est donc le fruit de l’analyse de l’équipe intervenante (la Compagnie Après le Mur et la mission d’accompagnement à l’innovation pédagogique de L’Institut Agro).

Après un bref retour sur la genèse du projet, nous balaierons les étapes clés de ce travail qui a eu lieu dans les circonstances très particulières du Covid, pour en venir à exposer quelques résultats et réflexions par la suite, mais également comme pistes d’ouverture sur l’expérimentation pédagogique comme levier de changement.

Partie I : Origine et intentions, construction de l’action en trois phases

La construction de l’action a été un cheminement en soi, avec des temps de maturation et d’accélération (sous contrainte de crises).

Des besoins repérés à l’occasion d’un bilan d’action

La prise de contact entre l’IARA et le lycée Jean Moulin de Saint-Brieuc s’effectue à l’issue d’une première une expérimentation pédagogique labellisée par la Direction Générale de l’Enseignement et de la Recherche (DGER) entre 2016 et 2018, dont l’objet était d’utiliser le territoire comme support des apprentissages en filière services.

Au terme de cette expérimentation, le lycée a sollicité la mission d’appui pédagogique de L’Institut Agro Rennes-Angers pour animer un temps de bilan, d’où il ressort principalement la difficulté, tant chez et entre adultes que les jeunes, d’avoir à gérer l’hétérogénéité «  croissante » : des niveaux, des attentes, des conceptions pédagogiques, des souhaits d’orientation, des parcours … ce qui occasionneraient de plus en plus de difficultés pour se comprendre, se respecter, se sentir en sécurité, apprendre, etc… Beaucoup de différences donc entre jeunes, entre jeunes et adultes, mais également au sein de l’équipe pédagogique, qui amènent incompréhensions et conflictualités. Pour certains membres de l’équipe pédagogique, cela renforce l’enjeu de “construire un commun” avec les jeunes, mais aussi avec et entre les adultes. Des propositions et pistes de travail sont posées… mais le lycée (plus précisément l’équipe, qui n’est pas un collectif) ne donnera pas suite.

Nouvelle sollicitation pour gérer “Nos classes difficiles”

Les classes entrantes de CAP et Bac Pro restent un sujet de préoccupations majeures au lycée. A l’automne 2019, il resollicite l’Institut Agro un peu en urgence pour ouvrir un espace de dialogue et faire exprimer ce qui pose le plus problème à l’équipe pédagogique, et aller vers des pistes de travail opérationnelles. Deux heures de réunion qui ne couvrent pas tous les sujets, mais des propositions sont exprimées.

Un consensus semble se faire, actant que les enseignant.e.s arrivent à faire réussir les jeunes, qui restent malgré l’adversité, mais au prix d’un coût personnel très élevé qui amène de l’épuisement professionnel et des arrêts, un sentiment de résignation, voire de décrochage.

Plusieurs familles de problèmes/solutions sont débattues, et 4 sous-questions se dégagent :

  • Comment faire pour engager et mobiliser les élèves dans la durée ?
  • Comment considérer ou prendre en compte la différence et l’hétérogénéité ?
  • Comment allouer nos moyens (temps et compétences) pour ne pas s’épuiser ?
  • Comment améliorer le sentiment d’efficacité personnel des élèves dans les classes entrantes ?

Il est convenu entre l’IARA et le lycée de laisser le temps aux enseignant.es de décanter pour envisager une formation-action pour expérimenter une situation d’apprentissage travaillant cet “en commun” entre adultes et jeunes, mais aussi et surtout entre adultes afin de consolider (re-construire ?) un collectif d’enseignant.e.s. Autrement dit, « comment créer un espace de coopération et d’apprentissages entre les adultes et les jeunes (dans leur diversité propre) permettant à la fois l’expression, la compréhension et la reconnaissance mutuelle, qui puisse faire sens avec les attendus du diplôme professionnel délivré dans le parcours SAPAT ? ».

Opportunité et envies post confinement

Compagnie recherche lycée pour partager une production artistique…

Plusieurs mois s’écoulent sans nouvelle du lycée Jean Moulin. En janvier 2020, la Compagnie Après le Mur recherche une résidence d’artiste pour la création d’un spectacle de théâtre documentaire proche de Saint Brieuc. Elle contacte l’Institut Agro. La mise en relation s’opère rapidement, et la résidence est prévue pour juin 2020. La situation sanitaire se dégrade, le Covid nous confine, et la résidence est annulée.

Enseignant.es et jeunes recherchent projet pour faire école et retrouver de la vitalité…

L’éloignement du confinement a encore plus distendu les liens entre enseignant.e.s et élèves. La question de partager du “commun” devient impérieuse, et fait écho aux discussions amorcées en 2019. L’idée chemine de co-construire un projet impliquant la Compagnie Après le Mur, l’Institut Agro et le lycée, en posant comme hypothèse que vivre ensemble [jeunes et adultes] une expérience concrète de création théâtrale conduira à déplacer leurs regards, à se reconnaître et à se considérer autrement, chacun.e étant riche de ce qu’elle et il est. La situation de théâtre amène un décalage relatif, déplace la forme, tout en travaillant sur ce qui est en jeu dans ce qui peut faire difficulté pour les protagonistes (en matière scolaire ou professionnelle, de relations, de considération, d’engagement, d’affects,). Rien de très original en soi que de mobiliser la pratique théâtre pour faire évoluer des perceptions parfois très ancrées que l’on peut porter sur les « autres ». Mais le faire ensemble, jeunes AVEC les adultes, en assumant l’asymétrie des positions pour se voir sous un jour nouveau, exprimer des capacités inattendues et peut-être reconnaître et redéfinir ce qui peut faire valeurs et sens communs… çà, çà nous semble assez nouveau.

Ainsi, la volonté initiale est de créer une situation pédagogique et éducative qui amène à décaler les regards, et convoquer la pratique théâtrale qui mobilise des habiletés ciblées par “le programme ”, mais qui est également un lieu d’apprentissage de soi, de la vie collective, de l’écoute des corps et des mouvements.

Un ancrage théorique multi-référencé assumé

Pour le Lycée, il s’agit de démontrer dans et par l’action que les jeunes et les adultes ne sont pas condamnées à vivre dans une ambiance de conflictualité permanente. Et, que ce n’est pas tant des discours qui porteront une transformation durable, que de vivre un processus au long cours, jalonné d’étapes et de temps d’évaluation et de réflexivité (débriefs réguliers) qui amènera du déplacement. Les partenaires s’accordent pour tester « une pédagogie du vivre » (Covez 2018), et pour cela envisagent l’expérimentation comme une modalité d’apprentissage, en veillant dès la conception de l’action à sa formalisation, et sa co-évaluation avec les parties prenantes.

Cette intuition « ne sort pas du chapeau » et s’appuie sur différents ancrages théoriques. Ainsi, il s’agit de vivre et d’analyser une situation inédite qui amènerait jeunes et adultes à se rencontrer dans “un espace d’ignorance mutuelle” qui reconfigure la relation pédagogique comme nous le souffle l’expérience de Joseph Jacotot (Cerletti 2005), mais également de proposer un « espace vide » (Brook 2015) où il ne se crée que ce que les participant.e.s amènent avec eux, en rompant avec l’ordre habituel. Nous imaginons alors que cette mise en situation collective permettra de construire du “en commun” au sens d’Edouard Glissant (Rosemberg 2016), tout en travaillant sur une situation qui aura nécessairement des possibilités d’extension et de sens pour une filière dont le cœur de compétences se situe dans les capacités à être et à entrer en relation avec autrui. Aussi, en reprenant les constats des enseignant.es « les jeunes ne font en général pas de lien entre les cours dispensés et les capacités à développer », « ils s’engagent peu, ils sont passifs » « Ils consomment»), mais également des jeunes « on nous prend pour des bébés », il nous a semblé que la pratique théâtrale en filière SAPAT pouvait être une situation ancrochante de nature à faire réussir les jeunes et les adultes (Verrier et al 2017).

Le décor est posé, le sens et l’envie se sont exprimés. Il convient désormais de concevoir l’action.

Partie II La conception du projet d’expérimentation pédagogique « Nouveau Monde »

Dans le prolongement de ce que nous venons d’esquisser, la conception de l’action s’est réalisée entre le lycée Jean Moulin de Saint Brieuc[1], l’Institut Agro, et La Compagnie Après le Mur. Ensemble, pendant la période de confinement, nous avons pu formaliser une première ébauche de projet reliée au plan national EPA2 (DGER 2020) sur son axe « encourager l’initiative et la parole des jeunes », pour l’inscrire dans le cadre de la note de service portant sur l’expérimentation pédagogique.

Les principales intentions, ou hypothèses de l’expérimentation

Créer des espaces « neufs » pour encourager les expressions, pour favoriser la rencontre entre jeunes et adultes ? Les références et attentes des un.es étant en dehors des considérations des autres, et ce qui se noue dans la classe pouvant difficilement se dénouer dans le face à face pédagogique (où personne ne peut perdre la face). Nous posons l’hypothèse de créer des espaces autres pour déplacer les positions, où jeunes et adultes auront l’occasion de faire ensemble pour échanger et apprendre sur eux mais également sur le sens de ce pour quoi ils sont là. Et par là même de partager une expérience commune qui fasse référence pour chacun. Comme un point de contact. Se découvrir (au double sens) en terrain inconnu pour construire un nouveau terrain d’ententes.

Faire de la pratique artistique un ancrage pour la formation. La pratique théâtrale engage à vivre une expérience remobilisable dans les situations sociales et professionnelles visées par la formation SAPAT. Là, l’hypothèse est de dire que les apports réalisés en cours sauront trouver des prolongements, un ancrage en référence aux situations singulières (images, expressions,…) que les jeunes et les adultes auront vécu ensemble.

Apprendre la réflexivité pour donner envie et plaisir à apprendre. A partir du travail artistique et métaphorique, vivre ensemble, dans la bonne humeur et en confiance, des situations choisies permet de travailler -sans y référer explicitement- des questions préoccupantes pour chacun car relié à des situations ordinaires. En expérimentant ces situations, puis en engageant un processus réflexif sur les interactions jeunes-adultes et leurs effets, nous pensons amener les un.es et les autres à percevoir l’intérêt de la réflexivité pour mettre à distance et prévenir les situations conflictuelles.

Porter un autre regard sur la réussite, sur leur réussite, pour autoriser l’engagement. Pouvons-nous contribuer à rendre le plaisir d’apprendre que l’institution a parfois confisqué à ces jeunes ? Ce nouvel espace de coopération ainsi créée est pensé comme un moyen pour acter une rupture avec les expériences scolaires antérieures. Le théâtre, en ouvrant cet espace, autorise à « remettre les compteurs à zéro » pour donner à voir ce dont chacun est capable. Là, nous imaginons que la pratique théâtrale rendra possible de porter un autre regard sur le fait de réussir et de se sentir capable, et aménera également la possibilité de faire évoluer le regard que l’on porte sur l’autre comme étant capable. Par la valorisation des actes de chacun, ce qui appelle évaluation (entendu au sens développemental et non de contrôle !), nous souhaitons montrer qu’il est possible pour des jeunes et des adultes d’apprendre, de réussir, et de prendre du plaisir ensemble à conjuguer activité pratique et d’analyse.

Montrer qu’il est possible d’oser, de dépasser les positions convenues pour coopérer jeunes et adultes. Il s’agit de prendre acte que ce qui va être demandé aux jeunes comme à l’équipe pédagogique est quelque chose de difficile. Se mettre en scène, faire ce que les autres n’ont pas l’habitude de nous voir faire, éprouver des difficultés à se mouvoir et à lâcher prise devant ses étudiant.es qui n’auront peut-être pas -eux- ces difficultés peut-être vécu comme une prise de risque. C’est aussi d’admettre que nous ne prenons pas les mêmes « risques » selon nos positions sociales, et qu’il est sans doute plus facile pour certains de faire des choses quand leur identité n’est pas ou peu menacé. Aussi, l’idée revient ici à inviter les personnes aux positions sociales les plus installées de faire le premier pas. A oser le jeu de se mettre en scène pour créer -par le fait qu’elles ne réussissent que partiellement- une autorisation à l’expérimentation. Plus qu’une forme d’exemplarité, il s’agit par exemple pour l’IARA de montrer par l’action et la mise en mouvement que l’on partage un peu de la prise de risque, que l’on joue le jeu « avec » les participants. Qu’il n’y a pas ceux qui pensent, ceux qui disent et ceux qui font. Le « ensemble » n’est pas seulement symbolique, il est tangible, physique, réel, concret, palpable.

Notre parti pris méthodologique s’inscrit donc de fait dans la volonté pour les accompagnateurs de s’immerger dans l’action « avec les acteurs et comme acteurs », dans une dynamique de formation intégrative. Et que cela crédibilisera et renforcera le dispositif proposé, par la mise en mouvement, mais aussi par le fait même de vivre l’expérience pour approcher ce que les acteurs auront eux-mêmes vécus afin de pouvoir en dire quelque chose d’ancré car sensible.

Un cadre pour l’évaluation

Le cadre d’évaluation s’appuie sur les hypothèses de travail énoncées ci avant.

Initialement, nous avions envisagé de faire un travail de comparaison entre ce que nous avions imaginé pour mener à bien l’expérimentation pédagogique et la réalisation, tant dans sa dimension « process » (la conduite de projet) que dans son « objet » (la pratique théâtrale associant adultes et jeunes). Malheureusement, le contexte de la crise sanitaire de la Covid-19 a largement perturbé l’action, en particulier la dimension évaluative et coévaluative. Pour notre analyse, nous nous appuierons donc essentiellement sur nos comptes rendus (l’Institut Agro et la Compagnie Après le mur), les traces d’activité que nous avons pu revisionner (4 films des séances), et les séances de debriefing qui ont eu lieu principalement entre membre de l’équipe d’accompagnement.

Des principes pour l’action

Le périmètre de l’expérimentation pédagogique

L’expérimentation porte sur la classe de seconde bac pro SAPAT (services aux personnes et aux territoires) qui concentre le plus de difficultés.

La conduite de l’action.

Elle est envisagée sur 3 ans pour une appropriation progressive et un suivi du même groupe classe et de ses enseignant.e.s. Elle donnera lieu à une convention avec l’autorité académique (Draaf-Srfd), ce qui permet la mobilisation de moyens financiers nationaux au titre des expérimentations pédagogiques. Elle sera accompagnée par l’Institut Agro d’une part, et la Compagnie Après le Mur d’autre part.

Animation et pilotage

Le pilotage du projet

La directrice adjointe assure la position de cheffe de projet pour l’établissement, afin que l’action « soit bien collective et non le projet d’un ou une enseignante » ; l’enjeu étant l’adhésion de l’équipe. De plus, l’expérimentation étant transdisciplinaire, elle ne sera pas référée à l’éducation socioculturelle pour éviter l’amalgame : « pratique artistique = éducation socioculturelle ». Elle veillera à ce que les adultes qui le souhaitent puissent participer, et s’engage à faciliter les créneaux horaires pour permettre la pratique. Un comité de pilotage est constitué. Il regroupe la cheffe de projet, la professeure principale (enseignante d’éducation socioculturelle), le professeur d’éducation sociale et familiale (discipline professionnelle), l’Institut Agro et la Compagnie. Sa fonction est d’organiser le suivi, la régulation, et décider les ajustements nécessaires.

Créer les conditions de l’adhésion de l’équipe pédagogique… et des jeunes

La conception a été réalisée « en dehors de l’équipe » du fait du contexte de la crise sanitaire. Aussi, l’expérimentation est discutée lors d’une réunion présidée par la directrice adjointe, en présence de la Compagnie Après le Mur. Elle a fonction de :

  • De proposer et, le cas échéant, d’installer l’action,
  • D’altérer la proposition pour permettre l’appropriation (principes, buts, moyens et calendrier), en résonance avec les problèmes évoqués par l’équipe pédagogique,
  • De repérer des volontaires prêt.e.s à s’engager ; Il s’agit d’être explicite, afin que les adultes perçoivent bien que la modalité proposée est de “jouer le jeu avec les jeunes »,
  • De décider avec les parties prenantes d’une modalité de présentation aux élèves,

Organisation et logistique

Travailler en demi groupe

Le groupe classe est composé de 24 jeunes. Comme ce que nous demandons est possiblement difficile (se mettre en scène, en jeu devant les autres), nous souhaitons un climat le plus apaisé possible. Pour faciliter la concentration et l’engagement de chacun.e, il est décidé de travailler en demi-groupe selon la répartition existante pour ne pas ajouter de confusion dans l’emploi du temps.

Un calendrier des différentes séances

La Compagnie Après le mur propose une progression sur l’idée d’une régularité -tous les 15 jours- qui permettent aux jeunes comme aux adultes de rester engagés. Aux uns de garder le fil, aux autres de trouver de petits liens à réinjecter dans leurs enseignements.

Convenir d’un lieu « opportun » :

Symboliquement valorisant, ce sera idéalement le conservatoire ou une salle dédiée à la pratique professionnelle du théâtre :

  • La volonté est de coller à la dimension professionnelle du travail théâtral et artistique, de sortir de l’univers scolaire, postulant que le cadre de la situation agit sur l’engagement des personnes,
  • C’est également une marque de considération et de confiance adressée aux jeunes, de d’inscrire le travail dans une démarche sérieuse et professionnelle,
Mobiliser des moyens

Ils sont apportés :

  • Par l’Institut Agro Rennes-Angers dans le cadre du dispositif national d’accompagnement (DNA) des expérimentations pédagogiques :
    • prise en charge des frais des intervenants pour la formation des adultes,
    • un accompagnement du projet d’expérimentation pédagogique,
    • la participation aux séances autant que de possible,
    • le recueil de traces de l’activité,
    • la production d’une analyse et d’une coévaluation,
  • Par le lycée dans le cadre de son fonctionnement ordinaire ; Il devra :
    • inscrire l’expérimentation pédagogique auprès de la Draaf/Srfd,
    • prendre en considération les heures des enseignants,
    • rechercher des financements complémentaires auprès du Conseil Régional, de la Ville, etc…. Notons que la complexité des procédures de financement des actions a ajouté des contraintes à la fluidité de l’action et à sa mise en place, en étant très énergivore pour les acteurs principaux (la cheffe de projet et la professeure principale) source de découragements par l’alternance des phases d’espoir/rédaction/proposition/désillusion.

Entrer en relation

Se mettre en position de faire avec les jeunes.

C’est peut-être le point le plus délicat ; oublier pour un temps son métier « de prof » ou « d’élève » pour se retrouver sur une nouvelle scène,

  • Le pilotage des séances et donc confié à la Compagnie Après le Mur, l’équipe pédagogique est déchargée du travail de préparation et d’animation,
  • Les adultes devront être vigilant.e.s à l’asymétrie des positions sociales,
  • Ils chercheront à vivre la situation, d’être à l’écoute de soi, de ses émotions, de son corps, de lâcher un temps la position enseignante pour voir ce que cela amène.
S’autoriser à vivre et jouer avec la situation

Le principe d’action défendu ici est de ne pas « imposer » de façon trop directe ou explicite l’ensemble de nos intentions aux jeunes pour s’autoriser à faire évoluer nos objectifs intermédiaires, et tirer parti de ce qui ne manquera pas d’advenir pendant les séances mais que l’on ne connaît pas à l’avance. Ne pas nous enfermer dans un cadre, mais de vivre les choses pour apprendre à les accueillir. Ainsi, nous ne savons pas si nous jouerons des scénettes, une pièce ou encore autre chose. Si l’on se produira devant les autres élèves du lycée, des personnes âgées ou une école. On verra en fonction de ce qui se construit, de ce dont les acteurs -jeunes et adultes- auront envie. Car c’est justement ça que l’on cherche à vivre, à faire vivre et à expérimenter par cette pratique artistique. Les prolongements seront à rechercher comme indicateurs d’appropriation et de réussite, mais ce n’est pas un objectif posé a priori comme un cadre de contrainte.

Apprendre dans et par l’action

Raisonner l’évaluation in itinere.

Nous ne savons pas à l’avance tout ce que l’on va pouvoir apprendre, mais comme nous savons d’ores et déjà que nous allons et nous voulons apprendre de l’action et produire des connaissances avec tous les acteurs, nous ambitionnons :

  • Des temps réguliers de rencontre pour les adultes. Sans caler de dates a priori, il est fait état de tenir au moins deux temps de bilan, à mi-parcours et en fin d’année,
  • De recueillir régulièrement des traces de l’activité. A cet effet, l’Institut Agro participera à un maximum de séances pour réaliser des captations vidéo et revenir sur les différentes séances avec les participants,
  • Enfin, pour faciliter la construction de sens, le principe est acté de permettre aux élèves de revenir en cours sur ce qui est vécu lors des séances d’initiation à la pratique théâtrale, et de garder trace de ce qui est fait et ressenti pour mesurer leur progression sur le plan de la dimension théâtrale et artistique, mais également sur les relations et les interactions. A cet effet, un carnet « personnel » est acheté par le lycée et un temps est prévu en fin de séance pour que jeunes et adultes bénéficient d’un temps réflexif personnel pour librement annoter, dessiner,… ce qu’il souhaite retenir de la séance. Notons dès à présent que ce point qui a été évoqué plusieurs fois avec les pilotes est sans doute resté un peu trop implicite.
Éviter la relation « utilitaire » à la pratique théâtrale.

Enfin, bien que nous sachions que nous travaillerons des compétences communicationnelles et qu’il y aura des relations à faire avec les cours et les capacités du référentiel de formation, des ponts et des analogies à réaliser, le temps des séances de théâtre ne doit pas être le lieu de ces mises en relation directe. Car c’est en faisant vraiment (c’est à dire en étant là et maintenant, uniquement occupé.e au jeu proposé) que la pratique pourra avoir un impact évaluable ( et pas en pratiquant « pour valider telle ou telle capacité »).

Partie III Déroulement, chronologie et zoom sur les séances

Nous allons maintenant nous plonger dans le détail de l’action. Ce qui a pu être réalisé et ce que nous en avons retenu.

Le programme prévisionnel de l’action « nouveau monde »

Ce programme prévu a été perturbé et n’a pas pu être réalisé pour beaucoup de raisons à la fois contextuelles au COVID 19, mais aussi liées au cadre de l’expérimentation et aux différentes parties prenantes de l’équipe-pilote. Nous détaillerons ces écarts dans les paragraphes suivants.

Les principales étapes du dispositif

Nous vous proposons ici de parcourir les principales étapes du dispositif tel que nous (IA et La Compagnie Après le mur) l’avons vécu, en relevant les points qui nous ont semblé les plus « saillants »

Etape 1 : Présentation du projet et recherche de construction avec l’équipe éducative

Plusieurs fois repoussée, la réunion de présentation et de mise en débat du projet se tient en toute fin d’année, sans la présence de l’Institut Agro qui ne peut se libérer sur cette date unique. Elle rassemble sur deux heures, en plus de la directrice adjointe, la moitié de l’équipe enseignante (7 enseignant.e.s et la CPE), plus une jeune en service civique sur la dimension éducative, ce qui est jugé « plutôt bien » par la directrice adjointe. Cette dernière donne le contexte et rappelle les éléments de diagnostic qui font consensus. Le projet est présenté comme une expérimentation non obligatoire, avec un déroulement indicatif : « Ce n’est pas un projet d’éducation socioculturelle, mais cela doit être un projet d’équipe pour construire du en commun avec les jeunes ». Les artistes présentent concrètement la façon dont ils envisagent l’action : des séances régulières, un cap à vivre plus qu’à tenir, les principes d’action, etc… La discussion s’engage.

Certains enseignants interrogent le sens et l’utilité : « Je ne vois pas ce que l’on va pouvoir faire. On part de quoi pour aller vers quoi ? Créer une dynamique d’équipe ? Créer du lien avec les élèves ? Pourquoi est-ce que ma discipline pourra se rattacher ? ». D’autres évoquent leur façon de faire « Moi je fais chaque année un projet avec les secondes. Je le fais tout toute seule. Cette année j’ai déjà un projet sur l’identité numérique », ou encore des éléments organisationnels « Attention au problème des stages ! Quel calendrier choisir ? (…) », « c’est intéressant mais comment le mettre en œuvre, comment gérer l’organisation ? (…) ».

Des points semblent faire accord sur l’enjeu :

  • De faire ensemble : « Si le projet n’associe pas toute l’équipe c’est un coup d’épée dans l’eau. », « S’il n’y a pas l’adhésion de tous, (…) alors les élèves réagissent en fonction…», « (…) Il n’y a pas forcément la même implication de tous. Mais ce qu’il ne faut pas, c’est que des collègues n’y participent pas du tout (…). Moi à ma décharge, je ne pourrai pas être présente à toutes les séances »,
  • D’évaluer les effets et impacts de l’action ; De façon directe « Cela a l’air bien si après il y a des outils », « Comment évaluer le bénéfice dans nos cours ? Il y aura-t-il des indicateurs ? Y aura-t-il un retour régulier ? », ou indirecte « dans les cours on devrait le ressentir », « C’est un moment où l’on peut se faire plaisir, c’est un moment de rencontre on apprend à se connaître (…) le théâtre doit être un levier pour une approche différente ».

La réunion se clôt avec un accord de faire, qui semble être acté par la participation de 4 adultes volontaires : 3 enseignant.es et une jeune en service civique. D’autres devraient venir (une enseignante se dit intéressée tout en émettant des réserves quant à l’application dans sa matière). Un compte rendu détaillé est rédigé par la Cie (et non par le lycée).

Cette étape de discussion apporte comme éléments positifs : le partage du diagnostic, des enjeux et de la proposition de remédiation au travers de l’expérimentation de la pratique théâtrale. En revanche, elle souligne également la fragilité de l’engagement (3 sur 7 présents dans le collectif enseignants, soit 3/14 sur le total). Il nous a semblé déceler une attitude de réserve similaire à celle parfois rapproché aux jeunes, de consommation et de recherche d’utilité immédiate, ou d’esquive : « oui pour les autres mais pas pour moi », sans chercher à tisser de liens entre ses préoccupations didactiques et relationnelles avec les jeunes, et ce qui peut être construit dans le projet. Si nous appliquions le principe de symétrie mis en évidence dans l’Ancrochage, nous pourrions presque nous demander si le désengagement des jeunes n’est pas une réponse au faible engagement des adultes ? Par ailleurs, le pilotage n’est pas encore très affirmé, la Compagnie ayant eu parfois le sentiment de devoir défendre le projet … du lycée ! Enfin, il nous a semblé également qu’il y avait un écart entre une partie des acteurs qui appréciaient l’idée de pouvoir altérer la proposition pour la construire au fur et à mesure de son développement, et une autre partie qui attendaient plutôt des réponses précises et des certitudes quant aux résultats de l’expérimentation. Conscients de la fragilité de l’engagement du lycée, les intervenants et le copil décident de poursuivre en convenant de laisser la porte ouverte en pensant des retours réguliers vers l’équipe, pour leur donner l’occasion à celles et ceux qui le souhaiteraient de rentrer dans ultérieurement l’action. Un temps de présentation est convenu avec les élèves à la rentrée.

Etape 2 : Présentation de l’action aux apprenant.e.s

C’est à l’occasion d’une relance que le lycée explique aux partenaires qu’une présentation du projet a déjà été réalisée par les enseignant.e.s… mais les partenaires n’ont pas connaissance du contenu de la présentation, ni de l’accueil qui en a été fait par les jeunes. Rappelons que l’organisation de la rentrée 2020 est très incertaine pour les établissements scolaires (reprise des contaminations au COVID-19). A peine l’année démarrée, tout le monde est sous tension. Les consignes et conditions réglementaires pour faire intervenir des extérieurs au lycée sont variables. Ce climat ajoute de la perturbation pour une organisation déjà fragile et en proie à des difficulté pour caler les dates, lieux, horaires. A la demande de l’équipe enseignante, et contrairement au principe de « réguler dans l’action », un plan de travail prévisionnel précis est envoyé au lycée pour les 5 séances à venir. Pour quoi et pourquoi cette demande ? Un regain d’intérêt ou de nouvelles réserves ?

Etape 3 : Séance 1 Apprivoiser l’activité

C’est la première séance de pratique théâtrale. Nous entrons donc dans le vif de l’action et devons faire connaissance. Nous passons ici sur la nécessité pour les intervenants de présenter l’action sans y avoir été préparé, sur le changement d’effectif (qui réduit la séance à 2x 1h30 car les consignes Covid ont évoluées pendant le week-end), sur le désordre issu de l’incompréhension des jeunes qui ne savent pas quel groupe doit aller où et avec qui. La vie en établissement quoi, Il faut s’adapter à perdre du temps.

Après 15 minutes, l’activité commence. D’abord un échauffement corporel, qui se prolonge par quelques jeux (Balles-prénom/couleurs, Ya,). Quelques soient les groupes, nous observerons un très haut niveau de participation (il y a bien 2-3 jeunes qui sont un peu moins engagés), des rires et des sourires, et de l’application. Les corps empruntés et raides se délient peu à peu. Une jeune tente un timide « schbong ! », puis un adulte (Accompagnateur IA), rapidement imité d’un enseignant s’y essayent avec énergie : « SchboNGGG ! » ! Rires de la salle. Un nouveau tour de Ya et la jeune envoie un énorme « SCHBONG » qui fait exploser de rire ses collègues, et tout le monde embraye en accélérant. (voir films).

La présence d’adultes ne semble pas perturber les jeunes. Peut-être même qu’elle les encourage à relever ce défi devant leurs pairs ? L’intervenant de l’IA s’applique à jouer le jeu, et l’on s’intéresse peu à celles et ceux qui sont en mode dilettante. N’est-ce pas le but de l’échauffement que de se mettre en route ? Les enseignants présents participent également. Si l’un d’eux est particulièrement « engagé » et réalise l’action « au niveau » des élèves, sa collègue a tendance à sortir de son activité théâtrale pour aller reprendre deux jeunes qui selon elle ne participent pas « comme il faudrait ». Ces deux jeunes sont physiquement en retrait, mais ne posent pas de problème. Elles regardent ce qui se fait, elles sont présentes au côté des autres (pas très loin), et, si leur corps n’est pas vraiment impliqué, leurs yeux sont sur l’action. Elles ne s’isolent pas du groupe. Régulièrement l’enseignante interrompt son activité et les reprend : « Bon les filles, vous pouvez faire un effort ? Les autres s’y mettent ». Elles répondent alors par des moues et des grognements un peu agacés. Pendant ce temps-là, les intervenants de la Cie tournent entre les participants et suivent chacun, commentant et apportant conseils, aux jeunes et aux adultes, soulignant les réussites, sans porter de jugements hâtifs.

Comme attendu, les tenues ne sont pas toujours bien adaptées (les jeunes avaient-ils eu et compris les consignes ?) et gênent l’activité. Mais est-ce cela qui entravent réellement les gestes ? Nous observons la difficulté pour les jeunes comme les adultes à « se lâcher ». Les acteurs se lancent, puis jettent un œil de côté vers leurs voisins, s’arrêtent et se bloquent… puis reprennent.

Lors de l’exercice du « miroir », une jeune passe la main dans ses cheveux. Sa partenaire, qui omet son geste, se voit qualifiée d’un « Eh, mais t’es bête toi, t’as pas fait les cheveux… ». Moment délicat. Chacun lance un sourire, l’intervenante sourit également en relançant d’un « allez, on continue, c’est bien ». Ce qui aurait pu être un incident s’éloigne et se noie dans l’action.

Notons que, le second groupe (arrivé en retard), aura la surprise de découvrir l’intervention d’un technicien qui entre dans l’amphi sans prévenir pour venir chercher des extincteurs… sans s’inquiéter un seul instant si son intrusion perturbe l’action.

Nous retiendrons particulièrement de la séance les nombreux rires, les moments de complicités entre jeunes et jeunes et adultes (notamment lors du miroir), l’amusement des jeunes de voir les adultes être patauds et parfois embarrassés eux-aussi de leurs corps, se tromper dans les exercices de vitesse et de coordination. Certains jeunes réussissent mieux que d’autres, et bien mieux que les adultes ! La variété des activités et des jeux permet à chacun de trouver sa place et de gagner. Globalement chacun a pu passer un bon moment dans le lycée, ce qui n’est pas si fréquent que cela.

Etape 4 : Séance 2 Histoires improvisées et sans paroles

En arrivant au lycée, nous constatons que les jeunes seront en classe entière cette fois-ci. Mais, comme ils ne doivent pas se croiser, les jeunes du groupe 2 devront attendre que le groupe 1 en ait terminé pour faire leur activité. Nous devons donc improviser une activité pour qu’ils puissent être actifs, alors qu’ils sont en position de spectateur.trices. Malgré plusieurs nouvelles perturbations (présentations d’une réalisatrice pour un projet « autre », gestion des stages,…), les jeunes jouent le jeu et nous observons que certains jeunes commencent vraiment à apprécier l’activité. Ils demandent : « on jouera une pièce ? ».

Le but de la séance est d’improviser autour d’un défi en petite équipe. Pour cela, il convient de produire un langage -sans paroles-, et réussir une mission interplanétaire. Chaque « petite équipe » se réunit pour réfléchir à son « rôle d’improvisation ». Là, une jeune fille refuse d’aller sur scène, alors qu’elle a coconstruit la scène. Elle ne veut pas se « donner en spectacle » et se mettre en position ridicule. Avec le groupe, l’intervenant IA discute et nous lui dessinons un rôle qui demande peu d’engagement physique. Finalement, elle ira sur scène, l’occasion de la féliciter.

Enfin, une enseignante qui n’a participé à aucune activité « s’invite » dans l’amphi à la récréation. Elle vient voir ce qui se passe, une bonne chose, une façon de participer. Mais, alors qu’une des intervenant-es de la Cie demande un peu d’écoute, elle intervient vivement pour tancer les jeunes. L’intervenant de la Cie est à son tour obligé de hausser le ton pour reprendre la situation… à l’inverse de ce qu’il aurait souhaité faire… Voulant sans doute bien faire, elle ramène l’activité à un imaginaire de l’ordinaire scolaire. Nous retenons de cette séquence l’incident avec l’enseignante qui intervient sans mandat, et qui nous semble révélateur de la confusion qui règne, à savoir qui est dans ou hors du collectif qui mène l’expérimentation. Cette séance conduit les intervenants à solliciter la tenue d’un Copil pour réguler et rappeler certains points d’organisation (par exemple que ce sont les intervenants de la Cie qui animent les séances, régulent les bavardages, etc… Les adultes doivent en effet se concentrer à vivre la pratique au même niveau que les jeunes.

Etape 5 : Comité de pilotage intermédiaire de mi-décembre 2020

Le premier point porte sur une réorganisation des rôles et de la gouvernance. Les contraintes liées à la pandémie limitent la possibilité de la direction d’assurer la fonction de « cheffe de projet », et dans les faits c’est la professeure principale de la classe de seconde pro Sapat qui réalise le rôle de régulation avec les intervenants. Il est convenu de distinguer la fonction de « direction de projet » qui assume le portage politique et veille aux orientations de l’action qui reste du rôle de la direction, de la partie plus opérationnelle (régulation avec les intervenants, …) de la fonction d’animation de l’action, déléguée à la professeure principale.

Quelques points posent difficultés : certains enseignants ne peuvent participer que sur une heure, ce qui limite l’engagement et la construction en profondeur avec les jeunes du fait des « allées et venues ». Il est donc décidé de faire avec les adultes disponibles « dans la durée » pour limiter les décalages dans la progression du collectif, et éviter les interventions « décalées » constatée lors de la séance précédente. L’équipe d’accompagnement évoque la difficulté pour certains de mettre de côté leur « position de prof » pour construire le « en commun » attendu avec les jeunes. En effet, le changement brusque de position d’un « je suis avec vous » à un « je reprends une position de surplomb et je fais la discipline» introduit une dissonance, et l’on observe bien chez les jeunes un retour (y compris physiquement, mouvement des épaules, etc…) à leur position d’élève, avec les comportements scolaires qui vont avec (chahut, provocations). Nous rappelons donc que les séances sont animées par les artistes de la compagnie, et le rôle attendu des enseignants est d’être « participants » et parfois « facilitateurs » avec et pour les jeunes. Les questions de régulations et de disciplines seront prises en charge par la compagnie.

Pour ce qui est du suivi et de l’évaluation par les jeunes, l’assistante éducative en service civique fera des points réguliers avec eux pour recueillir leurs ressentis. Le lycée acte l’achat pour chaque jeune d’un carnet personnel (avec une étape d’appropriation/décoration). Ce carnet sera « gardé au lycée », mais il est la « propriété des jeunes ». Nous instituons un temps en fin de séance pour renseigner le carnet.

Les premiers retours sont très encourageants. L’activité est attendue par la plupart des jeunes. Ils jouent le jeu dans leur très grande majorité (20/24). Quelques points de vigilance sont observés : pour certain.es les exercices sont un peu trop répétitifs, trouvent que la position d’observateur est difficile et peu intéressante (est-ce un manque de connaissance, de vocabulaire, de capacité à « évaluer » une prestation des collègues, de prise de parole en public, la peur de faire mal au copain ou d’avoir mal… ?), et certain.es évoquent la difficulté d’être observé.es. La situation du demi groupe-actif semble préférable à celle où toute la classe est présente avec un groupe sous le regard des autres. Les jeunes indiquent qu’en grand groupe c’est plus difficile de rester concentré, car il y a plus de dissipation, de moqueries, de tensions… Comment regarder, exprimer un point de vue, écouter une remarque ? Autant de sujets d’apprentissage à travailler ensemble sur la durée. Enfin, les jeunes s’interrogent sur la nature la production finale : « on va faire quoi à la fin ? une représentation ? Au lycée ? à l’extérieur ? ». Ce point est en débat : faut-il donner déjà un horizon ? Associer les jeunes à la définition du projet final ? Il est acté que les adultes doivent apporter une proposition rapidement au risque de désengager les jeunes.

Du côté des adultes, les « participants » actifs sont très satisfaits. S’il est parfois difficile pour certain.es de « lâcher prise » sur sa position d’enseignant, il n’y a en revanche aucun jugement sur les performances artistiques des jeunes. Nous relevons des encouragements et du plaisir partagé (rires, rapprochement physique, étonnements, fierté parfois ?). Il est donc relevé que l’on ne peut pas tout faire dans le moment, et qu’il convient de chercher à mieux « se laisser transporter » par l’activité pilotée par les artistes lors des séances. Puis, dans un autre temps, de revenir a posteriori sur les séances pour en tirer parti (sur les questions d’engagement, sur ce qui est réussi, sur ce que l’on travaille, puis à plus long terme d’aider à relier cela au référentiel).

Etape 6 : Séance 3 L’entité invisible. Après les extincteurs, place aux colles !

L’activité reprend en demi-groupe sans observation. L’engagement des jeunes et des adultes reste très fort. Citons comme événement notable l’irruption d’un surveillant qui, sans dire un mot, s’immisce au milieu de la séance pour distribuer des heures de colle… La scène se joue en quelques secondes sous la stupéfaction des intervenants occupés à travailler avec le groupe. Le surveillant distribue une partie des colles à la professeure principale, s’approche vers une jeune fille qui est sur la scène et lui donne sa punition devant le groupe, en plein milieu du travail. Les intervenants n’ont pas le temps de réguler, l’intervention perturbe et rompt le déroulement de l’activité. Les accompagnateurs reçoivent doublement cette violence : à la fois par le côté profondément choquant de faire sur le fond et sur la forme, mais également par le fait que pour les jeunes et les adultes, cette situation semble ordinaire. Cette anecdote tend à montrer le « normal des perturbations ordinaires » dans l’établissement et nous interroge sur la transmission des valeurs d’éducation, qui sont pourtant objet de reproches aux jeunes. Elle nous semble révélatrice de la difficulté de tenir un cadre serein pour travailler avec les jeunes des choses délicates, qui se jouent parfois sur un fil. Des apprentissages qui appellent l’instauration d’un climat de travail et d’une concentration qui requiert du temps pour arriver à un niveau d’implication et d’engagement où l’on va travailler en profondeur, où il va enfin se passer des choses à l’intérieur de soi. Aussi, comment travailler la confiance, la valeur de ce qui est fait, la considération de l’effort demandé dans ces circonstances ? Comment arriver au bon niveau d’implication quand l’activité est régulièrement perturbée ? Et qu’en est-il du respect du travail des jeunes, de celui des adultes et des artistes avec les jeunes ?

Etape 7 : Séance 4  Annulation

Suite à un problème de salles (et où d’absences d’enseignants et de modification des emplois du temps), la séance est annulée le vendredi soir pour le lundi matin…

Etape 8 : Comité de pilotage

Ce nouveau comité de pilotage est riches d’échanges difficiles à réduire en quelques lignes. Nous retiendrons ici ce qui nous est apparu comme le plus significatif.

Pour les adultes pleinement engagés (2 enseignant.es et 1 assistante éducative), l’intérêt du projet et réel. Ils perçoivent les évolutions et le déplacement des relations avec les jeunes avec qui ils partagent des moments forts (plaisir, rires, difficultés, analyse). Tout ce passe comme s’ils prenaient ce temps et avait ce désir d’observer pour s’interroger et apprendre de et avec leurs élèves. Les relations entre le groupe classe et ces adultes et d’ailleurs « particulièrement bon cette année ».

Au-delà du « en commun » qui se crée, le comité de pilotage constate que cette année « nous avons une bonne classe », avec moins de conflictualité que d’habitude. Du côté des intervenants, nous émettons l’hypothèse que les activités démarrées tôt dans l’année ont contribué à installer un climat différent de l’année précédente. Les exercices proposés ont permis aux jeunes de faire rapidement connaissance, nouer des liens par des sourires des regards, mais aussi de partager et de vivre à leur niveau une expérience où ils ont pu et su coopérer, se découvrir, s’entraider, rire, progresser, …y compris avec les adultes ! Les liens (complicités ? confiance ?) sont d’ailleurs plus forts avec les adultes impliqués qu’avec le reste de l’équipe enseignante.

Le travail en demi-groupe facilite l’engagement des jeunes. Si l’attention de quelques jeunes décline ces derniers temps, certain.es au contraire s’engagent de plus en plus. Pour une des intervenantes, une des difficultés tient également au fait que l’un des groupes de dédoublement a plus d’énergie que l’autre, ce qui occasionne des phénomènes d’auto-censure dans le groupe le moins impliqué. Pour ces derniers, la possibilité de travailler en petit groupe dans la modalité de classe entière leur permettrait de s’exprimer pleinement. Il est proposé de poursuivre les séances dans une salle que le conservatoire accepterait de prêter. Ce lieu est également un lieu dédié et professionnel, plus propice au travail théâtral. C’est enfin un moyen d’éviter les conflits de salle au sein du lycée.

Le point le plus problématique concerne la participation de l’équipe pédagogique au-delà des 2-3 enseignant.es. Plusieurs raisons à cela : le contexte pandémique, la surcharge, l’incapacité à produire du sens pour sa discipline, mais aussi le fait que la classe est dite « plus facile ». Tout se passe comme si, en l’absence de conflit, le fait de partager et de construire avec les jeunes pour mieux les (re)connaître et améliorer son enseignement devenait secondaire. Est-ce la crainte de se dévoiler dans une activité complexe devant les jeunes ? De ne pas s’obliger à suivre une activité car on n’en voit pas l’intérêt ni le sens ? (Alors que pour les jeunes l’activité est toujours imposée…).

Enfin, Le contexte pandémique, et son lot de contraintes organisationnelle additionnelles est un contexte (trop) dégradé. Il requiert plus d’anticipation et apporte de l’instabilité, dans une situation déjà fragilisée. Le fait de tenir depuis 6 mois est déjà une performance que l’on se doit de souligner. La dernière séance annulée témoigne de cette difficulté.

Pour le reste de l’année, il est donc convenu de relâcher la pression des dates, de faire une séance le 8 mars, et de caler 2 jours intensifs en avril-mai pour aboutir à une production, et/ou avec la présentation du spectacle de la compagnie Après le mur. Avec comme point d’orgue une évaluation avec et par les jeunes et les adultes pour définir ce que l’on pourrait réaliser ensemble en 2021-2022. Il s’agit en parallèle de finaliser le budget et de donner à voir les premiers résultats pour arriver à engager au moins 2-3 nouveaux collègues.

Etape 9 : Propositions et contreproposition en off

Pendant les congés d’hiver, l’enseignante de français propose aux artistes un travail sur un texte, en relation avec sa progression pédagogique, et de mise en scène comme aboutissement du projet de l’année. Une proposition en rapport avec le projet, qui témoigne d’un début d’appropriation par l’équipe enseignante, qui correspond à un besoin et de surcroît aux attentes des jeunes de « jouer quelque chose ». Les artistes cherchent une solution pour intégrer cette nouvelle demande.

Mais en parallèle, le lycée reprend contact avec la compagnie pour suggérer de faire un travail en relation avec le stage professionnel. C’est un nouveau changement important et imprévu. La Compagnie perd le fil du projet avec ces revirements, et il n’y aura ni travail sur le stage ni sur un texte.

Etape 10 : Séance 5 Déplacements improbables

La séance est programmée en première heure du retour des vacances d’hiver, suite à une période de stage. Cela fait un mois que les jeunes ne sont pas revenus au lycée. Il y a une confusion sur le lieu de rendez-vous, et les jeunes arrivent au compte-goutte. Les jeunes ont beaucoup de choses à se raconter, il y a beaucoup de brouhaha, de discussions, la mise en activité est compliquée. Après un temps collectif (classe entière) consacré à une activité de relaxation et d’étirement (naissance et renaissance voir film), un travail de mouvement et d’imagination est proposé pour tenter d’entrée dans un autre univers. Les corps rouillés peinent à se déplier et à se détendre, mais peu à peu chacun y arrive, se grandit et se lève. Ce temps est assez long pour nous permettre de nous détendre, et pour se rendre compte de l’importance et de la difficulté de se rendre disponible à l’activité à venir, pour lâcher prise de ce qui nous raidit. Nous enchaînons différents exercices dans une joyeuse humeur.

Cette séance est clairement plus exigeante : au retour des vacances, dans un nouveau lieu, les jeunes ont beaucoup à se raconter, et il leur est demandé un exercice d’improvisation. Un saut vers l’inconnu. Là, 6-7 jeunes sont en retrait, plus que d’ordinaire. Les « bavardages » sont plus fréquents. La professeure principale s’interrompt très régulièrement pour reprendre les élèves restées sur le bord à discuter et pianoter sur leur smartphone. Les intervenants de la compagnie montrent de l’agacement envers les jeunes, haussant le ton : « En vrai, il n’y avait pas trop de bruit… enfin si, ça résonnait, mais… mais je crois que c’est de voir que [] était préoccupée et n’arrivait pas à rentrer… oui, j’ai comme voulu prendre sa place en fait pour qu’elle se laisse aller à faire le truc avec les jeunes. Parce que sinon je crois que je les aurais pas repris et puis y’a un moment ils sont dedans et ça se passe ».

Un des groupes accueille l’intervenant de l’IA. Il s’agit de jeunes qui peinent à s’engager dans l’activité. Notre défi consiste à inventer une créature marine qu’il faut animer… Il questionne « Alors, qu’est-ce que cela vous inspire ? Vous avez des idées vous ? ». A priori pas grand-chose. Il propose quelques pistes, les jeunes rétorquent « On a pas envie d’être vues !». Il propose alors de se mettre devant : «  je suis le plus gros, je passe devant, comme ça on vous verra pas ! ». Une jeune propose « On pourrait faire des trucs, des mouvements avec les bras »« comme des tentacules ? »… Et sinon, elle aurait quoi comme particularité ? « Elle pourrait avoir un gros bec (rires) »… La créature prend forme. Après la réalisation, les jeunes sont contentes, et comme la séance était filmée, elles demandent : « dites, on peut voir la vidéo ? ». Nous leur montrons rapidement sur l’écran de la caméra « Et on peut l’avoir ? ». Bien sur ! (voir film)

La séance s’achève sur un temps consacré à renseigner son carnet. Chez les adultes, seule l’assistante éducative renseigne le sien. La mise en commun se fait en cercle. Le but est de voir ce que le groupe pense de l’activité. La prise de parole est compliquée en grand groupe (pas bien adapté pour un retour intime), l’horaire. Une jeune amorce un « c’était bien… ». Elle est reprise par une enseignante qui cherche à l’aider « Bien… Est-ce que tu peux préciser ? Bien comment ? Tu peux argumenter ? »… « Bah c’était bien quoi… ». En dehors de l’intervenant de l’IA, les adultes n’expriment pas leur opinion. Il est tard, les jeunes décrochent. En sortant du conservatoire, les intervenants discutent sur le parvis. Quatre jeunes filles contentes de leur séance nous interpellent. Elles veulent savoir si nous reviendrons, quand, pour faire quoi ? Nous sommes un peu mal à l’aise, et nous leur disons que nous leur donnons rendez-vous, dans l’attente de la date que doit nous communiquer le lycée.

Etape 11 : Relance des intervenants… et abandon

Pour faire suite au compte rendu du comité de pilotage et à la dernière séance particulièrement poussive, les intervenants rédigent un dernier mail de relance. Ils proposent 3 créneaux de 2 jours consécutifs et décident d’attendre le retour du lycée… Retour qui ne viendra pas. Nous décidons de nous en arrêter là et de ne pas forcer la sollicitation.

Partie IV Discussion et analyse

Dans cette dernière partie nous focaliserons sur 3 dimensions :

  • En quoi, dans un contexte dégradé, une pratique théâtrale peut-être de nature à créer les conditions d’un ancrochage en filière service ?
  • Entre le prévu et le vécu, quels sont les obstacles et réussites rencontrés ?
  • Enfin, en matière d’accompagnement d’expérimentation pédagogique associant un tiers – le cas de la mobilisation de pratiques artistiques-, quels enseignements retirer de cette action ?

En s’appuyant sur la pratique artistique, l’action a-t-elle permis de créer des conditions favorables à l’ancrochage des jeunes et rapprocher les « mondes » adultes et jeunes ?

Pour rappel, l’ancrochage est une dynamique qui lie les processus de socialisation, autonomisation et apprentissage, possiblement travaillés dans différentes dimensions (didactique, éducative, professionnelle, environnementale) ; Elle favorise l’accrochage des apprenants et l’ancrage de leurs connaissances. (Audenet-Verrier & al 2017).

Des effets concrets sur le climat relationnel et de travail

Plusieurs effets sont de nature à valider nos hypothèses de conception. L’ambiance de classe et de travail est significativement améliorée par rapport aux promotions précédentes. Au dire des enseignant.es, il y a moins de d’agressivité entre jeunes. Le ton employé en classe est plus détendu que les années précédente, ce qui amène une nette atténuation des tensions avec les adultes. Les rapports d’incidents ont significativement diminués entre septembre et janvier -de l’ordre des 2/3– aux dires de la direction et de la cheffe de projet. Les relations entre jeunes et adultes s’améliorent pour tous entre septembre et janvier. Ce qui aurait conduit certains adultes à justifier de ne pas s’investir car « cette année c’est différent, nous avons une bonne classe ». Mais, passé janvier, les relations entre jeunes se sont un peu dégradées, et les relations entre jeunes et adultes se sont sérieusement tendues, restant toutefois particulièrement bonnes avec les 3 adultes engagés dans l’action « autre monde ». L’un d’eux souligne de belles surprises : « régulièrement des élèves restent en fin de cours pour me demander des compléments et me poser des questions. Cela fait bien 7-8 ans que ça ne m’était pas arrivé ».

L’analyse que nous en faisons porte plusieurs éléments. Tout d’abord, et nous ne l’avions pas anticipé, l’amélioration des relations entre jeunes a nettement amélioré les conditions de travail de toutes et tous du fait d’une meilleur interconnaissance. L’action ayant débutée en tout début d’année scolaire, les exercices d’initiation à la pratique théâtrale (envoyer son prénom, le recevoir, l’adresser…) ont permis rapidement à tous les jeunes de se connaître et de se reconnaître, de se tromper parfois et d’en rire ensemble (dédramatisation). Autrement dit, quand on partage de bons moments et que l’on rit ensemble, une relation commence à se créer. Lors de désaccords, nous faisons attention à nos propos pour préserver la relation et donc l’autre, ce qui limite la conflictualité. Par ailleurs, le fait construire rapidement des repères dans un environnement nouveau, de découvrir des points d’appuis et de se faire des camarades réduit la tension que chacun rencontre face à des incertitudes ou ses angoisses.

Dans un cadre sécurisant, les jeunes ont expérimenté d’autres stratégies de régulations de leurs « erreurs ». Le fait que des adultes, comme l’accompagnateur de l’IARA, se trompent en souriant semble avoir ouvert l’idée de plaisanter de ses erreurs pour les accepter, sans moquerie ni jugement. Les jeunes ont « battus » les adultes au travers de jeux (Ya, balles), dans un climat teinté de sourires. Ainsi, la proximité créée avec les adultes impliqués a contribué à développer et maintenir une capacité d’écoute réciproque.

Même si ce sont sans doute les adultes qui visent le plus à améliorer les conditions d’un bon travail avec et pour les jeunes qui se trouvent engagés dans ce type d’aventure, coopérer entre jeunes et adultes améliore l’interconnaissance et l’écoute mutuelle. Ce point est évidemment renforcé quand les adultes sont particulièrement attentifs à jouer le jeu et à se mettre à portée des jeunes. Ce sont donc sans doute les enseignant.es qui en auraient le moins besoin qui en tirent le plus de bénéfices. Mais déjà, par le biais de l’expérimentation, ils donnent l’exemple que c’est possible, que cela fonctionne, et que l’on y prend du plaisir ! Reste à voir comment amener leurs collègues, ce qui supposerait de maintenir suffisamment longtemps l’expérimentation.

L’espace de jeu a conduit à faire évoluer les positions d’expertise, et à redistribuer les rôles et positions sociales. Nous avons pu observer des adultes un peu gauches quand des jeunes étaient pleinement à l’aise, des situations d’entraide et d’explications pour réussir ensemble, etc… Les situations d’improvisation ont été de vrais moments de partage et de valorisation des jeunes -rendus possibles par des adultes qui jouent ce jeu en accueillant les propositions des jeunes et en facilitant leur expression, et les suggestions des adultes mettent en évidence le rôle de ressource que de leurs enseignant.es.

Ce n’était pas une surprise pour les intervenants extérieurs, les jeunes ont joués le jeu et se sont investis dans les exercices proposés (21/24 jeunes), même si nous constatons un essoufflement en fin de dispositif. Cet essoufflement nous semble lié à la dynamique interne dans l’établissement et au contexte pandémique : plus de fil directeur, multiples changements d’horaires et de lieux, absence de décision et de perspectives pour finaliser l’action, et de fait une perte de sens et d’intérêt pour les jeunes. Notons la difficulté pour certain à focaliser sur ce qui « ne va pas » selon eux, omettant de marquer l’implication, les échanges, la coopération, les dépassements réalisés, la bonne humeur, la ponctualité, et les demandes (« on va faire une pièce après ? ») pourtant présents.

Aussi, l’expérience semble bien valider nos hypothèses. Investir ensemble -sous certaines conditions-un « espace vide » (Brook 2015) crée de la vitalité là où il n’y en avait plus. Les positions évoluent, et il devient possible de faire ce que l’on ne peut pas réaliser dans l’espace très codifié de la classe, que chacun investit avec ses expériences et représentations de ce qui doit être, peut-être, devrait être la relation jeunes/adulte.

Enfin, nous ne disposons d’aucune donnée concernant l’amélioration des apprentissages scolaires et professionnels, n’ayant pas pu investir la mobilisation de l’action « autre monde » avec les enseignants. A minima, cela n’a pas perturbé.

Des effets en rapport avec l’expérience théâtrale

Faire avec les jeunes, point clé de l’action, avait pour but de partager l’expérience pour ressentir et éprouver -dans tous les sens du terme- les difficultés et moments de plaisir auxquels pourraient être confrontés les jeunes. Le vivre pour le comprendre, l’exprimer pour mieux se comprendre. C’est ainsi que quelques petites découvertes nous semblent à relever de notre courte et intense expérience.

Pour les adultes, entrer dans l’action part du cerveau, le corps semble suivre -comme il le peut- la pensée. Un peu comme si nous étions rattrapés par une intellectualisation du faire, établir des liens et des analogies entre la situation vécue et le référentiel, entre des attitudes d’ici et des comportements observés là. Le corps se met en mouvement en réponse à une analyse de la situation. Pour les jeunes, tout semble aller à l’inverse. Elles et ils commencent par se mettre en mouvement, en activité, à réaliser. C’est ensuite que des expressions, questions, relations adviennent.

En tant qu’adulte, vivre l’expérience permet de prendre et tenir sa place et de vivre sa propre expérience pour se rendre compte dans l’action que ce qui est demandé n’est pas si évident. Comme le rapporte l’accompagnateur de l’IARA, « Là où je m’en suis vraiment rendu compte, c’est suite au réveil musculaire de la dernière séance. Je me suis vraiment laissé aller, cherchant bien à tout décontracter. Après on a fait des exercices de marche, et pour la première fois, Diane m’a dit que j’étais relâché (…). Et la plupart des jeunes eux ils choppent le truc direct. (…) C’était comme si j’avais switché un truc. C’est là que tu vois aussi que pour des enseignant.es ça doit pas être évident de se mettre en scène comme ça. Il faut être assez costaud par ailleurs pour assumer. C’est aussi pour ça que je voulais faire, montrer que si ce que je faisais c’était pas fou, je faisais sérieusement et j’en rigolais (…) ».

L’importance du tiers animateur pour les adultes, pour s’autoriser à faire ensemble, à faire corps. La présence de la compagnie Après le mur créé les conditions d’un cadre de travail serein et sécurisant. Il libère les adultes du poids de la gestion de classe, ils peuvent alors « être » avec les jeunes, et leur position change. Cette nouvelle position, décalée par rapport à la position en classe, facilite des relations authentiques. Par exemple quand un.e enseignant.e vante la réussite d’un jeune, le compliment est reçu sans distorsion. Immergé dans la situation, chacun sait l’autre sincère, le compliment n’est pas feint. Personne ne triche, ce qui facilite la confiance.

Pour autant que les conditions soient réunies, ce n’est pas évident pour les enseignant.es de cette équipe de prendre et trouver cette place avec leurs élèves, de vivre pleinement l’action. De séparer les actes du prof de ceux de l’adulte, et passer d’une relation enseignant-enseigné à une relation de personne à personne. De mettre de côté un temps les statuts et assignations que l’on fabrique ou que l’on subit. Quelques ajustements ont été nécessaires pour que les enseignant.es s’autorisent à lâcher leur «  casquette de prof », comme de clarifier que pendant la séance, ce sont les artistes qui pilotent.

Les réserves que nous avions en amont de l’action sur la possibilité de faire coopérer jeunes et adultes du fait de l’asymétrie des positions sociales ont été levées par l’observation. Nous attribuons cela à la vigilance des adultes, aux séances de débriefing, aux effets d’entraînement entre les membres de l’équipe pédagogiques qui ont osé, et en grande partie au professionnalisme de la Compagnie Après le Mur. Autrement dit, c’est possible si nous le faisons en professionnels.

Quels enseignements pour l’accompagnement d’une expérimentation pédagogique mobiliserant la pratique théâtrale ?

Garantir des conditions matérielles et organisationnelles minimales !

Le climat pandémique ajoute une surcharge de perturbations. L’établissement n’a pas d’enseignant de mathématique depuis 4 mois, l’équipe pédagogique a appris le décès d’un collègue proche, des collègues en arrêts ne sont pas remplacés, chacun essaye de tenir au mieux… L’équipe est épuisée et n’a plus d’énergie. Dans ce contexte fragilisé, s’engager dans un projet enthousiasmant mais exigeant et sans doute trop pour la plupart des adultes.

Quand une situation est dégradée, nous avons parfois envie de tenter du nouveau pour s’en sortir, de faire ce qui ne l’a pas encore été. Là, nous nous interrogeons sur ce qui pourrait-être des conditions minimales pour réaliser une expérimentation. N’y a-t-il pas un « seuil » (nombre de participants, disponibilité des personnes, compétences, stabilité relative…) en deçà duquel il n’est pas raisonnable de conduire une expérimentation pédagogique ? Comment mener un projet ambitieux sans ajouter du désordre et des tensions ? Dans ces situations dégradées, l’urgence ne serait-elle pas d’en revenir à reposer des choses simples pour retrouver un cadre et des routines réduites, mais structurantes ?

Nous n’épiloguerons pas plus sur ce point, tant les établissements subissent aléas et contraintes qui produisent une désorganisation devenue désormais structurelle. Ajoutons à cela la crise de la Covid-19 et son lot de changement, d’injonctions paradoxales et de règles inapplicables, dans un contexte de réformes. Là, nous avons connu un parfait condensé : inflation des normes dans un contexte de contraction de moyens en quantité et en qualité, outils numériques qui ne fonctionnent pas, les heures en demi groupe qui passent en classe entière, des changements de salle au dernier moment (on commence en retard et tendus), des séances annulées, des oublis, des calages le dimanche soir pour le lundi matin, des adultes absents pour en remplacer d’autres, des demandes de changement d’objectifs pour combler le manque d’heures…

Être conscient que les acteurs n’expérimentent pas tout à fait la même chose…

Plongés dans la même action, nous n’expérimentons pas les uns et les autres les mêmes choses. Nos buts, enjeux, etc… sont différents. Avec un peu de recul, nous aurions sans doute pu être plus vigilants pour mieux expliciter ce que chacun expérimentait et ressentait de son point de vue.

Pour les accompagnateurs du DNA, il était question de mettre en pratique une modalité immersive. C’est-à-dire d’assumer une triple position qui associe : proposition, réalisation, évaluation. Proposition, pour co-définir un projet qui réponde à la problématique posée. Réalisation, car il s’agissait de « se mouiller » pour créer des espaces d’autorisation (montrer que c’est possible), mais aussi pour être légitime dans ce qui pourra être fait, dit, vécu. Evaluation, dans une perspective de capitalisation nationale et locale. Pour les accompagnant.es de la compagnie, il s’agissait de transposer et d’adapter ses compétences à un cadre d’intervention qu’elle connaissait peu, en se frottant aux réalités de la vie d’un établissement d’enseignement. Au niveau du pilotage pédagogique, il s’agissait de tester ce que le fait de bouger des positions pouvait transformer dans la relation éducative dans la perspective d’améliorer significativement le climat de travail. Enfin, pour les enseignant.es et les jeunes il était question de « vivre ensemble une double expérimentation » qui concernait tant la pratique artistique –ce que cela produit- que de le faire et le vivre ensemble – à quelles conditions-.

Etre vigilant aux écarts portant sur la conception de l’action et dans l’engagement

Le projet du lycée ou le projet des accompagnateurs ? Le premier point sur lequel nous voudrions revenir correspond au risque de confondre l’enthousiasme des accompagnateurs pour conduire ce travail, avec la réalité de l’engagement de l’équipe pédagogique. Cet écart a ouvert un malentendu, dans la mesure où les intervenants ont cru percevoir que les conditions de l’engagement étaient réunies alors que ce n’était pas vraiment le cas. Seuls 2 enseignant.es étaient vraiment motivés, quand les autres restaient en retrait.

Un écart dans le diagnostic et dans ce que l’on cherche à améliorer. Pour les intervenants et les adultes engagés directement dans l’action (directrice adjointe, cheffe de projet, enseignant d’ESC et d’ESF, de Français, assistante éducative), le problème de fond c’est la distance qui s’est créée et qui se créée inexorablement entre jeunes et adultes, ce qui amène conflits et impossibilité de travailler ensemble. Aussi, l’action vise à produire du « en commun », à mieux comprendre et s’intéresser aux jeunes en mobilisant la pratique théâtrale, et ainsi améliorer le climat de travail. Mener l’expérimentation est un moyen pour tester cette modalité, et voir si ça peut marcher et à quelles conditions.

Pour une autre partie des enseignants, le problème c’est la conflictualité, qui rend impossible de faire cours normalement. L’action doit permettre de diminuer l’absentéisme, réduire le nombre de fiche incident, améliorer la façon dont les jeunes parlent aux adultes. Tout se passe comme si leur volonté était finalement de « remettre » les jeunes dans un moule choisi pour eux : « (…) les collègues en reste à rechercher « un climat ou on peut faire classe et son cours ». Moi, je trouve qu’il y a tellement de choses [autres] à travailler, que cette posture uniquement centrée sur la situation vécue en classe n’est pas suffisante. Il y a une scolarité fragile qui ne s’exprime pas cette année en conflit de classe, mais c’est présent. Et les difficultés sont juste sous la surface… elle remontent déjà avec plus de soucis de discipline qu’au premier trimestre ». « C’est vrai que le contexte rend la chose plus difficile, mais l’équipe n’est pas dedans. Comme [pour eux] le problème de départ était de gérer une classe difficile, et que cette année la classe est plus facile selon-eux, ils se sont désengagés. (…) ». « On a beaucoup moins de problèmes de disciplines à gérer, et cette année il n’y a pas de gestion difficile de la classe, le relationnel passe mieux. Il n’y a plus ce besoin que l’on a ressenti avant. (…) ». « On a essayé de jouer le jeu avec les enseignants et de les libérer, mais ils ne sont pas venus car ils n’ont pas besoin par rapport à la classe [Cette année]». « Oui, je partage le sentiment qu’il y a toujours de bonnes raisons de ne pas se lancer dans l’aventure. J’ai presque envie de dire qu’on n’arrive pas à bousculer des choses. On a travaillé sur des activités psycho sociales [l’an passé], et là je me rends compte que les équipes ont le sentiment que « cela ne sert à rien » et on revient sur cette logique conflictuelle et encore le côté « que fait la direction ». Alors comment faire ! ». « Peut-être qu’on a négligé les attentes de l’équipe. En juin tout le monde était partant, mais… les enseignant sont en attente de « concret » (…) ils restent sur une logique utilitariste s’ils ne perçoivent pas les bénéfices. Or le dilemme c’est que ce n’est qu’en participant que je vais savoir ce que je retire de cela ».

Un écart dans ce que doit produire l’expérimentation Un autre point de débat oppose une conception « utilitariste » de l’action à une conception « expérientielle ». Dans le premier cas, il s’agirait presque de coller au référentiel pour identifier que l’on travaille précisément (actuellement les EG3 et EG4), et identifier le temps de pratique théâtrale comme directement productif au regarde de ce qui est à enseigner. Cette conception fait référence au fait d’avoir des outils, et finalement à des cours réalisés par les intervenants et sur lesquels il n’y aurait plus à revenir : « Peut-être pourrions-nous plus annoncer à quoi sert l’activité et comment on va la faire vivre dans sa transposition à la vie réelle comme les stages », « Quel réinvestissement de nos élèves ? Est-ce qu’ils ont pris conscience de ce qui s’est passé ? Ont-ils fait le lien avec le fait de partir en stage et donc apprendre les codes sociaux de la nouvelle planète à découvrir : l’entreprise ? ». La seconde vision s’attacherait plus à laisser advenir ce qui va se passer entre jeunes, entre jeunes et adultes, au travers d’une expérience où l’on met à l’épreuve nos « compétences à vivre ». Là, la situation est à vivre pour ce qu’elle est, le but n’est pas de chercher à faire des liens avec des capacités, mais de vivre et de réussir dans le moment, si possible en prenant du plaisir. C’est dans un second temps que l’on reviendra sur l’expérience pour consolider des notions ou illustrer ce qui est à apprendre à partir d’une expérience que l’on a vécu et partagé entre jeunes et adultes, là où nous n’avions plus de références communes. « Rendre le projet utilitariste serait aller dans le mur, et nous artistes, nous ne sommes pas là pour cela. S’il faut expliquer pour quoi nous sommes là [lien au référentiel ndr], on ne fait plus notre travail de faire entrer dans un autre univers. Je crois que cela a commencé à bien prendre avec les élèves, bien que ce ne soit pas une activité choisie par eux au départ. Or toute la classe est présente, et globalement tout le monde participe ». Cet écart de conception a pu être une zone de tension dans la mesure où les artistes ne sont pas là pour « rejouer » le rôle des enseignants.

Des différences sur la façon d’appréhender l’expérimentation pédagogique. Si l’on ne partage pas à minima quelques grandes orientations, il y a peu de chance d’aboutir et de réussir collectivement. Nous insistons là sur cette divergence car elle impacte la conduite de l’action et constitue une tension que nous retrouvons dans différentes situations d’accompagnement d’expérimentation pédagogique. Cette tension peut être difficile à repérer si l’on y prête pas attention au travers d’échanges réguliers avec les acteurs, ce pour quoi, à partir de cette expérience, nous proposons la grille d’analyse ci-après :

  • pédagogie utilitariste (en lien avec les épreuves du référentiel) vs pédagogie du détour (prendre du champ pour intéresser),
  • faire pour (les élèves) vs faire avec (ensemble, construire du commun).

(fig x cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Des positions qui influencent la dynamique de l’action

Les positions d’acteurs et leur niveau d’engagement jouent sur la valeur accordée au travail collectif et sur les effets constatés. Pour les jeunes, nous avons eu deux positions : les « pleinement présents » très majoritaires, et quelques un.es qui bien que peu investis dans la mise en action, étaient présents physiquement voire suivait ce qui se passait avec une certaine curiosité emprunte de réserve. Comme s’ils cherchaient à être convaincu de rejoindre le collectif ? Du côté des adultes, nous observons :

  • l’absence totale de certain.nes acteurs, les « pas là »,
  • la présence d’autres mais « hors les séances », dont l’influence se fait sentir malgré leur absence, les « là… mais pas là »,
  • des acteurs présents physiquement, mais qui régulent « autre chose en même temps » et ne sont plus tout à fait disponibles pour l’expérimentation, les personnes « là et pas là »,
  • et des acteurs pleinement présents avec les jeunes : « là » !

Les acteurs « là… mais pas là », sont rarement présents. Ils ne se sont pas engagés sur la scène, mais leur influence est présente. Leur action est perçue négativement par les jeunes et les adultes engagés car elle est orientée vers la régulation (de comportements, d’attitudes essentiellement, mais pas pour souligner les prouesses des jeunes) alors même qu’ils ne participent pas au travail physiquement. Leur action devient considérée comme un jugement sur la personne, alors que c’est aux artistes de réguler à ce moment-là.

Pour les adultes les plus investis, nous distinguerons les personnes « là et pas là », alternant pleine participation et régulations (d’ordre logistique, la convention de stage, quelques attitudes), ce qui conduit également à introduire des perturbations. Le paradoxe, c’est que voulant faire bien, ces acteurs « là et pas là », ont un contact positif avec les jeunes et le projet mais ils contribuent à importer des perturbations, ce qui nuit à la fluidité de l’action. Enfin, nous avons les personnes « là », et pleinement présentes. Ce sont ces dernières qui semblent avoir recueilli le plus de bénéfices tant pour eux que dans la relation nouée avec les jeunes. Ici, l’expérience tend à montrer que pour les enseignant.es les plus investis, il y a une réelle amélioration dans la relation concernant leur personne et le rapport que les jeunes entretiennent par la suite avec la discipline d’enseignement.

La pratique théâtrale, situation « ancrochante » en filière service pour enseigner à produire autrement ?

L’expérience montre clairement l’engagement des jeunes. Elle concours significativement à un climat de travail plus serein, et ce dans un contexte de crise et des conditions très dégradées. En travaillant les processus d’autonomisation (prise de confiance en soi notamment), de socialisation (relation aux autres, interconnaissance jeunes et adultes), et d’apprentissage (progression objective et visible), l’action concours à une dynamique d’ancrochage. Selon nous, c’est également une situation ancrochante car elle permet de combiner de nombreux leviers qui encouragent la réussite et les apprentissages : Une mise en activité qui permet l’autoévaluation, une production valorisé et valorisante, la possibilité de réussir, un lien concret avec un agir en situation (renforce la perception d’un pouvoir agir en situation, c’est-à-dire de « se voir capable de »), un accès à la compréhension de ce qui se joue par des debriefs, la possibilité de transférer dans le cadre de sa formation ou d’autres situations de la vie courante, du plaisir, et un « commun » vécu avec les adultes comme permettant ancrage et référence pour réaliser des apports, etc….

En soi, ce n’est pas le seul théâtre qui permet d’installer une dynamique d’ancrohage en filière service. La situation est intéressante car elle porte les germes d’un potentiel d’apprentissage qui peut mobiliser les apprenants. Mais c’est tout le travail de co-construction entre équipe pédagogique, artistes, accompagnateurs et jeunes qui permet de révéler ce potentiel. Autrement dit, il s’agit de concevoir la situation de pratique artistique dans une filière service, en destination des classes entrantes, dans une configuration singulière, pour des réalisations et objectifs relativement explicites, et en gardant à l’esprit que « trop d’objectifs » pouvait nuire à « faire bien » ! Et, bien sur, en étant accompagné dans la mise en œuvre par des personnes professionnelles et compétences.

Conclusion

Soulignons l’effort des acteurs impliqués d’avoir tenté d’aller au bout de l’aventure. Mais devant l’adversité, force est de constater que nous n’avons pas pu tout à fait finaliser. L’expérimentation pédagogique pour faire coopérer jeunes et adultes à dessiner un « Nouveau monde » n’a pu être menée à terme. Pour autant elle nous semblait bien engagée et porteuses de résultats. C’est une certaine frustration pour les accompagnateurs, mais sans doute encore plus pour les jeunes et les adultes parties prenantes, d’autant qu’elle n’aura pas pu être discutée ou partagée pour confronter nos regards. Espérant que cela ne sera pas vécu par les jeunes comme un nouvel échec.

Un ensemble d’indicateurs nous renseignent sur le fait que l’opération était en voie de réussite : Les rires, la diminution des tensions, l’envie d’aller plus loin, les attentes exprimées, de nouvelles relations avec les adultes impliqué.es…. Dans ce contexte de Covid-19, l’espace ouvert par la pratique théâtrale -professionnellement encadrée- a apporté un cadre de vitalité dans moment morose et propice à la conflictualité. Là, et alors que l’on constate du décrochage dans les formations similaires, observer une nette diminution des rapports d’incident, constater l’engagement des jeunes (physique et psychique), comme leur présence, constituent des indicateurs forts de cette réussite naissante.

Pour nous (Compagnie après le mur et accompagnateurs IA), c’est cet espace vide qui en devenant espace de vie et de pratiques communes a permis aux jeunes, mais aussi aux jeunes et aux adultes de faire vite connaissance, de se rencontrer et de s’ouvrir à l’autre. Par le jeu et par les jeux, en apprenant les prénoms, en riant de nos déséquilibres, en s’entraidant, et surtout en faisant l’expérience concrète voyant que cela était possible et faisait sens pour toutes et tous. L’engagement des uns faisant les autorisations des autres, une relation a pu se construire et jeter les bases d’une confiance et d’une coopération… qui reste toujours à entretenir.

Là, nous avons vu jeunes et adultes ont relevé de nombreux défis et effectués des dépassements qu’elles et ils n’auraient sans doute pas imaginer faire si vite : jouer devant les autres (ses profs ! ses élèves ! ses collègues !), montrer son corps en mouvement, s’écouter, rire, se parler, se conseiller… avec un plaisir perceptible à faire et à apprendre ensemble dans une atmosphère respectueuse et professionnelle. Autant de choses banales mais qui semble si difficile d’instaurer en classe. D’où l’idée de décaler pour permettre d’entretenir ce mouvement par-delà la scène artistique.

Pour le dire autrement, il nous semble que le dispositif a pu tenir autant par le fait que les personnes engagées y croient et fasse en sorte que ça fonctionne, que par un ensemble de points présents dans l’action, mais qui sans vitalité ne resteraient que des points morts.

Ainsi, cette réussite repose sur :

  • La posture des adultes, recherchant le partage au travers d’une situation où chacune était dans « un autre monde », un peu en terre inconnue, avec un garant professionnel pour apporter un cadre de travail sécurisant,
  • La qualité du dispositif proposé et son encadrement, tant dans l’amont (diagnostic et conception) que dans sa réalisation (solution apportée et mise en œuvre), gardant en ligne de mire la cohérence avec des attendus professionnels, en rapport avec la filière professionnelle,
  • L’engagement des enseignant.es à vivre cette expérimentation avec les jeunes ; l’accueil de ce qui était à vivre et les expériences touchantes font évoluer les postures, c’est donc à retenir,
  • L’organisation, la logistique et le pilotage par la direction (moyens, plages libérées, lieu « professionnel », fréquence, retour sur les séances) ; Présente au démarrage, cette dimension n’a pu être tenue dans la durée,
  • L’objet, la pratique théâtrale, qui crée des autorisations et offre une situation décalée et cohérente ; elle « parle » aux jeunes et les engage dans leur corps et leur esprit. Elle leur permet de se projeter et de construire du sens, et de visualiser dans l’immédiat leurs progrès. Donc de leur permettre de poursuivre l’action car elles et ils savaient que « c’était bien ».

Enfin, nous aimerions terminer sur deux points

Conduire une expérimentation, cela s’apprend ! Si l’on veut réellement améliorer nos systèmes éducatifs, il nous semble essentiel de développer, en établissement, une pratique et une culture de l’expérimentation pour tenir les objectifs d’exigence -avec les collègues, avec les jeunes, avec les accompagnateurs- et de pérennisation dans un partenariat durable (redéfinir ses priorités, dévoiler les implicites, apprendre ensemble). Une sorte de compétence collective à tirer parti du processus d’expérimentation pour apprendre ensemble à résoudre des difficultés professionnelles. A l’inverse d’une dynamique en silo où chacun retire son bénéfice. Ainsi expérimenter cela s’apprend, dans l’action et par l’expérimentation, avec un contexte institutionnel (normes, moyens, attentes, reconnaissance) qui aide à créer de la stabilité et apporte les ressources pour permettre aux jeunes comme aux adultes de s’engager. Ces conditions n’étaient clairement pas réunies dans notre cas.

Dans une visée « d’apprendre à penser autrement » dans un contexte de transition agroécologique, la perspective d’autoriser à expérimenter des espaces à priori vide nous semble féconde, et délicate. Féconde car l’on voit bien à quelle vitesse les jeunes s’empare de ces espaces, ici à Saint Brieuc mais ailleurs à l’Institut Agro en théâtre documentaire par exemple (https://pollen.chlorofil.fr/se-former-au-theatre-documentaire-au-service-de-la-transition-agroecologique/) . En expérimentant ces espaces, les apprenants s’autorisent -et nous les autorisons- à créer, à vivre l’expérience concrète que faire et penser autrement c’est possible, c’est intéressant, et que cela transforme notre rapport aux autres et au monde. C’est porteur d’une possibilité de penser et donc de faire autrement. Délicat, car s’autoriser à penser autrement appelle des modifications pour nos institutions, qui tendent toujours à revenir aux formes qu’elles maîtrisent, ou qui leur donne un sentiment de contrôle et de maîtrise : le référentiel, le travail « sérieux », les évaluations, les cours… comme si d’essayer de penser autrement n’était pas un travail en soi. Alors, à la lumière de ce que nous avons pu observer, peut-être que ce ne sont pas les jeunes qui doivent opérer la transition, mais les adultes, qui les empêchent de penser autrement en ne s’autorisant pas à expérimenter des espaces ouverts et créatifs avec eux ?

 

Sigles :

DNA : Dispositif National d’Appui

DGER : Direction Générale de l’Enseignement et de la Recherche, ministère de l’agriculture de l’alimentation et de la forêt,

DRAAF : Direction Régionale de l’Agriculture, de l’Alimentation et de la Forêt

IA : L’Institut Agro

IARA : L’Institut Agro Rennes Angers

 

Bibliographie

 

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Brook, P. (2015). Le diable c’est l’ennui, propos sur le théâtre. Actes-Sud, Actes Sud-Papiers, Apprendre.

Cerletti, A. (2005). La politique du maître ignorant : la leçon de Rancière, Le Télémaque, vol. 27, no. 1, pp. 81-88.

Covez, C. (2018). Des pratiques artistiques vers le développement humain, par le vivre. Actes du colloque « La recherche, la formation, les politiques et les pratiques en éducation, 30 ans d’AFIRSE.

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Perrenoud, P. (1996). Métier d’élève : comment ne pas glisser de l’analyse à la prescription ? Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation Université de Genève. https://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/perrenoud/php_main/php_1996/1996_15.html

Samurçay, R. & Rabardel, P. (2004). Modèles pour l’analyse de l’activité et des compétences, propositions, in SAMURÇAY, R. & PASTRE, P. Recherches en didactique professionnelle. Toulouse : Editions Octarès, p.163-180.

Rosemberg, M. (2016). La géopoétique d’Édouard Glissant, une contribution à penser le monde comme Monde. L’Espace géographique, 45, 321-334. https://doi.org/10.3917/eg.454.0321

Stoerkel, N. (2007). Le rapport d’étonnement, nouvel outil de management dans les établissements de santé ?. Recherche en soins infirmiers, 91, 61-75. https://doi.org/10.3917/rsi.091.0061

Thievenaz, J. (2017). De l’étonnement à l’apprentissage : Enquêter pour mieux comprendre. De Boeck Supérieur. https://doi.org/10.3917/dbu.thiev.2017.01

 

Notes de services, plan et circulaires

Le Plan Enseigner à Produire Autrement, pour les transitions et l’agro-écologie, document DGER, (2020) https://chlorofil.fr/fileadmin/user_upload/epa2/epa2-plaquette012020.pdf

Enseigner à produire autrement, pour les transitions et l’agroécologie. Circulaire DGER/SDRICI/2020-68 du 30 janvier 2020

Note de service DGER/SDPFE/2019-830 du 17 décembre 2019 a pour objet de refondre le dispositif des expérimentations pédagogiques prévues par les articles L811-8 et L813-2 du Code rural et de la pêche maritime. https://pollen.chlorofil.fr/wp-content/uploads/2021/02/NS-Experimentations-pegagogiques-17122019.pdf

[1] La professeure principale de la classe de seconde SAPAT et la directrice adjointe.

VIDEOS

Mots-clés : Agroécologie, Décrochage Ancrochage, Ingénierie de formation, Motivation, engagement, Partenariats, pratiques artistiques

Voie de formation : Formation initiale
Niveau de formation : IV (Bac pro, Bac général)
Initiative du dispositif : Régionale
Structure d’appui : Etablissement National d’Appui
Etablissement National d’Appui : Agrocampus Ouest
Action du Dispositif National d’appui : Pollen

Référent : Eric Plaze ,eric.plaze@agriculture.gouv.fr

Etat de l’action : Terminée
Nature de l’action : Expérimentation

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